Devoirs d'été

Climat politique au Québec

Pour convaincre Jean Charest de quitter Ottawa pour venir barrer la route aux séparatistes, Brian Mulroney lui avait dit, selon son biographe André Pratte: «Si ça va bien, tu deviens premier ministre, l'affaire est réglée. Si ça va mal, tu es battu et tu décides de rentrer dans le secteur privé, tu vas être accueilli à bras ouverts.»

Même si son accession au poste de premier ministre a été plus laborieuse que prévu, M. Charest peut dire «mission accomplie». Selon le dernier sondage CROP, l'appui à la souveraineté sans partenariat avec le reste du Canada n'est plus que de 32 %. On dira que le PQ a lui-même contribué à cette dégringolade, mais le fait demeure que la menace semble écartée pour un bon moment.
Ce qui est plus inquiétant, d'un point de vue fédéraliste, c'est la descente aux enfers du PLQ, qui demeure le seul parti dont l'attachement au Canada est inconditionnel. Loin de marquer un nouveau départ, la dernière session parlementaire a simplement eu pour effet d'accroître davantage l'insatisfaction à l'endroit du gouvernement. Peu importe le domaine, M. Charest est perçu comme le moins apte à résoudre les problèmes auxquels le Québec fait face.
Personne n'a réussi à découvrir le fameux «pont d'or» qu'on lui aurait prétendument fait en 1998, mais si le premier ministre avait le bon goût de se retirer avant que la situation ne devienne carrément catastrophique pour les libéraux, il serait encore accueilli à bras ouverts dans le secteur privé. Au contraire, plus il s'accrochera, moins l'accueil risque d'être chaleureux.
Une rumeur veut que M. Charest ait déjà entrepris de négocier son entrée dans un de ces gros bureaux d'avocats de Montréal où les anciens premiers ministres trouvent fréquemment refuge. Que cette rumeur soit fondée ou non, il devra réfléchir très sérieusement à son avenir durant les vacances d'été. S'il arrive à la conclusion qu'il doit partir, pour son propre intérêt comme pour celui de son parti d'adoption, le plus tôt il annoncera sa décision, le mieux ce sera.
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Depuis qu'elle a annoncé sa candidature à la succession d'André Boisclair, Pauline Marois s'en est tenue à deux déclarations d'intention: mettre le référendum en veilleuse et moderniser la social-démocratie. Il vaut maintenant mieux attendre la rentrée d'automne pour mettre de la chair autour de l'os, mais il n'est certainement pas trop tôt pour commencer à faire le ménage.
M. Boisclair n'avait pas osé remettre en question l'existence du SPQ libre, cette excroissance des centrales syndicales dont Bernard Landry avait commis l'erreur d'autoriser la création et qui est largement responsable du virage à gauche effectué au congrès péquiste de juin 1985.
«Le catalogue des législations progressistes adoptées au cours de son histoire par le PQ a souvent été un copier-coller des résolutions de congrès syndicaux», expliquaient Marc Laviolette et Pierre Dubuc, respectivement président et secrétaire du SPQ libre, dans un texte publié dans Le Devoir le 12 février dernier.
C'est précisément là le problème. Les syndicats ont été et demeurent souvent des agents de progrès, mais le PQ n'a pas avantage à donner l'impression d'être à leur solde. À titre individuel, les membres du SPQ libre sont certainement les bienvenus au PQ, mais cette espèce de parti dans le parti a une influence nuisible et nettement disproportionnée. D'ailleurs, le SPQ libre sait très bien à quoi s'en tenir: ses jours sont comptés.
Déjà, Mme Marois aura fort à faire pour imposer sa modernisation de la social-démocratie, notamment dans le domaine de la santé, aux membres les plus progressistes du caucus, comme Louise Harel et Camil Bouchard. Leur attachement aux valeurs de gauche qui ont présidé à la fondation du parti sera d'autant plus fort que la réalisation du rêve souverainiste est maintenant renvoyée aux calendes grecques.
En attendant de faire son entrée à l'Assemblée nationale, la nouvelle chef devra également redistribuer les rôles au sein de l'aile parlementaire, avec tous les grincements que cela suppose. Bien sûr, tout cela risque d'être douloureux, mais aucune occasion de démontrer que les choses vont vraiment changer au PQ ne doit être négligée. Sinon, les électeurs savent déjà où s'adresser.
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Rien n'est encore assuré pour Mario Dumont, qui a lui aussi des devoirs à faire pendant la saison estivale. Même si son absence durant la crise budgétaire a été vivement critiquée, la popularité personnelle du chef de l'ADQ demeure intacte, mais il n'y a eu aucune progression dans les intentions de vote depuis le 26 mars. Selon le dernier sondage CROP, celles-ci se sont maintenues à 31 %; selon celui de Léger Marketing, il y a un léger tassement à 28 %.
S'il est vrai que le gouvernement Charest a abondamment pigé dans la plate-forme électorale de l'ADQ, ce parti n'a pas été très convaincant dans son rôle d'opposition officielle. À la notable exception du porte-parole en matière de santé, Éric Caire, la performance des députés adéquistes a été nettement inférieure à celle de leurs vis-à-vis péquistes.
La priorité de M. Dumont au cours de l'été devrait être de recruter quelques candidats-vedettes qui pourraient rassurer la population à propos de sa capacité à former un gouvernement crédible. On peut tenir pour acquis que l'ancienne vice-présidente du Conseil du patronat, Diane Bellemare, de même que l'ancien député bloquiste Pierre Brien seront de nouveau sur les rangs, mais cela ne suffit pas. Dans l'histoire récente, il n'y a aucun exemple d'un gouvernement dont aucun membre n'avait pas la moindre expérience ministérielle. La nouveauté a sans doute son charme, mais il y a des limites.
La lecture des derniers sondages n'est cependant pas de nature à convaincre d'éventuels aspirants de se déclarer prématurément. De toute manière, les comtés les plus intéressants pour l'ADQ sont occupés par les nouveaux élus du 26 mars, qui n'auront sans doute aucune envie d'interrompre prématurément cette toute nouvelle carrière. M. Dumont devra se montrer persuasif.
Souhaitons que ces devoirs d'été n'empêcheront pas les trois chefs de goûter les plaisirs de la belle saison. Bon été à tous.
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mdavid@ledevoir.com


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