La dictature de la majorité

Les francophones, qui représentent l'une des minorités les plus importantes au pays...

Ottawa — tendance fascisante


Le gouvernement de Stephen Harper, comme peu d'autres avant lui dans l'histoire du pays, est résolu à faire avancer ses idées coûte que coûte. Mais trop souvent, il a abusé des larges pouvoirs que la démocratie canadienne confère à son chef d'État. Les Canadiens doivent alors remercier le fait qu'il existe encore au pays quelques leviers d'autorité qui agissent en contrepoids contre le pouvoir de la Chambre des communes.
Car même en démocratie peut exister ce que l'on appellera la dictature de la majorité. Cette dictature transporte avec elle l'idée qu'une majorité d'élus ne peuvent errer dans leur jugement, justement parce qu'ils représentent une majorité de citoyens. Mais 165 députés peuvent avoir tort tous en même temps.
Les francophones, qui représentent l'une des minorités les plus importantes au pays, doivent être particulièrement aux aguets devant un groupe d'élus qui se croit tout permis et investi d'une mission inébranlable. On l'a vu avec la décision d'éliminer le formulaire long de Statistique Canada, malgré les protestations des francophones et de plusieurs autres lobbies : cela pourrait bien coûter cher aux francophones dans 10 ou 20 ans, quand il sera plus difficile d'établir leur réel poids démographique.
Par chance, il existe encore quelques contrepoids au Canada. Au premier rang, les tribunaux.
Nous en avons eu un exemple le mois dernier alors que la Cour suprême a bloqué le projet d'une commission nationale des valeurs mobilières sur lequel travaillait résolument le ministre des Finances Jim Flaherty depuis l'élection des conservateurs en 2006. Il a fallu l'opposition systématique de deux provinces, l'Alberta et le Québec, pour amener la question devant le plus haut tribunal au pays. La Cour suprême n'a pas été tendre envers le projet conservateur : elle l'a renvoyé dans un jugement unanime, 9-0.
Ce n'est pas la première fois que le gouvernement Harper est ramené à l'ordre par les tribunaux, que ce soit la Cour présidée par Beverley McLachlin ou la Cour fédérale. Dans le dossier d'Omar Khadr, ce Canadien détenu à la prison américaine de Guantanamo, quatre fois il a été rabroué, deux fois par la Cour fédérale, et deux fois par la Cour suprême. Cette dernière a même statué que le gouvernement avait bafoué la Charte canadienne des droits et libertés.
Et en 2011, avant de perdre dans celui de la commission nationale de valeurs mobilières, il a aussi dû plier devant la Cour suprême dans l'affaire du site d'injection Insite.
Mais il n'y a pas que les tribunaux qui peuvent agir comme contrepoids à un gouvernement qui outrepasse ses pouvoirs. Quatre fois le président de la Chambre des communes, poste occupé par Peter Milliken de 2001 à 2011, a coupé les ailes des conservateurs. Qu'on se souvienne des documents « secrets » touchant les prisonniers afghans, ou des deux outrages successifs au Parlement en 2011, celui de la ministre Bev Oda et celui du refus de chiffrer les projets de loi anti-crime à la suite d'une demande d'un comité parlementaire.
Il y a aussi des agents du Parlement, comme le Vérificateur général, le Directeur parlementaire du budget, le Directeur général des élections ou la demi-douzaine de commissaires qui relèvent du Parlement.
Sans compter les provinces. Mais elles n'ont pas la vie facile dans une fédération où le fédéral dicte ses conditions plutôt qu'accepte de les négocier. Ottawa, à ce compte, agit en dictateur au lieu de partenaire.
Une chance qu'ils sont tous là. Parce que les contrepoids habituels au parti au pouvoir, ceux de l'opposition, sont en débandade à Ottawa : les libéraux se cherchent un chef rassembleur depuis le départ de Jean Chrétien en 2003, les néo-démocrates ont perdu Jack Layton à un cancer et les bloquistes ont virtuellement été rayés de la carte au Québec. Majoritaires à la Chambre des communes et au Sénat, les conservateurs ont le beau jeu et le champ libre. Sauf pour ces essentiels contrepoids.


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