Cure d’austérité chez les grands de l’industrie pétrolière

De2830bc2487a6aa92d5ccedd7782301

Le début d'une ère de vaches maigres pour l'industrie pétrolière






Pour une fois, Rex Tillerson aurait préféré avoir tort. Le patron d’ExxonMobil, un vétéran du pétrole, avait été l’un des premiers, il y a des mois, à raboter les budgets de son groupe en prévision d’une baisse durable des cours de l’or noir. Quand nombre de ses concurrents se raccrochaient à l’espoir d’un rebond rapide, lui n’y croyait guère. Il avait raison : après une reprise au printemps, les cours ont replongé. Personne ne mise plus sur une remontée à court terme. Et toute la profession taille à présent drastiquement dans les dépenses. « Pour certains, c’est une question de survie », assure Anne Pumir, analyste chez Natixis.


 

M. Tillerson peut mieux que tout autre mesurer l’ampleur des difficultés. Son groupe, ExxonMobil, est de loin le premier producteur de pétrole coté en Bourse. Malgré cette puissance et les premières mesures prises pour abaisser les coûts, lui aussi souffre. En un an, le bénéfice net du deuxième trimestre a été divisé par deux, à 4,2 milliards $US, selon les données publiées vendredi. C’est le plus mauvais résultat d’ExxonMobil en six ans. L’activité d’exploration et de production aux États-Unis est même tombée dans le rouge. En conséquence, M. Tillerson a durci son plan d’économies. Les investissements pour trouver et produire du brut ont été diminués de 20 %.



« Un désastre »


 

Son grand rival américain, Chevron, est encore plus à la peine. Avec un baril autour de 50 $US, contre près de 100 $US il y a un an, ses grands projets ne sont plus aussi rentables qu’attendu. Certains ne le sont même plus du tout. Résultat : Chevron a dû passer des dépréciations de 2,6 milliards dans ses comptes du trimestre, ce qui a fait fondre les profits de 90 %. « Un désastre », résume l’analyste Fadel Gheit, d’Oppenheimer Co. Là aussi, d’importants efforts sont au programme pour comprimer les coûts.


 

De Total à ExxonMobil, de Shell à BP, le monde du pétrole est en train de s’adapter à la nouvelle donne. La cure d’austérité a d’abord touché les vols en première classe et les bouquets de fleurs dans les sièges sociaux. Aujourd’hui, les mesures sont plus douloureuses. Plus de 150 000 emplois ont déjà été supprimés dans la profession, selon Graves Co, un consultant texan.


 

Ce n’est pas fini. La semaine dernière, 6500 suppressions d’emplois ont été annoncées chez Shell, 4000 chez le Britannique Centrica, et 8800 chez le groupe parapétrolier italien Saipem. Les fournisseurs et sous-traitants du secteur sont en effet les premiers touchés. Les grandes compagnies leur achètent moins de prestations, et les forcent à baisser leurs tarifs. Une pression dont sont victimes des Français comme Vallourec ou CGG, tous les deux déficitaires.


 

En parallèle, les poids lourds abandonnent ou décalent leurs projets jugés trop chers. Des investissements estimés à plus de 280 milliards de dollars ont été reportés, y compris dans les groupes parapétroliers, d’après le cabinet Wood Mackenzie. Aux cours actuels, difficile de rentabiliser les sables bitumineux du Canada, qui nécessitent plusieurs étapes de raffinage, ou les gisements maritimes ultra-profonds.


 

« La mer du Nord aussi est sur la sellette », souligne Mme Pumir. Les dépréciations d’actifs comme celles de Chevron ne font sans doute que commencer. Les investissements devraient baisser cette année de plus de 35 % aux États-Unis et de plus de 15 % dans le reste du monde, selon Schlumberger, le leader des services pétroliers.



Choc structurel


 

« Les grands noms du pétrole ont mis du temps à réagir, mais ils se rendent compte à présent que la baisse des prix est un choc structurel », commente Alexandre Andlauer, d’AlphaValue. Elle est avant tout liée à la révolution du pétrole et du gaz de schiste, qui a fait bondir la production américaine. Or cet afflux de brut n’est pas absorbé par une hausse équivalente de la demande. Surtout avec le ralentissement de la demande chinoise.


 

À cela s’ajoute la perspective d’une hausse des exportations iraniennes. En échange de la réduction de ses capacités nucléaires, l’Iran a obtenu la levée progressive des sanctions imposées en 2006 par les États-Unis, l’Europe et les Nations unies.


 

Quant à un effort des producteurs pour faire remonter les prix, il ne paraît pas au rendez-vous. « Nous ne sommes pas prêts à réduire notre production », a réaffirmé jeudi le secrétaire général de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole, Abdallah El-Badri. Et aux États-Unis, les entreprises ont certes fermé une bonne partie de leurs puits face à la baisse des cours. « Mais c’était pour mieux se concentrer sur leurs meilleures installations, si bien que la production peut rester stable », note M. Andlauer.


 

La chute des investissements finira par peser sur la production. Mais pas avant cinq ans. D’ici là, les projets déjà lancés vont se poursuivre. Dans ces conditions, la faiblesse des cours « pourrait durer plusieurs années », a reconnu jeudi la direction de Shell. Les investisseurs parient aussi sur un maintien de prix assez bas : à New York, le baril pour livraison dans cinq ans s’échange à 62 $US.


 

Pas de quoi permettre à ExxonMobil, Total et les autres de renouer avec leurs superprofits des grandes années. En Bourse, le poids des 100 principaux groupes du secteur a fondu de 1400 milliards de dollars, soit 31 %, depuis son pic de juin 2014.







Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé

-->