À moins de disposer d’un État solide avec des citoyens conscients et responsables, la corruption se maintient et se répète de génération en génération. La corruption résulte toujours de l’ignorance, l’inconscience et la mauvaise volonté. Malheur aux sociétés faibles dont le niveau d’instruction des populations est insuffisant pour leur permettre d’acquérir le jugement critique nécessaire à la défense de leurs intérêts.
La démocratie n’est réalisable et praticable que chez les nations instruites, conscientes et qui ne se laissent pas avoir par personne. La liberté, qui signifie aptitude et capacité de penser, s’exprimer et agir en pleine conscience et connaissance de cause et d’effet, est à ce prix. Un peuple inféodé et servilement soumis à un pouvoir centralisateur et unitaire est exposé en partant à toutes les magouilles. Vaincre la corruption est le fait des nations dotées d’un État qu’elles contrôlent.
Les périodes troubles de l’Histoire, dont les guerres, les changements de régimes et les crises économiques sont des moments de faiblesses dans la vie des peuples qui risquent de les livrer sans merci aux profiteurs de tout acabit.
Un exemple qui me vient à l’esprit est celui de la corruption endémique qui sévissait pendant la seconde guerre mondiale au Québec, sans pour autant soulever de grandes protestations. N’étant alors pas moi-même très politisé, je n’ai pris conscience que beaucoup plus tard de l’importance des faits dont j’ai été mis au courant par un concours particulier de circonstances.
Officier dans l’armée, jeune lieutenant de 22 ans très peu instruit, il faut le dire, mais officier quand même ce qui prouve que l’Armée manquait sérieusement d’officiers, j’étais en service au Quartier Général du Commandement Militaire du Québec, situé alors au 3530 rue Atwater, à Montréal, dans le complexe qu’on appelle encore la Ferme sous les Noyers, ancienne propriété des Sulpiciens de Montréal, qui avaient vendu leur domaine au Ministère de la Défense à Ottawa.
Cette propriété, plus proche de Westmount que de Montréal, comprend une grande piscine intérieure, qui a servi à l’Armée, non à apprendre la natation et sécurité aquatique, mais à accumuler les dossiers qui ne servaient plus, tous les dossiers sur tous les sujets : stratégie, tactique, entraînement, départs pour l’Europe, recrutement, discipline, maladies et accidents, crimes commis par les membres de l’Armée, dont la totalité ou presque ont été gardés secrets, vols d’armes et d’équipements, de nourriture, fournitures et essence, alors que l’essence était rationnée, et finalement, les contrats frauduleux qui rapportaient de grosses sommes d’argent aux amis du régime de l’époque, le gouvernement de Québec et le gouvernement d’Ottawa étant alors dirigés par le Parti Libéral.
À l’automne de 1953, donc, la piscine est pleine de documents de toutes sortes. Ottawa, toujours sous régime « libéral », ordonne une enquête pour décider ce qu’il fallait faire avec ces 300,000 dossiers accumulés depuis trente ans dans ce quartier général, qui administrait tout ce qu’il y avait de militaire dans le Québec de l’époque.
Tous ces dossiers étaient en anglais exclusivement, de sorte que pour travailler dans un Quartier Général Militaire au Québec, il fallait absolument savoir lire et écrire l’anglais académique. Cette obligation s’est maintenue des années après la proclamation de la Loi sur les langues officielles en 1969. Un officier en service dans un Quartier Général au Québec qui aurait osé rédiger un seul document en français aurait été sanctionné, et ils furent nombreux dans ce cas. Ce n’est que peu à peu que des « têtes fortes » ont fini par s’imposer, et ce n’est pas fini.
Un conseil d’enquête de six officiers dont je faisais partie fut convoqué et devait durer plus de deux ans, afin d’examiner tous ces dossiers. Je suis probablement le seul survivant de ce conseil d’enquête, étant de loin le plus jeune. Les autres membres avaient en moyenne de dix à vingt ans de plus que moi.
Cet exercice fut une exceptionnelle occasion de m’instruire sur tout ce qui se passe dans un quartier général militaire en temps de guerre.
Au cours des deux années suivantes, nous devions examiner tous les dossiers un à un. Nous avions reçu instruction de mettre de côté et conserver tous les dossiers dont le Ministère de la Défense aurait besoin en cas de poursuites. Les autres, dont une majorité de dossiers compromettants pour les gouvernements de l’époque, devaient attendre la décision du Ministre.
En examinant ces documents, j’ai commencé par apprendre que 200,000 Québécois avaient servi dans l’Armée canadienne pendant la seconde Guerre mondiale, alors que la propagande officielle d’Ottawa déclarait que les Québécois brillaient par leur absence.
Les documents stratégiques renfermaient de précieux renseignements sur les relations du Canada en temps de guerre, notamment avec les États-Unis et la Grande Bretagne. Ces documents ont été détruits par ordre du Ministre, bien que les enquêteurs n’y aient trouvé rien de compromettant ni rien qui aurait pu placer le gouvernement dans l’embarras vis-à-vis les alliés de l’époque.
Les plus révélateurs et compromettants furent les documents logistiques. Des centaines de contrats de toutes sortes avaient été octroyés sans appels d’offres. Peu de comptes avaient été conservés de sorte qu’il n’y avait aucun moyen de savoir qui avait été payé et combien. Nulle part, il ne semblait y avoir de cahiers des charges. Nous savions que de « grands personnages » frayaient avec l’Armée mais nous ignorions l’importance de leurs tractations matérielles et financières avec les services logistiques de la Défense. Nous voyions seulement que quelqu’un faisait de bonnes affaires avec l’Armée et la guerre.
Compte tenu de l’inconscience politique de l’époque, il n’aurait pas été possible de révéler ce qui était caché dans cette piscine. Tous tenus au secret, nous n’avions personne à qui révéler quoi que ce soit, ni même apte à nous fournir des renseignements additionnels, ce qui nous était interdit.
Finalement, sur un ordre d’Ottawa, deux tonnes de dossiers compromettants entassés dans la piscine du 3530 Atwater furent détruits. La commission a prolongé ses travaux encore une année par la suite et j’ai été muté dans une unité d’infanterie.
Le Quartier Général de 3530 Atwater a été fermé vingt ans plus tard, après la Crise d’Octobre 70. Le complexe, qui comprend de magnifiques terrains, a été vendu à prix modique à des amis du régime, toujours le même régime, qui l’ont transformé en condos de luxe.
Cette expérience avec l’enquête m’a permis de comprendre plus tard les procédures souvent secrètes qui entourent les contrats octroyés par l’Armée pour la nourriture, les fournitures, les armes et l’équipement. Trop souvent, quelqu’un a eu l’occasion de s’enrichir à bon compte en tant que fournisseur des Armées de Sa Majesté.
Ce phénomène n’est pas nouveau. Il y a 182 ans, alors que l’Armée anglaise dominait toute l’Amérique britannique du Nord, des tractations analogues se produisirent avec la classe bourgeoise canadienne-française du temps.
Un nouvel ouvrage sur cette bourgeoisie coloniale mérite notre attention : Titre : L’improbable victoire des Patriotes en 1837.
Auteur : Réal Houde.
Sujets traités : Clans familiaux. Alliances politiques et pouvoir « féodal » entre 1830 et 1837 dans la vallée du Richelieu.
Les Éditions de la Francophonie. Lévis, 2012. 203p.
La solution à de tels problèmes passe par l’État du Québec, que nous serions en mesure de surveiller et contrôler de près. La décision de passer aux actes nous appartiendrait. Pour y arriver, il nous faut mettre fin à ces querelles fratricides qui nous font un tort immense, et nous instruire en profondeur sur tous les sujets qui concernent l’État, dont la Défense territoriale, civile et armée.
JRMS
Rien de nouveau sous le soleil
Corruption endémique... à la tonne !
Les périodes troubles de l’Histoire sont des moments de faiblesse
Tribune libre
René Marcel Sauvé217 articles
J. René Marcel Sauvé, géographe spécialisé en géopolitique et en polémologie, a fait ses études de base à l’institut de géographie de l’Université de Montréal. En même temps, il entreprit dans l’armée canadienne une carrière de 28 ans qui le conduisit en E...
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J. René Marcel Sauvé, géographe spécialisé en géopolitique et en polémologie, a fait ses études de base à l’institut de géographie de l’Université de Montréal. En même temps, il entreprit dans l’armée canadienne une carrière de 28 ans qui le conduisit en Europe, en Afrique occidentale et au Moyen-Orient. Poursuivant études et carrière, il s’inscrivit au département d’histoire de l’Université de Londres et fit des études au Collège Métropolitain de Saint-Albans. Il fréquenta aussi l’Université de Vienne et le Geschwitzer Scholl Institut Für Politische Wissenschaft à Munich. Il est l'auteur de [{Géopolitique et avenir du Québec et Québec, carrefour des empires}->http://www.quebeclibre.net/spip.php?article248].
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1 commentaire
Archives de Vigile Répondre
23 décembre 2012[1] Tout dépend de qui va contrôler l'État et au profit de qui.
[2] Je ne vois qu'une seule solution possible et raisonnable : une constitution rédigée PAR et POUR les citoyens et non par les élus corrompus au service de la dictature financière.
[3] Une vraie constitution citoyenne qui va être crainte et qui va permettre aux citoyens de se protéger à la fois contre les abus du pouvoir politique (les élus corrompus) et du pouvoir économique et financier.
[4] Et surtout une vraie constitution citoyenne qui va remettre le système monétaire entre les mains de citoyens en fonction de leurs besoins en nationalisant les banques et institutions financières. Le système monétaire doit être entièrement public puisque la monnaie est un bien public. Il faut mettre fin au règne actuel de la monnaie privée - l'argent-dette des banques.
[5] Le système monétaire actuel entre les mains des banquiers privés est un cancer qui ronge la société et va finir par l'achever. Les intérêts chargés par les banques dans toute la chaîne de production (producteurs, commerçants, grossistes et détaillants) sont pompés par le haut vers la classe des possédants et des hyper riches et absorbés en bout de ligne par la classe moyenne et les pauvres, puisque tous les acteurs de la chaîne de production font supporter le fardeau de ces intérêts par les consommateurs. Tout est plus cher à cause de l'argent-dette privée des banques et leurs intérêts composés. C'est un scandale permanent.
[6] On estime que le coût de ces intérêts sur l'argent créé artificiellement par les banques privées - qui est une taxe indirecte et déguisée - représente entre 35% et 40% du produit intérieur brut.
[7] Si on ajoute à cela un autre 35% à 40% provenant d'une autre "taxe" indirecte que représente la corruption mafieuse - je donne au mot mafieux un sens large, plus large que la petite mafia traditionnelle italienne - qui s'incruste dans les transactions des marchés publics, cela nous donne une idée du portrait général.
[8] L'écroulement du capitalisme financier c'est peut-être cela la "fin du monde", mais peut-être pas celle à laquelle on a pensé : ce sera peut-être la fin "d'un monde", celui des crapules, des ordures, des banksters qui entraînera peut-être avec elle la fin de la "faim dans le monde". La fin de Griftopia (le monde des crapules).
[9] C'est ce que je nous souhaite en cette fin d'année 2012 de merde. Joyeux Noël quand même.
Pierre Cloutier