Pour la hausse

Démocratie, idéologie et démagogie

Conflit étudiant - grève illimitée - printemps 2012



Tous les étudiants ne sont pas opposés à la hausse des droits de scolarité, contrairement à l’impression que pouvait donner la manifestation nationale de jeudi dernier.
D'entrée de jeu, je tiens à mettre cartes sur table: je suis ce que M. Gabriel Nadeau-Dubois, porte-parole de la Coalition large de l'ASSE (CLASSE), considère comme un hérétique dont tous les arguments sont invalides en raison de ses convictions politiques personnelles.
Autrement dit, je crois en la viabilité du libéralisme politique et, comble de l'hérésie, à celle de son corollaire économique, le capitalisme. J'adhère avec fierté aux valeurs progressistes dont cette philosophie politique est imprégnée, valeurs auxquelles nous devons l'éclosion et la propagation de la démocratie moderne, aussi appelée démocratie libérale.
En raison de ces convictions profondes et de l'indéniable humanisme qui se dégage de cette philosophie politique héritée des Lumières, je m'identifie davantage au PLQ et au PLC qu'à d'autres partis politiques provinciaux ou fédéraux. M'est avis que ces partis sont les plus aptes à promouvoir le progrès social et à assurer la santé économique nécessaire à la pérennité de toutes mesures visant à diminuer les inégalités économiques et sociales. Pour autant, cela ne fait pas de moi un être dépourvu de ses capacités de raisonnement.
N'en déplaise à M. Nadeau-Dubois, une étude sommaire de l'histoire de ses partis politiques et de leurs contributions respectives à l'édification du Québec et du Canada permet d'établir indubitablement leur attachement auxdites valeurs progressistes, même si lesdits partis n'ont pas toujours été irréprochables sur le plan éthique.
Guerre idéologique
[...] De nombreux députés du PQ arborent le fameux carré rouge, et aux yeux des leaders de la CLASSE, la participation des membres de ce parti au débat est légitime alors qu'a contrario, les intervenants associés de près ou de loin au PLQ ne peuvent participer au débat sans être accusés de faire du lobbying pour le gouvernement. C'est le bien contre le mal, la gauche, humaine et généreuse, contre la droite capitaliste, sauvage et nombriliste. Quelle place laisse-t-on au pragmatisme dans ce débat qui s'est transformé en guerre idéologique où tous les intervenants sont condamnés à l'hémiplégie?
L'accessibilité aux études postsecondaires est importante aux yeux de l'ensemble des Québécois qu'ils soient de droite, de gauche ou plus modérés. L'obsession égalitariste des leaders de la CLASSE me rappelle cette phrase de Raymond Aron, sans doute l'un des plus illustres de tous les inconnus: «L'égalitarisme doctrinaire s'efforce vainement de contraindre la nature, biologique et sociale, et il ne parvient pas à l'égalité, mais à la tyrannie.» Le libertarisme ou libertarianisme radical n'est pas plus envisageable puisqu'il mène immanquablement à l'accroissement des inégalités sociales et économiques. Il faut «déradicaliser» le débat. Personne ne souhaite que la fréquentation universitaire s'amenuise, mais personne ne souhaite que la qualité de l'enseignement universitaire diminue en raison d'un manque de ressources financières.
Équité intergénérationnelle
La hausse proposée est importante, mais raisonnable pour la plupart des étudiants. Pour ceux dont les revenus sont plus modestes, le système de prêts et bourses sera indexé, car partiellement bonifié par la hausse des droits. Faut-il piger dans les poches de ceux qui bénéficieront le plus de cet investissement dans leur instruction ou dans les poches des travailleurs actuels et des générations futures?
Il est ici question d'équité intergénérationnelle. L'argument selon lequel les étudiants rembourseront leurs études en payant des impôts une fois leur diplôme en poche ne tient plus la route dans le contexte socio-économique québécois. L'inversement de la pyramide sociale fait en sorte que nous serons de moins en moins nombreux à contribuer au financement des dépenses publiques alors que le nombre de bénéficiaires ne cessera d'augmenter. Est-il plus souhaitable de couper des fonds dans les régimes de retraite de nos aînés, d'abolir les garderies à 7 $ par jour ou de privatiser, ne serait-ce que partiellement, le système de santé?
Dans le contexte de mondialisation actuelle, peut-on se permettre d'alourdir le fardeau fiscal des entreprises et des mieux nantis au risque bien réel de faire fuir les emplois et la richesse? Telles sont les questions qui devraient être débattues.
Le «poids de l'oppression»?
Le discours des leaders de la CLASSE lors de la manifestation du 22 mars témoigne de la polarisation extrême du débat. Ils y dénoncent les supposées dérives néolibérales du gouvernement et se disent solidaires de tous ceux qui, comme eux, «portent le poids de l'oppression». D'une part, malheureusement, il semble que les leaders du mouvement de contestation confondent libéralisme économique et néolibéralisme. Or, s'il ne fait aucun doute que le gouvernement actuel n'est pas socialiste, il est tout aussi évident qu'il n'est pas en faveur du libre marché absolu que défend l'idéologie néolibérale comme l'a définie Milton Friedman.
D'autre part, l'emploi du terme «oppression» est nettement exagéré, voire grossier. Le gouvernement du Québec a été élu démocratiquement par l'entremise d'un processus infiniment plus transparent que celui qui a permis aux diverses associations étudiantes de se doter de mandats de «grève». J'éprouve un certain malaise devant la démagogie de ces propos lorsque je pense aux milliers, même aux millions d'individus subissant l'oppression de réelles dictatures. [...]
Légitimité de la grève
Pourquoi les associations étudiantes n'ont-elles pas tout fait pour maximiser la représentativité des votes de «grève» et conséquemment, la légitimité des mandats de «grève»? Comment les leaders de la CLASSE peuvent-ils accuser un gouvernement démocratiquement élu d'opprimer la population alors que la représentativité du mouvement de contestation par rapport à l'ensemble de la population étudiante demeure douteuse? Partout à travers la province, sauf exception, les taux de participation aux assemblées générales des diverses associations étudiantes sont risibles.
Ne me dites pas que personne n'a pensé à tenir un vote référendaire ou un vote prolongé qui aurait permis à tous les étudiants d'enregistrer leur vote secrètement dans un local prévu à cet effet et durant une période de quelques jours qui aurait été dûment annoncée au préalable. Si les comités exécutifs de la grande majorité des associations étudiantes de la province ont décidé d'agir de la sorte, c'est peut-être parce qu'ils craignaient les résultats d'une démarche véritablement démocratique. S'agit-il d'une action concertée ou d'une simple coïncidence? À vous d'en juger, disons juste que, parfois, le hasard fait drôlement bien les choses.
***
Karl W. Sasseville, étudiant en communication et politique à l'Université de Montréal

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