Fusion des Bourses: oui, mais...

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Bourse - Québec inc. vs Toronto inc.

Bernard Landry (Photo Rémi Lemée, La Presse)

Le projet de fusion des Bourses de Toronto et de Montréal peut être acceptable à condition de respecter un certain nombre de conditions et de garanties.


«La bourse ou la vie?» C'est par ces mots qu'un de mes conseillers entama son plaidoyer contre la répartition des activités boursières entre Montréal et Toronto proposée en 1998.
Cette dramatisation était superflue, j'étais déjà d'une méfiance totale par rapport à ce projet qui enlevait de Montréal le commerce des actions pour n'y laisser que celui des produits dérivés. Le fait qu'à cette époque, tout comme aujourd'hui d'ailleurs, la Bourse de Montréal était sous le contrôle des grandes institutions financières torontoises n'avait évidemment rien pour me rassurer.
Surtout que notre gouvernement mettait alors de l'avant tout un train de mesures pour rebâtir et consolider la vocation financière de la métropole: liberté d'accès aux actions pour la Caisse de dépôt, dynamisation des Centres financiers internationaux, réforme envisagée de la surveillance financière qui allait donner naissance à la nouvelle AMF, démarches auprès de NASDAQ qui d'ailleurs s'implanta à Montréal, stimulation du capital de risque, prospection à l'étranger, etc. Sans compter, évidemment, une lutte implacable contre tout projet de commission canadienne des valeurs mobilières. Enfin, geste crucial, l'État décida d'apporter un soutien actif à la recherche universitaire dans le domaine de l'innovation financière. L'atmosphère n'était donc nullement au repli ou au laisser-faire. On a même évoqué à l'époque une éventuelle intervention législative. Un comité de sages fut aussi créé pour aider à identifier le véritable intérêt national dans ce mouvement à première vue préoccupant.
On connaît la suite. Il fut rationnellement démontré qu'une exclusivité des produits dérivés aurait beaucoup plus d'intérêt que le commerce partagé des actions traditionnelles. En effet, ces nouveaux produits ne sont pas que vendus par la Bourse, ils y sont conçus et fabriqués. Ils ont donc beaucoup plus de valeur ajoutée et font appel à la créativité, à l'intelligence et à des techniques avancées.
Ils sont aussi plus lucratifs. Montréal avait d'ailleurs déjà une avance intellectuelle en la matière à la faveur d'une convergence exemplaire entre le monde académique, et celui de la finance notamment à cause des travaux de la chaire Desjardins de l'UQAM.
Clé du succès
Ces précieuses connaissances devaient se révéler la clé du succès à venir. Les années qui suivirent allaient démontrer que Montréal exercerait cette vocation exclusive de brillante façon. Une alliance fut même conclue plus tard avec Boston et notre métropole devint un haut lieu des produits dérivés. La meilleure preuve de cette réussite est fournie par la convoitise de Toronto qui, rapidement, souhaita remettre la main sur ces attrayants produits.
J'avais en tête toutes ces considérations passées et présentes quand un journaliste de Radio-Canada m'a demandé mon avis sur l'actuel projet de fusion.
Je lui ai accordé une longue entrevue qu'il a menée consciencieusement et qui, si elle avait été diffusée intégralement, aurait peut-être empêché notre premier ministre, de laisser entendre, surtout pour embêter l'opposition, que j'avalisais purement et simplement l'opération proposée. À sa décharge, seule une infime partie de l'entrevue fut diffusée. En fait, ma position exprimée intégralement n'est pas à ce point incompatible avec celle de la chef du Parti québécois. Elle fait son travail critique, de même que le député de Rousseau.
Ils sont sceptiques comme je l'étais en 1998. Je le suis encore mais en posant de sérieuses conditions et en exigeant de solides garanties, je ne crois pas qu'il faille rejeter à l'avance le projet.
Comme je l'ai dit textuellement dans l'entrevue: «L'heure n'est pas à la naïveté.» Et vu que Montréal et Toronto sont deux métropoles de nations différentes, j'ai même cité la fameuse phrase de George Washington: «Les nations ne se font pas de cadeaux entre elles.» Puisque cela ne fut pas diffusé, je crois important de réitérer les conditions et garanties qui pourraient éventuellement rendre la transaction acceptable et profitable pour l'économie du Québec. Il y en a au moins quatre:
1. L'Autorité des marchés financiers doit examiner soigneusement le projet, tenir des audiences publiques et exercer totalement le rôle d'encadrement qui est le sien. Elle a tous les moyens requis pour assurer la transparence de la décision et sa conformité à l'intérêt collectif et ceux de l'approuver ou non.
2. Il faut aussi une assurance contractuelle solide que Montréal conservera l'exclusivité des produits dérivés qui resteront de ce fait sous le contrôle de l'AMF. Montréal devra également garder la gouvernance du secteur et devra pouvoir continuer à tisser son réseau international et développer les stratégies d'expansion requises.
3. Montréal doit également se voir garantir la même exclusivité pour les nouvelles transactions à portée écologique et en particulier cette bourse du carbone qui devrait être créée sans délai. L'Europe a déjà ouvert plusieurs de ces marchés spécialisés et la Bourse de Chicago a déjà une section verte. Un bel avenir se dessine dans ce secteur vital pour le sort de la planète
4. Des événements qui n'étaient pas connus au moment où j'ai donné mon entrevue mais mis en lumière depuis par François Legault, rendent également impérieuse une transparence et un niveau d'éthique impeccables. Cette décision de fusion n'est pas une transaction ordinaire et ne concerne pas que des actionnaires mais aussi l'intérêt collectif. L'honnêteté et la droiture se présument mais c'est le devoir de l'Autorité de les vérifier.
Si toutes ces conditions sont remplies, il pourrait être intéressant de voir Montréal et Toronto, autrement toutes les deux possiblement en péril, s'épauler dans leur intérêt mutuel, ce qui fut rarement le cas dans le passé, sauf précisément lors de cette aventure réussie de partage des tâches. En y ajoutant cette fois-ci l'écologie, notre métropole devrait certainement y trouver son compte. Rappelons que c'est dans cet esprit que les pays d'Europe, qui ne forment ni une fédération ni une confédération, ont considérablement amélioré leur efficacité financière par diverses convergences intelligentes. On retrouve des stratégies analogues sur presque tous les continents.
Il va de soi que si l'Autorité des marchés financiers n'arrivait pas à assurer clairement ces préalables, une autre autorité souveraine pourrait s'en charger: notre Assemblée nationale. Elle a tous les pouvoirs dans ce domaine pour assurer la sauvegarde de nos intérêts nationaux. Le gouvernement avait songé en 1998 à l'intervention législative. Elle ne fut pas nécessaire à l'époque mais on ne doit pas l'exclure au cas où les circonstances l'exigeraient maintenant.
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Bernard Landry
L'auteur a été premier ministre du Québec de 2001 à 2003.
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