Droit dans le mur

Cinéma québécois : crise de financement


Le succès est fragile. Prenez le cinéma québécois. Hier encore, on fanfaronnait à l'idée d'accaparer près de 20% de parts de marché, du jamais vu. Aujourd'hui, on se demande si l'on pourra atteindre le quart de ce résultat, alors que l'on plonge en pleine crise de financement de notre cinéma.
On avait pourtant été avertis. En 2001, lorsque Téléfilm Canada a mis en place sa politique des enveloppes à la performance, plusieurs observateurs (j'en suis) ont mis en doute le bien-fondé de cette "hollywoodisation" de notre industrie cinématographique. Il y aurait plus d'argent pour ceux qui réussissent au box-office, donc forcément moins d'argent pour le cinéma aux visées moins populaires, disions-nous.
Non, non, non, nous avait-on répondu à l'époque, en insistant sur le fait que la "politique de la performance" n'affecterait en rien l'ensemble de l'offre, les primes s'ajoutant au budget déjà en place. Cinq ans plus tard, on commence à ressentir les effets pervers de cette décision d'affaires malheureuse.
Alors que la moitié des fonds disponibles au financement du cinéma sert à récompenser des producteurs performants dont les films coûtent de plus en plus cher, un nombre croissant de créateurs sont laissés sur la touche. La plupart, contrairement à Denys Arcand, ne recevront rien, zéro, pas un sou de Téléfilm Canada cette année, pour mener à terme leur projet de film.
À qui la faute? Les réponses sont multiples. Mais un coupable a été désigné depuis longtemps. Lorsque le président de Téléfilm de l'époque, Richard Stursberg, a déclaré à La Presse, en 2001, qu'à choisir "entre un film qui va gagner des prix dans les festivals à travers le monde ou un film qui va réaliser un bon box-office ici, au Canada (...), moi je prends le film populaire", on pouvait se faire une petite idée de ce qui nous attendait.
Les enveloppes à la performance, créées par Téléfilm sous forme de primes versées directement aux producteurs en vertu des leurs bons résultats obtenus au box-office, ont complètement fait chavirer l'équilibre du financement du septième art au pays. Forcément, le processus classique de financement, l'enveloppe dite "sélective", en a souffert. Et le cinéma d'auteur a été réduit à un rôle plus marginal encore qu'auparavant.
Résultat: comme les budgets de films ont fait un bond de 163% depuis six ans, il n'y a aujourd'hui pas assez d'argent pour subventionner tous les films. Joli problème, que l'on aurait pu éviter en partie en s'opposant à cette course folle au box-office qui nous mène inévitablement droit dans le mur.
C'est ce que soulignaient à leur tour 43 cinéastes québécois, la semaine dernière, dans une lettre ouverte aux médias. "Évidemment, nous nous réjouissons quand des films de qualité remportent des succès au box-office, mais rappelons pour mémoire que Les Ordres de Michel Brault, ce pur chef-d'oeuvre, lauréat du prix de mise en scène à Cannes, ne figure pas au palmarès des 100 films québécois ayant fait le plus d'entrées en salles", écrivent-ils.
Le groupe des 43 indique en outre que les joyaux de notre cinéma que sont Réjeanne Padovani d'Arcand, Les Bons Débarras de Francis Mankiewicz, À tout prendre de Claude Jutra, L'Eau chaude, l'eau frette d'André Forcier, La Vraie Nature de Bernadette de Gilles Carle, Le Chat dans le sac de Gilles Groulx et Pour la suite du monde de Pierre Perrault et Michel Brault n'ont pas connu plus de succès aux guichets.
En montrant du doigt les enveloppes à la performance, les cinéastes ne font que rappeler l'évidence: la vitalité d'une cinématographie nationale ne se mesure pas au total des recettes du box-office. Cela semble si simple. Ce ne l'est pas pour tout le monde.
Je suis resté bouche bée devant la réaction des lecteurs à cette crise du financement, sur Cyberpresse. "C'est quoi cette connerie-là de vouloir dépenser nos impôts -et encore pire, créer une nouvelle taxe- pour financer encore plus le cinéma québécois. Je trouve déjà aberrant que celui-ci soit financé par les gouvernements en utilisant l'argent des contribuables qui devrait être alloué à l'éducation et la santé", écrit Philippe, en résumant la pensée de plusieurs autres.
On vous demande de trouver des solutions au sous-financement du cinéma québécois, vous répondez avec un autre débat, insoluble, sur les mérites des subventions à la culture. "C'est pas moi encore, le cochon payeur, qui va financer ça. Laissez-les mourir s'ils ne sont pas capables de trouver du financement eux-mêmes. Fermez la shoppe qu'on passe à autre chose." Parfois, amis lecteurs, vous me désespérez.


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