ÉGALITÉ, ÉGALITÉ, LAÏCITÉ

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«Mais le voile, c’est toute une façon de concevoir les relations hommes-femmes. La façade visible d’un système. »

Je rencontre Djemila Benhabib, auteure, candidate péquiste aux dernières élections et surtout féministe d’origine algérienne, au restaurant Helena, dans le Vieux-Montréal. Elle revient à peine d’Afghanistan.
C’est là qu’elle se trouvait quand la Charte des valeurs québécoises a été déposée, au début du mois. C’est là qu’elle était quand tout le monde la cherchait pour commenter le fameux document, sachant qu’elle milite depuis des années contre l’intégrisme religieux, contre l’acceptation du voile islamique dans la fonction publique, surtout dans l’enseignement, et pour une laïcité plus claire au Québec.
Djemila était à Kaboul pour le travail et elle a dû y porter le voile parce que là-bas, les femmes n’ont tout simplement pas le choix. Quel paradoxe pour celle qui a quitté son pays d’origine quand ce genre d’obligation politique s’est abattue sur les femmes. « J’avais de la difficulté à entendre », dit-elle en parlant du tissu qui couvrait ses oreilles il y a encore quelques jours.
Djemila Benhabib s’est fait connaître ici en publiant il y a quatre ans un premier livre, intitulé Ma vie à contre-Coran, où elle raconte son cheminement de l’Algérie à Montréal, comment elle est devenue une militante pro-laïcité et pourquoi elle estime que l’égalité entre hommes et femmes dans nos sociétés est menacée, notamment, par les percées ici de l’intégrisme religieux musulman. L’an dernier, elle s’est présentée pour le Parti québécois à Trois-Rivières, où elle habite maintenant. Elle a quitté son emploi dans la fonction publique fédérale et enseigne à l’Université du Québec de l’endroit.
Djemila revient d’Afghanistan, donc, et entre un caldo verde et un pavé de flétan, on parle de son voyage. Des femmes qui n’avaient pas le droit de sourire, de rire, de danser ou de chanter du temps des talibans et qui aujourd’hui veulent vivre plus que jamais. « Il y a une obsession, une rage, une passion pour la vie chez les femmes là-bas », dit-elle. « Ces femmes résistent. »
On n’a pas idée de ce qu’elles ont pu endurer sous l’ancien régime. Il reste encore des aberrations, comme cette femme que Djemila a vue, transportée dans le coffre d’une voiture plutôt qu’à l’avant, avec un seul homme dans l’habitacle. L’époque talibane fut tragique. Interdiction de travailler, interdiction de se faire soigner. « Même marcher dans la rue, pour elles, c’était comme aller sur la Lune. »
Les contraintes inégalitaires imposées aux femmes dans les communautés musulmanes obsèdent Djemila. Le code moral que le voile impose. Comment il nous pousse, même ici, vers des attitudes différentes. Dès que le voile arrive dans une pièce, on cesse de parler du même sujet, comme si on reculait dans le temps.
Le bout de tissu comme tel ne la gêne pas, mais plutôt les relations inégalitaires dont il est l’expression la plus évidente. « Si ça s’arrêtait là… Mais le voile, c’est toute une façon de concevoir les relations hommes-femmes. La façade visible d’un système. »
À ceux qui disent que pour un vaste nombre de femmes musulmanes, le voile est un choix, Mme Benhabib répond en parlant d’aliénation, d’endoctrinement, d’intériorisation, d’une éducation qui imbibe l’âme de réalités qu’on croit incontournables, de l’imposition d’un modèle de féminité qu’on finit par établir comme unique, incontournable. « Les ruptures sont très importantes pour s’en découdre », dit-elle. Nécessité d’une force et d’un courage immenses. Possibilité de cassures affectives graves. « Ça demande une force de caractère inouïe. »
C’est pourquoi Mme Benhabib croit qu’il faut apporter des arguments à celles qui veulent s’en défaire et n’osent pas. Se préoccuper au moins autant de ces femmes que de celles qui pourraient quitter le territoire ou ne pas postuler à un emploi si le voile devenait interdit.
« On parle toujours d’empêcher quelques femmes voilées de travailler, mais on ne parle pas de celles pour qui ce serait une libération. »
Et puis, ajoute-t-elle, « pourquoi mettre dos à dos émancipation citoyenne et financière » ?
Pourquoi placer le travail avant la liberté et l’égalité ?
Mme Benhabib se dit très sensible à l’argument de l’accès au travail. Et de la liberté religieuse aussi. Elle est prête à en discuter. Veut ouvrir le dialogue. Avoir la chance d’expliquer aux orthodoxes que, selon elle, la neutralité de l’État est ce qui défend le mieux la liberté religieuse.
Mme Benhabib revient d’Afghanistan, mais elle revient aussi toujours un peu de France où habitent ses parents. En banlieue parisienne, à Saint-Denis, « au cœur de l’islamisme ». Depuis leur déménagement là-bas dans les années 90, elle a vu l’environnement changer, l’estompement graduel de la mixité sociale. « Maintenant, on voit des femmes portant le voile intégral. Il y a même des coiffeurs halal », note-t-elle.
Un seul voile intégral ne la dérange pas nécessairement.
La progression, si.


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