Le pétrole, d’un Trudeau à l’autre

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Même Gilbert Lavoie reconnaît la crise d'unité canadienne liée aux intérêts pétroliers de l'Alberta

 Il y a quelque chose d’ironique dans le fait qu’à part la crise d’octobre 70, le plus grand défi auquel a été confronté Pierre Elliott Trudeau frappe aujourd’hui à la porte de son fils, sous la forme du pipeline Trans Mountain de la compagnie Kinder Morgan. Le nom de Pierre Elliott Trudeau est encore honni dans certains milieux albertains à cause de sa politique énergétique nationaliste de 1981, qui a redéfini le partage des revenus pétroliers au profit d’Ottawa et au détriment de l’Alberta. Qu’en sera-t-il de Justin?


Le contexte n’est pas le même en 2018 : le gouvernement fédéral est du côté albertain sur ce projet de pipeline, qui vise à tripler l’acheminement de brut albertain vers la Colombie-Britannique et les marchés étrangers. Mais la situation est similaire dans le sens que Justin Trudeau se voit forcé de trancher entre les intérêts albertains où il n’a que trois députés, et ceux de la Colombie-Britannique, où il en a 18. C’est à la fois un problème politique et économique, où il est impossible de trancher la poire en deux ou de se croiser les bras.


En 1981, Pierre Elliott Trudeau avait penché du côté de l’Ontario et du Québec, les provinces où il avait le plus de députés. La solution n’est pas aussi simple pour Justin Trudeau : il s’est commis publiquement en faveur des intérêts albertains, mais personne ne voit comment il pourrait passer de la parole aux actes. Même si le gouvernement fédéral a autorisé ce pipeline et qu’il a les pouvoirs de l’imposer à la Colombie-Britannique, il ne peut rien contre les embûches administratives et les recours juridiques que pourrait invoquer la Colombie-Britannique pour retarder ce projet au point de le faire avorter. Et plus encore, M. Trudeau irait à l’encontre des communautés autochtones concernées…


Mais s’il parvient à surmonter ces obstacles, le premier ministre risque de perdre une partie de sa députation de la Colombie-Britannique aux prochaines élections. S’il doit admettre son incapacité d’agir, il perd la face devant l’Alberta et probablement l’appui de cette province à son programme de lutte contre les changements climatiques. Et plus encore, il perd la face devant la communauté des affaires qui appuie ce projet. On parle ici de revenus fiscaux de 46 milliards $ sur une période de 20 ans pour les gouvernements concernés. C’est énorme.


D’un point de vue strictement égoïste, ce projet de pipeline fait bien l’affaire du Québec : les pressions en faveur d’Énergie Est sont tombées. S’ils avaient à trancher entre un oléoduc sur leur territoire ou sur celui de la Colombie-Britannique, les Québécois n’hésiteraient pas un seul instant. Les dangers pour nos cours d’eau et notamment le fleuve Saint-Laurent sont beaucoup trop grands.


Mais si on se met dans la peau de nos concitoyens de la Colombie-Britannique, on comprend leur opposition. Imaginez si le gouvernement fédéral tentait de nous imposer Énergie Est de TransCanada...


Tout ça pour dire que le gouvernement canadien est aux prises avec un problème quasi insoluble, mais sur lequel il n’a pas le loisir de fermer les yeux. Justin Trudeau aura beau faire de beaux discours sur la bonne entente, l’Alberta et la Colombie-Britannique ont des positions irréconciliables sur un sujet que le premier ministre a qualifié «d’intérêt national». Tout ça, à 18 mois des prochaines élections fédérales, un délai trop court pour faire oublier une décision nécessairement impopulaire par l’une ou l’autre des deux parties.


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