Corruption libérale

Des millions pour un ex-député

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La corruption est une seconde nature pour les libéraux


Le gouvernement Trudeau a conclu à toute vapeur le printemps dernier un contrat de près d’un quart de milliard de dollars pour acheter à fort prix des ventilateurs médicaux fabriqués par l’entreprise d’un ex-député et organisateur libéral de longue date.


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La firme Baylis Médicale, dirigée par Frank Baylis, ex-député libéral de l’ouest de Montréal jusqu’en septembre 2019, agit comme sous-traitante pour produire 10 000 ventilateurs médicaux pour traiter les patients touchés par la COVID-19. 






Même si c’est Baylis qui fabrique les ventilateurs, c’est une obscure compagnie, FTI Professional Grade, qui a signé le contrat avec le gouvernement fédéral. Cette dernière, qui n’a qu’une équipe de deux personnes selon son site web, a sous-contracté la fabrication à Baylis. 


FTI Professional Grade a été créée seulement sept jours avant d’obtenir le contrat de 237 millions $.


Ce contrat sans appel d’offres a soulevé des questions à Ottawa au cours des dernières semaines. Il n’est pas sans rappeler celui accordé à WE Charity au printemps dernier pour gérer un programme de bénévolat étudiant.


Des questions à Ottawa


Les dirigeants de WE Charity étaient également des proches du premier ministre Justin Trudeau et de plusieurs membres de son gouvernement. 


Le contrat a depuis été annulé et se trouve au cœur d’un bras de fer. Les députés conservateurs ont d’ailleurs déposé une motion hier pour créer un comité pour se pencher à nouveau sur ce scandale.



Frank Baylis (à l’extrême gauche) apparaît dans cette photo de juin 2015 en compagnie d’autres candidats libéraux et de Justin Trudeau.

Photo tirée de Facebook

Frank Baylis (à l’extrême gauche) apparaît dans cette photo de juin 2015 en compagnie d’autres candidats libéraux et de Justin Trudeau.




Ils veulent également poser des questions sur d’autres contrats, dont celui octroyé à Baylis.


Fabriqués à Mississauga en Ontario, les ventilateurs, basés sur un modèle identique fabriqué par Medtronic, ont été vendus 23 700 $ l’unité à Ottawa pour une somme totale de 237 millions $. 


C’est 10 000 $ de plus que le modèle vendu par Medtronic.


En mars, alors qu’on craignait de manquer d’équipements médicaux, Justin Trudeau avait lancé un appel urgent aux manufacturiers canadiens pour fabriquer de l’équipement médical. 


Un processus de soumission spécial a été mis sur pied par Ottawa.


C’est ainsi que des démarches ont été amorcées par l’organisme Ventilators for Canadians auprès du gouvernement. 


Un des membres de ce groupe, Rick Jamieson, est aussi le dirigeant de FTI Professional Grade, qui a décroché le contrat. Jamieson n’a aucune connaissance dans le domaine médical. Il dirige une entreprise de freins pour les voitures.    



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Baylis se défend


En entrevue avec le Bureau d’enquête, il a soutenu que c’est son groupe qui avait approché la firme de l’ex-député Frank Baylis pour produire les ventilateurs, en raison de la certification manufacturière médicale qu’elle détenait. 


« C’est un partenariat génial. Nous les aidons à trouver toutes les pièces dont ils ont besoin et Baylis dispose d’une excellente expertise en contrôle de qualité », a-t-il commenté. 


M. Jamieson n’a pas voulu révéler la somme versée à Baylis Médicale pour la fabrication des appareils. 


De son côté, la firme de l’ex-député libéral a affirmé ne pas avoir été impliquée dans le processus d’octroi du contrat. 


« Tous les engagements avec le gouvernement ont été menés par FTI Professional Grade, qui est le signataire du contrat avec le gouvernement », indique-t-on par courriel.


Comme M. Jamieson, Baylis Médicale soutient que c’est Ventilators for Canadians qui l’a approchée en vue de produire les appareils, plutôt que le contraire. 


Le contact aurait été effectué avec Baylis le 26 mars, et c’est son vice-président, Neil Godara, qui aurait été approché. 







QUI EST FRANK BAYLIS ? 


Impliqué dans le Parti libéral du Canada depuis le début des années 80.


Associé à la campagne de Stéphane Dion pour la direction du parti en 2006.


Député de Pierrefonds–Dollard entre 2015 et 2019.


Président de Baylis Médicale de 1989 à 2015. Il est président du CA depuis 2019. 


LE SCANDALE EN RÉSUMÉ


19 mars 2020  



  • Ventilators for Canadians annonce vouloir produire des ventilateurs pour les gens atteints de la COVID-19.                          


20 mars  



  • Justin Trudeau lance un appel aux manufacturiers pour fabriquer du matériel médical.                          


26 mars  



  • Baylis Médicale dit avoir été approchée par Ventilators for Canadians pour la production.                          


31 mars  



  • FTI Professional Grade est créée par un des membres de Ventilators for canadians.                          


31 mars  



  • Fin de la période de soumission du gouvernement fédéral                          


11 avril  



  • Ottawa signe un contrat de 237 M$ avec FTI.                          


16 avril  



  • FTI signe un contrat pour la production des ventilateurs avec Baylis.                           


Contrat de 100 millions $ de plus  



Fondée à Montréal, Baylis Médicale dispose de bureaux dans l’arrondissement Saint-Laurent. Le ventilateur V4C-560 est fabriqué dans ses installations de Mississauga, en Ontario.

Photos Ben Pelosse et coutoisie

Fondée à Montréal, Baylis Médicale dispose de bureaux dans l’arrondissement Saint-Laurent. Le ventilateur V4C-560 est fabriqué dans ses installations de Mississauga, en Ontario.




Un modèle de ventilateur presque identique à celui de Baylis Médicale est vendu dans le monde environ deux fois moins que le prix payé par le gouvernement fédéral.


Medtronic détaille le PB-560, assemblé en Irlande, « en moyenne moins de 10 000 $ US » (environ 13 100 $ en argent canadien), selon l’information disponible sur le site de l’entreprise. La version de Baylis, elle, vaut 23 700 $ l’unité. Ottawa en a acheté 10 000 exemplaires.


Si on fait le calcul, cela veut dire que le gouvernement fédéral a dû débourser environ 100 millions $ de plus que s’il avait pu acquérir des ventilateurs de Medtronic.


Le 25 mars, le grand patron de Medtronic, Omar Ishrak, avait surpris les milieux manufacturiers du monde entier en annonçant que sa compagnie offrait gratuitement les plans de son ventilateur portatif d’entrée de gamme PB-560 à quiconque voulait s’en servir.


Peu de modifications


Baylis Médicale a utilisé ces plans pour produire sa version, le V4C-560, destinée au gouvernement canadien. La firme a précisé dans un courriel que « le dessin du PB-560 n’avait pas été substantiellement modifié ».


De l’autre côté du globe, le conglomérat vietnamien Vingroup a également utilisé les plans de Medtronic pour fabriquer son propre modèle, le VFS-510, pratiquement semblable à l’original. Prix demandé ? 7000 $ US chacun.


À Montréal, la compagnie de simulateurs d’avion CAE a répondu, elle aussi, à l’appel du gouvernement Trudeau. Elle a développé son propre ventilateur médical, le Air1, à partir de zéro, c’est-à-dire en assumant tous les coûts de développement, contrairement à Baylis.


Le Air1 est un modèle fixe haut de gamme, selon ce que nous a indiqué CAE, et il a été vendu 28 250 $ l’unité au gouvernement fédéral, soit seulement 4550 $ de plus que celui de Baylis. 







DES MODÈLES IDENTIQUES  



  • Medtronic PB-560 (Irlande): Moins de 10 000 $ US (13 120 $ CAN)             

  • Baylis Médicale V4C-560 (Canada): 23 700 $  

  • Vingroup VFS-510 (Vietnam): 7000 $ US (9200 $CAN)                           


Apparence «flagrante» de conflit d’intérêts  


Pour le Parti conservateur, le contrat d’approvisionnement en ventilateurs qui bénéficie à Baylis Médicale suscite de graves interrogations.



Pierre Paul-Hus. Député conservateur

Photo Jean-François Desgagnes

Pierre Paul-Hus. Député conservateur




« L’octroi du contrat à FTI Professional Grade soulève d’énormes questions, à cause des liens et de la proximité de Frank Baylis, qui a été un député libéral jusqu’à 2019 », a souligné en entrevue le député conservateur Pierre Paul-Hus, critique en matière de services publics et d’approvisionnement.


Le député estime qu’il y a une apparence de conflit d’intérêts « flagrante » pour un contrat de « presque un quart de milliard de dollars ».


Il se demande en outre comment il se fait qu’une compagnie créée à la hâte par un homme d’affaires qui fabrique des freins d’automobile reçoive un contrat d’équipements médicaux d’une telle taille de la part d’Ottawa.


M. Paul-Hus estime que cette façon d’agir est difficilement explicable de la part du gouvernement Trudeau.


« L’implication de Frank Baylis là-dedans se situe à quel niveau ? » s’interroge-t-il.


Pas pertinent


Jusqu’à maintenant, le gouvernement Trudeau a balayé du revers de la main les suggestions d’irrégularités dans ce contrat.


Interrogée par le Parti conservateur, à la Chambre des communes au début du mois, la ministre des Services publics et de l’Approvisionnement, Anita Anand, avait affirmé que l’idée d’évoquer des liens de l’ancien député Frank Baylis n’était « pas pertinente ».


« Nous n’avons pas conclu de contrat avec Frank Baylis. Le contrat mentionné est celui qui a été conclu avec FTI, alors la question n’est pas pertinente », avait-elle dit.



  • Écoutez le journaliste Jules Richer du Bureau d’enquête résumer le dossier à QUB radio








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