Essais québécois

Des femmes qui changent le monde

Livres - revues - 2010


Existe-t-il quelque chose comme un pouvoir typiquement féminin, propre aux femmes en tant que femmes? Non, répond la journaliste Pascale Navarro dans Les femmes en politique changent-elles le monde?, si on entend par là que la psychologie et la biologie des femmes détermineraient leurs comportements et attitudes. Toutefois, il faut reconnaître que «les différences entre hommes et femmes existent».
Le sexe n'est pas un déterminant absolu, comme le croient les essentialistes, mais «le féminin et le masculin sont des genres, et les genres se construisent sur un ensemble de valeurs, de traits culturels et de croyances». Ces genres s'accompagnent donc d'une vision de la société. Ainsi, le masculin serait lié au «goût du risque», à la hiérarchie et à l'autorité, alors que le féminin privilégierait «l'empathie, la sollicitude, la tendance à préserver la vie».
Si elle insiste avec raison pour dire qu'il importe de «désexuer les valeurs», parce que des hommes peuvent adhérer aux valeurs dites féminines et des femmes, comme Thatcher, incarner les valeurs dites masculines, Navarro conclut néanmoins «qu'un grand nombre de femmes en politique peuvent changer lois, règlements et milieux de vie parce qu'elles transmettent dans l'exercice de leur pouvoir les valeurs sociales du groupe auquel elles appartiennent». En d'autres termes, ce ne sont pas tant les femmes en politique qui changent le monde en mieux que le féminin.
Entrées en politique il y a une centaine d'années, en tant que mères et épouses, les femmes se sont servies de ces statuts comme stratégie pour obtenir des gains: allocations familiales, politiques familiales et réseaux de garderie. Cette approche, toutefois, les a souvent cantonnées aux ministères sociaux, ce qui n'est pas suffisant. Aujourd'hui, de prestigieuses politiciennes, comme Michelle Bachelet et Ségolène Royal, rejouent cette carte de la mère, comme «une variation sur un thème connu, celui de la protection et de la prise en charge d'un groupe», et cette façon d'humaniser la politique les sert bien, tout en permettant, c'est l'essentiel, d'apporter «aux débats et sur la place publique des sujets et des contenus féminins».
Bachelet, au Chili, a réactivé le débat sur le droit à l'avortement et Ellen Johnson-Sirleaf, au Liberia, a fait voter une loi criminalisant le viol, par exemple. Au Québec, la présence des femmes en politique ne compte pas pour peu dans l'avancée des dossiers des garderies, des congés parentaux, de la conciliation travail-famille et de l'équité salariale. Les députées conservatrices canadiennes, toutefois, n'ont pas contesté les compressions du gouvernement Harper dans les programmes de promotion de l'égalité des sexes et la décision d'exclure l'avortement du programme de santé maternelle dans les pays en voie de développement. «La preuve, constate Navarro, que l'expression pouvoir féminin ne veut rien dire. Il faut que les dossiers dits "de femmes" deviennent l'affaire de tous pour être débattus.» La preuve, devrait-on ajouter, que la notion de genre ne résume pas les luttes idéologiques.
Pour que ce féminin qui change le monde puisse trouver sa juste place dans les instances de pouvoir, Navarro souhaite la parité hommes-femmes en politique et n'hésite pas à appuyer des moyens coercitifs, comme les quotas, pour y parvenir. Les 22 politiciennes québécoises qu'elle a rencontrées au cours de son enquête sont plus réservées. Elles considèrent toutes que cette parité est souhaitable, voire nécessaire, mais hésitent à défendre une politique de quotas. Plusieurs, comme feue Vera Danyluk, craignent que ces derniers «donnent à la population la perception que les femmes n'ont pas mérité leur place».
La plupart de ces femmes politiques souhaiteraient plutôt une politique «pratiquée autrement», moins centrée sur l'affrontement et l'agressivité, par exemple, et capable d'accueillir le doute dans l'exercice du pouvoir. En guerrières expérimentées, Pauline Marois et Louise Harel soulignent la naïveté de cette attitude, en rappelant que le conflit, la stratégie et les rapports de force font intrinsèquement partie de la politique et doivent être apprivoisés par les femmes.
Avec ce plaidoyer féministe en faveur d'une présence accrue, jusqu'à la parité, des femmes, mais surtout du féminin, en politique, Pascale Navarro relance un débat nécessaire et passionnant. Son bref ouvrage, toutefois, fait un peu désordre et est poussif sur le plan stylistique. L'organisation des idées y est relâchée et l'ensemble donne l'impression d'un collage de petits bouts de réflexions, laborieusement assemblés.
L'avocate du diable
Columnist à La Presse depuis 1980, Lysiane Gagnon possède un style d'une lumineuse clarté. Ses chroniques n'ont pas le tranchant de celles d'un Bourgault ou la rudesse poétique de celles d'un Foglia, mais elles se caractérisent par une fluidité stylistique remarquable. Même réunies dans un gros ouvrage de près de 400 pages comme L'Esprit de contradiction, elles se lisent très agréablement.
Sur le plan idéologique, toutefois, elles déçoivent assez souvent. Lysiane Gagnon se réclame de la position de «l'avocate du diable». «C'est en quelque sorte le syndrome de la chaloupe, explique-t-elle. Si elle tangue trop d'un côté, mon instinct me pousse à pencher de l'autre côté.» Le résultat est que la chroniqueuse finit par se cantonner dans une position d'extrême centre, dans une modération plate qui flirte sans cesse avec l'insignifiant «gros bon sens». En rendant hommage à son regretté collègue Louis Martin, un «agnostique» de la politique qui aimait citer la formule de Jean Lacouture selon laquelle «le journalisme est un accoucheur de modérés», elle résume un peu son propre programme.
Dans ce recueil, ses chroniques consacrées au statut du français au Québec, plei-nes des clichés habituels (la langue se dégrade, c'est la faute des élites et non du peuple, la qualité du français assurera sa survie au Québec), sont les plus décevantes. Les plus brillantes sont celles que Gagnon consacre au parcours de quelques grandes figures québécoises (René Lévesque, Robert Bourassa, Parizeau, Ryan, D'Allemagne, Bourgault, Chrétien, Trudeau) et dans lesquelles elle s'avère une formidable portraitiste.
«Nous ne sommes que des fétus de paille dans le grand débat public, et c'est très bien ainsi», écrit Gagnon au sujet du travail des chroniqueurs. Pour allumer des feux, ça reste nécessaire.
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louisco@sympatico.ca


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