Denis Lazure, humaniste et patriote

Denis Lazure (1925-2008)

Avant même de le connaître personnellement j'avais déjà pour Denis Lazure une grande admiration qui n'a fait que croître depuis le jour de 1976 où est née entre nous cette amitié qu'il décrit dans ses mémoires comme «solide et durable», ajoutant fort judicieusement que «c'est chose rare dans le monde politique»! Oui, elle a duré et, désormais, elle est éternelle...
Denis Lazure est l'un des hommes les plus complets et universels que j'ai eu le bonheur de connaître. Rien de ce qui est humain ne lui était étranger.
Commençons par le plus simple. Y a-t-il un autre ancien ministre qui aurait pu choisir de faire carrière dans la ligue nationale de hockey plutôt qu'à l'Assemblée nationale. À ce sujet, un des beaux jours de sa jeunesse remonte à 1950, quand, idole du hockey universitaire, il compte dans une seule partie cinq buts et fournit quatre assistances, établissant ainsi un record de la ligue interuniversitaire et permettant aux Carabins d'écraser littéralement leurs adversaires de l'université Queens de Kingston avec un résultat de 17 à 7! Cette vigueur physique a perduré des décennies plus tard quand, tous les mercredis soir après le Conseil des ministres, nous nous affrontions entre collègues sur les courts de tennis.
La vie de Denis a reflété dans tous les domaines cette même ardeur qu'il a mise essentiellement au service d'un humanisme que l'on pourrait qualifier d'exubérant et dont il a tant fait profiter ses semblables.
Il a été président de l'Association générale des étudiants de l'Université de Montréal. Il a donné à cet engagement une exceptionnelle ampleur ici comme à l'étranger. Il s'est illustré en particulier au fameux congrès international des étudiants à Prague en 1950. C'est alors qu'il a choisi formellement et pour toujours le camp des progressistes et de la solidarité internationale. Mais, comme il le dit dans ses mémoires, il a toujours rejeté le communisme, ce qui n'empêcha pas les États-Unis à l'époque maccarthyste de refouler Denis à leur frontière en 1952. Ce grand pays, hélas, ne fait pas toujours dans la nuance. ..
Psychiatre
C'est encore l'humanisme qui a amené Denis à choisir la science médicale d'abord puis la psychiatrie ensuite, motivé par la passion de lutter contre la douleur morale plus pénible que la douleur physique disait-il. Tout comme Camille Laurin avait été chercher en France les compléments scientifiques qu'il lui fallait, Denis est allé à Philadelphie puiser dans ce qu'il y a de mieux dans le patrimoine américain: la connaissance scientifique. Les inséparables Laurin et Lazure incarnent alors une fusion à la québécoise de la science de deux continents. Ils ont, à l'aide de ce savoir exceptionnel, révolutionné le traitement de la maladie mentale dans notre pays. Que de souffrances atténuées et de chances de bonheur augmentées par l'action de Denis Lazure qui, comme psychiatre clinicien ou gestionnaire du domaine, a changé pour le mieux un grand nombre de vies.
Son parcours aurait déjà été merveilleusement fécond s'il s'était satisfait de ces actions professionnelles, mais sa nature le poussait à faire plus et sur une plus vaste échelle. Il choisit donc de changer les choses dans l'univers de l'action politique. La suite prouva qu'il ne fut pas moins productif dans cette tranche de sa vie où il contribua à améliorer le sort d'un très grand nombre de ses semblables par l'action collective.
Engagement politique
En 1976, René Lévesque lui a confié le ministère des Affaires sociales le jour même où il m'a confié celui du Développement économique. Dès lors, Denis, Pierre Marois et moi-même avons conclu une sorte de pacte jamais renié: une société progressiste doit répartir équitablement la richesse, mais, pour cela, elle doit aussi la créer. Le modèle de concertation qui découla de cette approche fit du Québec une société à bien des égards exemplaire.
On sait aussi que Denis était activement pro-choix, ce qui ne veut pas dire qu'il favorisait l'avortement. Il voulait que les femmes aient le droit fondamental de décider. Mais il souhaitait que la collectivité les aide à choisir de donner la vie si elles le voulaient. Dans cette optique, un fait majeur et qui n'est pas assez connu: c'est Denis Lazure qui a créé avec les moyens du temps les 500 premières places en garderies publiques au Québec.
Toujours obsédé par le devoir de solidarité au secours de toutes les détresses, Denis Lazure s'est attaqué aussi d'une manière incomparable à améliorer le sort des nôtres que le destin avait frappés d'un handicap physique ou mental.
Par la création de l'Office des personnes handicapées, qu'il a d'ailleurs dirigé par la suite, Denis Lazure a placé le Québec à l'avant-garde de cette forme de solidarité. Encore une fois, combien de destins changés, de chances de bonheur augmentées grâce à son action.
Ayant révolutionné la psychiatrie, il est évident qu'il n'avait jamais accepté qu'une faute grave commise avant cette révolution, la triste affaire des Orphelins de Duplessis, ne soit pas convenablement réparée. Elle le fut enfin et, encore une fois, Denis Lazure a joué un rôle crucial dans cette correction historique. Jamais il ne se désintéressera des problèmes de santé publique. Ces derniers temps encore, il militait contre les deux CHUM et la fusion de l'hôpital de Lachine.
Tout ce parcours magnifique fut inspiré au fond par l'amour de l'humanité et l'amour de sa patrie, deux valeurs indissociables et complémentaires. Ainsi, il est allé se dévouer intensément en Haïti. Puis, avant que la Chine ne prenne la voie qui la fera redevenir la première puissance du monde, Denis Lazure s'est passionné pour ce pays. À son retour, sa clairvoyance habituelle l'a amené à tisser des liens exemplaires avec nos compatriotes d'origine chinoise.
Mais c'est la marche de notre nation vers la liberté qui a été au centre de sa vie citoyenne. Il n'a jamais douté de la pertinence de ce choix fondamental et il a consacré une formidable énergie militante à ce grand objectif. La dernière phrase de ses mémoires est touchante à ce sujet: «Puisque mes gènes me transmettent une longévité respectable, j'espère bien pouvoir participer à cette expression de bien-être et de joie qui s'empare d'un peuple lorsque, gonflé de fierté, il décide enfin de prendre en main son destin.»
Denis, comme René Lévesque, Pierre Bourgault et tant d'autres, tu as puissamment contribué à notre progression vers la liberté, mais sans en voir l'aboutissement, tu peux compter sur les gènes diversifiés de la nation tout entière pour que cela arrive le plus rapidement possible.
Denis m'a raconté un jour que dans son Napierville natal, on appelait sa famille, avec l'accent du temps, Lâzure. Bien des choses ont changé dans notre chère patrie depuis ce temps, y compris l'accent. Ta belle âme, Denis, peut s'envoler aujourd'hui dans l'azur, qui est aussi celui de nos couleurs nationales qui flotteront un jour à côté de celles des nations libres. Nous aurons alors pour toi un souvenir ému et une immense gratitude pour ce que notre pays te doit.
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Bernard Landry, Ancien premier ministre


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