Choisissez vous-mêmes: soit l’article 155 de la Constitution, l’approbation d’un décret par le gouvernement qui se fonde sur la Loi de sécurité nationale, soit le recours aux pouvoirs que la très discutable réforme légale approuvée par le parlement espagnol en 2015 attribue au Tribunal Constitutionnel? Le débat au sein de l’establishment et parmi ses «experts» semble se concentrer uniquement sur le choix de la meilleure voie légale pour prendre des mesures de contrainte permettant d’empêcher la tenue du référendum annoncé en Catalogne pour le 1er octobre.
Quelques propositions sont à peine écoutées, ce sont celles en direction desquelles pointe timidement le «nouveau» PSOE, telle que la création d’une sous-commission parlementaire du Congrès ou le lancement d’un processus de réforme constitutionnel, au parcours sinueux, qui se limiterait à reconnaître l’existence de «nations culturelles» au sein de l’Etat espagnol. La seule possibilité d’approuver par la voie urgente une réforme de la Loi organique sur le référendum qui permettrait la tenue, avec toutes les garanties nécessaires, d’une consultation des citoyens et citoyennes catalans n’est pas même avancée par une quelconque force politique ou par «l’opinion publiée» [jeu de mots pour désigner les «faiseurs d’opinion», les médias].
Malheureusement, cette réaction d’un nationalisme espagnol dominant était à attendre. Ce qui est préoccupant, en revanche, c’est qu’il commence à contaminer des secteurs qui se définissent en opposition contre l’establishment, recourant à différents arguments, mais aboutissant à la même conclusion: non au référendum du 1er octobre. Il semble qu’il en aille ainsi de quelques dirigeants de Podemos, dans la mesure où, au cours des derniers jours, ils ont montré leur absence de cohérence dans leur défense ferme du droit à décider [de la population de Catalogne] et de la reconnaissance des différentes nations [composant la «réalité» dans le cadre de «l’Etat espagnol»] sur un pied d’égalité pour désormais se limiter à insister sur la nécessité d’un référendum négocié, tout en sachant bien qu’à ce stade il a été suffisamment prouvé qu’il est impossible d’aboutir à un quelconque accord avec ce gouvernement autour de cette question.
Il est vrai que le référendum annoncé, pour le moins de ce que l’on en connaît jusqu’à aujourd’hui, n’apporte pas toutes les garanties désirables, mais il est tout aussi vrai que dans les circonstances présentes de blocage de la part du pouvoir central, le référendum apparaît comme le seul possible. Dans ces conditions, ce qui peut se passer au cours des prochains mois en Catalogne se transforme en question clé de la situation à l’échelle de l’Etat. En ce sens, Xosé Manuel Beiras [dirigeant nationaliste galicien, porte-parole d’Anova-Irmandade nacionalista], a tout à fait raison, dans sa défense récente de la nécessité de soutenir la participation à ce référendum, car de sa tenue ou non dépend l’avenir non seulement du peuple catalan, mais aussi de l’ensemble des peuples de l’Etat face à un régime et à un gouvernement corrompus [jour après jours éclatent des scandales de corruption dans et autour du Parti Populaire, dont une aile traduit la continuité avec l’ancien régime franquiste].
Il convient également de clarifier qu’un soutien à la tenue de ce référendum n’implique pas d’être en faveur de l’indépendance. Cela signifie simplement de revendiquer le droit à voter oui, non ou à s’abstenir à la question suivante: «souhaitez-vous que la Catalogne soit un Etat indépendant en forme de république?» Car, comme cela est bien connu, une majorité très diverse réclame la possibilité de voter sans pour autant opter pour la séparation avec l’Etat espagnol.
Ce qui est en jeu, c’est que l’avenir se dirige dans une direction favorable au régime ou, au contraire, chemine – y compris si un Non s’impose – le long d’une reprise des valeurs républicaines, de stimulation de processus de démocratisation au sein de l’ensemble de l’Etat ainsi que de reconstruction de nouveaux récits de peuples libres, égaux et solidaires.
Il n’y a donc pas, par conséquent, d’équidistance possible entre, d’un côté, un nationalisme espagnol essentialiste et excluant (qui s’obstine à blinder les articles de la Constitution approuvée dans les conditions d’une transition asymétrique qui, presque 40 ans plus tard, doit être définitivement dépassée) et, de l’autre, la volonté exprimée de manières répétées par une majorité ample et plurielle de la société catalane de voter afin de pouvoir décider de son avenir. Pour cette raison même, plus nous soutenons cette aspiration démocratique en dehors de Catalogne, plus il sera possible de lui donner une légitimité renforcée et, surtout, de contrer les menaces, déjà en voie d’application, de mesures de contrainte de la part de l’Etat [contre la tenue du référendum].
En arrière-plan de ce conflit, nous nous trouvons à nouveau face au vieux débat portant sur la légalité et la légitimité. Dans ce cas, ceux qui promeuvent le référendum du 1er octobre ne manquent pas de raisons de soutenir que – depuis la décision du Tribunal constitutionnel sur la réforme du Statut catalan qui a été approuvé et réduit par le parlement espagnol et ensuite ratifié en Catalogne – s’est produite une véritable rupture du pacte constitutionnel de 1978 [marquant la dite «transition du franquisme» à la monarchie], ainsi que l’avait clairement dénoncé en son temps Javier Pérez Royo [professeur de droit constitutionnel]. Cette rupture a donc eu pour résultat une explosion du bloc de «constitutionnalité», aboutissant en conséquence aux exigences de la conclusion d’un nouvel accord sur la base d’une consultation antérieure de la volonté de la société catalane.
Il ne manque pas non plus de raisons pour argumenter, face à un tel fondamentalisme constitutionnel ou à la longue liste de commentateurs qui se posent en connaisseurs de la législation internationale, que les cas du Québec et de l’Ecosse, aussi différents soient-ils, démontrent que lorsque existe une volonté politique, il est possible de trouver une voie légale pour tenir un référendum au sein de la communauté concernée par un oui ou un non autour d’une option indépendantiste.
Il faut ajouter à cela que le Tribunal international de justice a statué en 2010 que s’il est exact que le droit international ne reconnaît pas le droit à la séparation, il ne l’interdit cependant pas. Ce même Tribunal établissait uniquement diverses obligations pour qu’elle soit acceptée: le rejet du recours à la force, la constatation que la recherche d’un règlement négocié est épuisée, ainsi qu’une procédure démocratique qui démontre l’exigence d’une majorité de la population en sa faveur. Au vu de ces critères, il est aisé de vérifier que, dans le cas catalan les deux premières obligations sont déjà réunies, tandis que la troisième reste à vérifier dans la mesure où ce référendum pourra se tenir à la date annoncée. Il est exact que la Llei [loi en catalan] sur le référendum n’établit pas un seuil minimal de participation [pour que le résultat soit validé] et de voix favorables, mais on peut difficilement imaginer que les partisans de l’indépendance oseraient la proclamer si le Oui l’emportait avec une participation très basse.
L’absence de pourcentage dans cette Llei, comme cela a déjà été expliqué en Catalogne, mais très peu dans le reste de l’Etat, tient au fait qu’elle s’appuie sur le Code de bonne pratique en matière référendaire de la Commission européenne pour la démocratie par le droit (connue sous le nom de Commission de Venise du Conseil de l’Europe), approuvé en janvier 2009. Ce document recommande: «Sont déconseillés: a. Le quorum (taux minimal) de participation, car il assimile les abstentionnistes aux partisans du non; b. Le quorum d’approbation (acceptation par un pourcentage minimal des électeurs inscrits), car il risque de créer une situation politique difficile si le projet est adopté par une majorité simple inférieure au quorum exigé» [texte de l’édition en français du document, p. 15].
Même si l’on se réfère à la Constitution espagnole, il serait utile de se souvenir que le Tribunal constitutionnel lui-même, dans sa décision du 25 mars 2014 sur la Déclaration du Parlament de Catalunya de décembre 2013, faisait appel au dialogue pour aborder les problèmes «découlant de la volonté d’une partie de l’Etat à modifier son statut juridique», reconnaissant que le droit à décider tant décrié «exprime une aspiration politique susceptible d’être défendue dans le cadre de la Constitution». Qu’ont donc déclaré, depuis lors, les partis défenseurs de «l’Immaculée constitution» (pour reprendre la formule de feu Pepín Vidal Beneyto, philosophe bet sociologue) pour chercher à faire entrer cette revendication dans le «cadre constitutionnel» au moyen des différentes voies légales à disposition (l’article 92, l’article 150.2 ou encore la réforme de la Loi organique sur le référendum)? Rien.
A ce stade et au-delà de la question de savoir si nous sommes d’accord ou non avec la feuille de route établie par la majorité des forces parlementaires en Catalogne et en attendant que soient dépassées les faiblesses que présente encore la Llei de référendum qui n’a pas encore été approuvée, une conclusion s’impose: il ne manque pas de raisons pour considérer que, une fois épuisées les possibilités de dialogue, le référendum annoncé est légitime et légal suite au dénouement engendré par la décision du Tribunal constitutionnel sur le Estatut [de la Catalogne], au vu de la jurisprudence internationale établie et une fois vérifiée l’absence de volonté politique du gouvernement pour aboutir à un accord quelconque.
Si, en outre, nous ajoutons à tout cela que les arguments qui sont opposés à ceux ici mentionnés proviennent de ceux qui ont recouru à la constitutionnalité douteuse de la réforme de l’article 135 de la Magna Carta (véritable dépouillement du caractère «social» de l’Etat), continuent à affaiblir d’autres articles comme celui concernant le caractère non confessionnel de l’Etat et même des droits fondamentaux comme la liberté d’expression, sur quelle légitimité et légalité peut s’appuyer ce gouvernement pour rendre illégal le référendum annoncé?
Un gouvernement d’un parti [le PP] qui, pour gagner les élections, a eu recours plus d’une fois aux financements illégaux et qui reste touché par les scandales successifs d’une corruption structurelle, décrite crûment par le commissaire Barrado lors d’un documentaire récent intitulé Les cloaques du Ministère de l’intérieur: «le système est tellement corrompu qu’il expulse les gens décents.»
Va-t-on répondre désormais a ce Escolta, Espanya réclamé déjà par Joan Maragall [1860-1911, poète catalan] en plein «désastre de 1898» [lors d’une brève guerre avec les Etats-Unis, l’Espagne a perdu presque l’ensemble des restes de son empire colonial: Cuba, Puerto Rico et les Philippines; cet épisode a été à l’origine de vastes débats, culturels, politiques et littéraires, sur les origines de ce désastre et de comment «restaurer» l’Espagne] ou, au contraire, sera-ce l’Adèu, Espany qui se fera entendre, plus vite qu’on ne le pense? (Article publié le 9 juillet 2017 sur le site VientoSur.info; traduction A l’Encontre)
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