Des principes mis en brèche

Commission Bastarache



Par-delà la question de la véracité des allégations tous azimuts de trafic d'influence dans le processus de nomination des juges, je me permets comme citoyen et juriste de vous transmettre mes réflexions.
D'entrée de jeu, il est impératif de rappeler que notre régime démocratique repose sur le principe de la séparation des trois pouvoirs, l'exécutif, le législatif et le judiciaire. Les péripéties de ce qu'il est convenu d'appeler l'affaire Bellemare nous enseignent que le régime actuel de nomination des juges constitue un accroc majeur à ce principe dans la mesure où il appartient à la seule prérogative du pouvoir exécutif.
D'autant que Le Devoir nous apprenait que la procédure de sélection d'un juge a été modifiée en 2003 par le présent gouvernement, de telle sorte que toute recommandation du comité de sélection doit faire l'objet d'une délibération du Conseil des ministres, et non pas se limiter à la seule prérogative du ministre de la Justice.
D'autre part, pour justifier le fait que la réglementation québécoise sur la nomination des juges est la meilleure au Canada, certains prétendent qu'elle permet de sélectionner les candidats les plus compétents à partir d'une liste confectionnée à la suite d'une entrevue par un comité de sélection. Or, nonobstant la qualité indéniable du processus, celui-ci n'offre pas de garantie minimale contre l'influence politique.
Également, il est légitime de se demander comment un comité de sélection peut évaluer les qualités personnelles et intellectuelles d'un candidat après une entrevue d'une durée d'environ une heure, même si elle est complétée par une enquête des autorités policières relativement aux antécédents judiciaires du candidat.
La crise actuelle fait également ressortir un deuxième principe selon lequel non seulement justice doit être rendue, mais tout processus judiciaire ou quasi judiciaire doit manifester une apparence de justice. À ce sujet, il n'est qu'à référer aux révélations des médias sur des faits troublants d'influence politique nous permettant d'affirmer que justice n'a pas toujours été rendue, à tout le moins en apparence dans le processus de nomination des juges. Il y a lieu ici de souhaiter que la commission d'enquête présidée par Me Bastarache puisse faire la lumière sur ces faits et recommander des mesures visant à contrer toute influence politique.
Pour éviter que ces deux principes sous-tendant notre démocratie continuent d'être mis en brèche, il est nécessaire de procéder à une réforme systémique majeure dans le processus de nomination des juges. Comme le suggérait Me Jean-Claude Hébert, il faudrait qu'il relève uniquement de l'autorité ultime du Conseil de la magistrature qui assurerait la constitution et le fonctionnement des comités consultatifs dont les recommandations en faveur d'un candidat seraient obligatoirement entérinées par le ministre de la Justice.
Une réforme pourrait consister, comme l'a déjà suggéré Me Denis Paradis, ancien bâtonnier du Barreau du Québec, en l'élection par les membres du Barreau et de la magistrature des candidats à un poste de juge. Une autre proposition consisterait à élire, comme cela existe aux États-Unis, des candidats au suffrage universel. Enfin, la réforme pourrait se faire en créant, à l'instar de la France, une école de la magistrature.
Quoi qu'il en soit, il faut espérer que la commission d'enquête, en dépit des critiques acerbes de nombreux intervenants, saura par ses recommandations judicieuses atténuer la crise actuelle de confiance du public envers nos institutions, notamment notre système judiciaire.
***
Gilles Hogue - Avocat


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé

-->