De la concentration à l'éclatement

Il y a un an, Gesca a offert sept de ses journaux à Transcontinental, qui n'en a pas voulu

Médias et politique

Au début de la décennie, Gesca constituait un petit empire de presse. L'an dernier, la filiale de Power Corporation a jonglé avec l'idée de se départir de sept de ses journaux pour ne conserver que La Presse. De quoi teinter les négociations qui se poursuivent dans ce journal menacé de fermeture...
Gesca a offert il y a un an au Groupe Transcontinental d'examiner la possibilité d'acheter tous ses journaux, sauf La Presse. Après avoir scruté les comptes des sept publications en question (les quotidiens Le Soleil, La Tribune, Le Droit, Le Nouvelliste, La Voix de l'Est, Le Quotidien et l'hebdomadaire Le Progrès-Dimanche), Transcontinental a poliment refusé de poursuivre les discussions, selon les informations obtenues par Le Devoir.
L'approche a été qualifiée de «démarche exploratoire» par une source proche de Transcontinental. Un porte-parole officiel a refusé d'infirmer ou de confirmer l'information concernant la tentative de mise en vente. «Nous avons comme politique de ne pas commenter les rumeurs», a dit laconiquement Sylvain Morissette, du service des communications de l'entreprise.
Gesca travaille maintenant à un plan de sauvetage de ses publications menacées par la crise structurelle qui affecte les médias. Les employés de La Presse doivent consentir à d'importantes concessions sous peine de fermeture du quotidien le 1er décembre. Les deux parties ont convenu hier de «poursuivre de manière intensive le processus de négociation», selon un communiqué conjoint.
Les syndicats pourront examiner les livres comptables de La Presse d'ici quelques semaines. Gesca pourrait bientôt étendre ses menaces de «cessation de parution» aux employés du Soleil puisque leur propre convention collective sera échue le 31 décembre prochain.
Des acquisitions
Au début de la décennie, les deux mêmes groupes, Gesca et Transcontinental, bataillaient ferme pour acquérir certains de ces mêmes journaux maintenant jugés sans valeur ferme, ou tout comme. Gesca, qui possédait déjà La Tribune de Sherbrooke, Le Nouvelliste de Trois-Rivières et La Voix de l'Est de Granby, avait alors acquis d'UniMédia Le Soleil de Québec, Le Droit d'Ottawa, Le Quotidien et Le Progrès-Dimanche de Chicoutimi, en plus de trois imprimeries. Le gouvernement du Québec ne s'était pas opposé à la transaction mais avait convoqué une commission parlementaire sur la concentration de la presse dès février 2001.
Il existe une quinzaine de grands propriétaires de quotidiens au Canada. Groupe Transcontinental CTC ltée demeure le plus important imprimeur de magazines (dont ceux de Rogers) et le second imprimeur de journaux au pays (dont The Globe and Mail). Ses revenus dépassaient les 2,4 milliards en 2008. La compagnie embauche quelque 13 500 employés sur le continent. Sa filiale Médias Transcontinental compte une cinquantaine de titres, dont le journal Les Affaires, les magazines Elle Québec et Le Bel Âge. La récession l'a cependant forcé à mettre en branle, en mars dernier, un «plan de rationalisation» prévoyant des fermetures d'usines et de publications et la mise à pied de 1500 employés.
Gesca ltée se rattache à Power Corporation du Canada, qui a aussi des actifs dans les services financiers et les assurances. Gesca possède le site Cyberpresse, où sont regroupées les informations des différents quotidiens du groupe.
Nouvelle relation d'affaires
Les deux grandes entreprises sont maintenant très liées. Transcontinental exploite neuf imprimeries, dont une toute récente, construite à Pointe-aux-Trembles, qui produit La Presse depuis 2003. Le contrat était alors évalué à 900 millions sur 15 ans.
Au même moment, Gesca a aussi vendu à Transcontinental 24 publications régionales (18 hebdos et 10 périodiques) et ses imprimeries liées à ses quotidiens Le Soleil, Le Nouvelliste et Le Droit. Des ententes totalisant 750 millions sur 15 ans ont été signées pour imprimer ces trois journaux. Gesca demeure par ailleurs propriétaire des installations servant à l'impression des quotidiens La Tribune et La Voix de l'Est, ainsi que du Quotidien et du Progrès-Dimanche.
La Presse dit perdre 2 millions par mois. La vente des journaux marginaux aurait vraisemblablement servi à tirer La Presse de son bourbier, comme on se débarrasserait d'une flotte pour sauver le navire amiral. Le plan de sauvetage en application depuis quelques mois a permis d'économiser un premier million de dollars mensuel en imposant la réduction du format du journal et l'élimination de l'édition du dimanche. L'autre million viendra des poches des employés.
Cette crise profonde malmène durement la stratégie de la convergence mise en place sous Guy Crevier, président et éditeur de La Presse mais aussi président de Gesca. La même conclusion frappe partout sur le continent. CanWest a revendu certains de ses journaux, BCE a cédé le contrôle de Globemedia qui regroupait CTV et le Globe and Mail.
La majorité des journaux du monde sont confrontés à une mutation radicale de leur modèle d'affaires. Le tirage stagne ou régresse. La publicité s'effrite. La dématérialisation massive de l'information et de la pub n'a pas encore porté les profits escomptés.
Les propriétaires réduisent les coûts de multiples manières, y compris en obtenant des concessions de la part de leurs employés. Fin juillet, les journalistes du Boston Globe ont accepté une baisse de salaire de près de 6 % et bien d'autres reculs. Le journal, payé 1,1 milliard en 1993 par Times Corp., vaudrait maintenant moins de 250 millions, et encore.
Ici, Le Journal de Montréal est en lock-out. Le Journal de Québec sort d'un long conflit de travail qui a réduit les avantages des employés. Le Globe and Mail a gelé le salaire de ses reporters pour deux ans et introduit un régime de retraite beaucoup moins généreux pour les nouveaux employés.


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