Syrie et Libye

Deux poids, deux mesures. Mais pourquoi?

Géopolitique — Proche-Orient



Seules la détermination et l'action du peuple syrien pourront venir à bout du régime de Bachar al-Assad. Car il ne faut pas compter sur une intervention musclée de la communauté internationale: elle ne sera pas au rendez-vous. En effet, Assad est plus rusé que Kadhafi. Il dispose d'appuis que celui-ci n'avait plus. Il veille à ne pas commettre l'erreur qui permettrait de qualifier juridiquement la répression qu'il mène de génocide.
Alors qu'elle aurait pu utiliser le cas libyen comme exemple, la communauté internationale reste coite. Et son silence sonne le glas — au moins pour un temps — de la «responsabilité de protéger», cette doctrine adoptée par voie de résolution par l'Assemblée générale des Nations unies en 2005, qui promettait, lorsque les autres mesures (sanctions, par exemple) n'y faisaient rien, d'intervenir pour stopper la violence perpétrée contre les civils.
Pourquoi, dans le cas de la Syrie, la communauté internationale semble-t-elle avoir abdiqué cette responsabilité — elle qui, justement dans le cas libyen, l'avait avalisée en dernier recours il y a un an? Cinq raisons expliquent ce repositionnement du monde, dont les Syriens, victimes de leur régime, font actuellement les frais.
La démission du conseil de sécurité
Cette fois, le Conseil de sécurité fuit dans les faits la «responsabilité de protéger» et ne veut pas avaliser une seconde fois le précédent juridique qu'a entraîné le vote d'ingérence dans les affaires libyennes. La Chine et la Russie sont particulièrement coupables de cette réticence, pour des raisons économiques et politiques (ventes d'armes, accès aux ports syriens, entre autres). Mais les autres grandes puissances — dont les États-Unis — ont également exprimé leurs profondes réserves quant à une décision de recourir à la force.
La possibilité d'une intervention en Syrie se heurte en effet à des circonstances politiques défavorables en Occident. Tout d'abord, l'attention du président Sarkozy, qui, en 2011, s'était fait le défenseur des rebelles libyens auprès de la communauté internationale, est actuellement monopolisée par la campagne électorale française. Ensuite, aux États-Unis, dans un contexte électoral, l'intervention en Libye est très impopulaire, et l'économie se remet de surcroît très péniblement de la crise économique de 2008. L'administration Obama peinerait à justifier une nouvelle implication militaire là où la population ne voit pas d'urgence à défendre l'intérêt national. Enfin, en Europe, l'agitation économique qui a caractérisé la dernière année est en mesure de décourager les pays membres de l'OTAN de se lancer dans une nouvelle campagne militaire. L'énergie pour une intervention n'est plus là.
Un contexte intérieur différent
La situation régionale et interne de la Syrie est bien différente de celle de la Libye, et ce, pour deux raisons. Premièrement, on craint une «libanisation» de la Syrie en raison de la guerre à peine larvée que se livrent depuis quelque temps l'Arabie saoudite et l'Iran. Les courriels récemment dévoilés par le Guardian, faisant état des relations étroites entre Bachar al-Assad et des ministres iraniens, constituent une preuve accablante de l'implication de l'Iran dans la répression exercée par Damas contre sa population. [...]
Deuxièmement, la peur d'une guerre civile, à l'image de l'Irak après la chute de Saddam Hussein, est prise en compte dans l'optique d'une intervention. Contrairement à la Libye, se plaît-on à souligner, les révoltes n'ont toujours pas gagné Damas et Alep et le régime jouit de l'appui des minorités ainsi que d'une partie des sunnites. Il en est de même pour la classe marchande, qui a prospéré sous le règne d'Assad et qui offre un soutien tacite au gouvernement, tout en attendant de voir de quel côté le vent tournera. Les observateurs s'interrogent aussi sur la cohésion de l'armée syrienne, qui, en dépit de quelques défections d'officiers dans la région de Homs et Rastan, demeure relativement solide.
On craint enfin qu'une intervention militaire ne suscite une réponse de Damas et de ses alliés (l'Iran et le Hezbollah). La Syrie, après une présence au Liban de plus de 30 ans, possède de nombreux réseaux à Beyrouth susceptibles de déstabiliser les forces étrangères. De même, le Hezbollah libanais, qui a déjà démontré plus d'une fois sa capacité de nuisance, a encore récemment affiché son soutien officiel au régime de Damas. Et encore faudrait-il qu'une opération militaire «à la libyenne» réussisse, idée qui est loin de faire l'unanimité...
Pas de «leadership from behind» américain
Malgré les capacités militaires limitées de Kadhafi, il aura tout de même fallu neuf mois pour renverser son régime. Or, non seulement les infrastructures militaires syriennes sont plus robustes, mais Bachar al-Assad dispose d'appuis étrangers, ce qui laisserait entrevoir une campagne militaire plus longue, plus coûteuse et certainement encore plus complexe que celle contre le régime libyen.
Or, dans ce cas-ci, seule l'armée américaine dispose des ressources nécessaires pour mener une intervention militaire d'envergure en Syrie. Il n'y a pas de doute que les États-Unis, qui avaient tenu à garder un rôle de second plan en Libye, seraient alors forcés d'assurer le leadership de la mission. Washington, qui peine déjà à contenir une intervention israélienne contre l'Iran, veut sans nul doute éviter d'embraser un peu plus le Moyen-Orient et d'ouvrir «un nouveau front» — surtout en année électorale. Ainsi, la fatigue de la guerre, en Occident, coûte sans nul doute énormément au peuple syrien en révolte.
Enfin, l'instabilité actuelle en Libye montre bien qu'afin d'atteindre les objectifs posés d'emblée par la responsabilité de protéger, l'Occident doit aussi contribuer à la reconstruction du pays suite à une intervention militaire. Rebâtir un pays ravagé par la guerre exigerait une mobilisation à long terme de ressources économiques et militaires. Ici encore, la volonté politique occidentale manque cruellement.
La crainte (erronée) de l'islam fondamentaliste
Malheureusement, la population syrienne paie le prix de l'issue des révoltes tunisiennes, égyptiennes et libyennes. La victoire électorale des islamistes à Tunis et au Caire ainsi que le souvenir des déclarations du Conseil national libyen sur le rétablissement de la charia ont réveillé l'éternelle peur de l'Islam politique en Occident. Analystes, commentateurs, journalistes et autres observateurs n'hésitent plus à évoquer la menace d'un «islam fondamentaliste» qui profiterait de la chute du régime syrien pour imposer son idéologie.
Cette crainte sert la stratégie de Damas, qui se présente comme le «garant de la stabilité» face aux menaces des luttes confessionnelles. Elle sert aussi à justifier les déclarations non interventionnistes des Russes qui placent sur un même pied la violence gouvernementale et celle de l'opposition — les accusant toutes les deux d'être également responsables.
L'espoir naïf des médias sociaux
Le contexte narratif de la crise soulève enfin un certain nombre de questions sur l'efficacité des médias sociaux. Certes, la rapidité et la force des images témoignent de la violence extrême que le régime utilise contre sa propre population. Les vidéos circulant sur le Net ainsi que les témoignages des personnes torturées via Skype ont contribué à accentuer l'isolement de Bachar al-Assad. En revanche, ces images souffrent de ne pas voir la légitimité et l'influence dont jouissent les médias traditionnels — qui, eux, étaient bel et bien présents en sol libyen.
Les médias sociaux sont ainsi associés par le régime à une opération de communication de l'opposition, tandis que l'armée vise directement les quelques journalistes sur place. Ces derniers peinent à pallier le manque de légitimité des vidéos qui circulent sur Internet depuis le début de la révolte. Toutefois, grâce aux médias sociaux, la répression syrienne reste au coeur de l'actualité, ce qui n'est pas une mince réussite en soi. De là à ce que joue la responsabilité de protéger, il y a hélas très peu de chances que cela survienne.
***
Charles-Philippe David, Roseline Lemire-Cadieux et Julien-Jacques Saada, respectivement titulaire, chercheure à l'Observatoire sur les missions de paix et opérations humanitaires et directeur adjoint à l'Observatoire sur le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord de la chaire Raoul-Dandurand de l'UQAM

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Roseline Lemire-Cadieux1 article

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chercheure à l'Observatoire sur les missions de paix et opérations humanitaires





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