Entre deux maux…

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«Quand un peuple n'ose plus défendre sa langue, il est mûr pour l'esclavage.» - Rémy de Gourmont

À peine quelques mois après la victoire libérale du 14 avril 2003, des dizaines de milliers de personnes étaient descendues dans les rues de Montréal en criant : « Je n’ai pas voté pour ça! » Durant la campagne, Jean Charest avait présenté l’ADQ comme un danger mortel pour l’État hérité de la Révolution tranquille, et voilà que les libéraux entreprenaient eux-mêmes de le démanteler avec leur projet de « réingénierie ».

Si le PLQ reprend le pouvoir le 7 avril, personne ne pourra accuser Philippe Couillard de ne pas avoir annoncé ses couleurs. On peut lui reprocher bien des choses, mais aucun chef libéral n’a annoncé ses couleurs aussi clairement depuis des décennies.

En 1988, Robert Bourassa avait choisi d’utiliser la disposition de dérogation pour soustraire la loi 101 au jugement de la Cour suprême sur l’affichage commercial, quitte à saboter l’accord du lac Meech, parce qu’il craignait de perdre les élections s’il rétablissait l’affichage bilingue. On a appris par la suite qu’il prévoyait déjà se conformer au jugement une fois réélu, ce qu’il a fait en 1993 avec la loi 86.

M. Couillard est moins retors — ou moins habile, si on préfère — que ne l’était M. Bourassa. Il a certainement été maladroit de dire que, même sur le plancher de l’usine, les Québécois devraient être en mesure de parler anglais, mais on sait au moins à quoi s’en tenir : un gouvernement qu’il dirigerait ne ferait pas semblant de vouloir faire obstacle à la progression du bilinguisme. Au contraire, il la favoriserait. Il l’a dit clairement lors du dernier débat télévisé entre les chefs : la précarité de la situation du français n’existe que dans l’esprit paranoïaque et manipulateur du PQ.

Il est vrai que Pauline Marois a déjà déclaré que tous les élèves québécois devraient être bilingues, allant même jusqu’à suggérer que l’histoire et la géographie soient enseignées en anglais en 5e année du primaire, mais cette sottise n’a pas eu de suite. Au contraire, le PQ a promis de revenir à la charge pour renforcer la loi 101.

Même après l’échec de l’accord du lac Meech, M. Bourassa avait fait en sorte d’entretenir le mirage du renouvellement du fédéralisme. Si Jean Charest n’y croyait plus vraiment après le rejet de l’entente de Charlottetown, il avait aussi laissé Benoît Pelletier faire miroiter la possibilité d’un « fédéralisme convivial ». Après ses velléités initiales de rouvrir le dossier constitutionnel, M. Couillard a eu l’honnêteté de dire franchement que le statu quo lui est tout à fait acceptable.
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Choisir d’aller travailler en Arabie Saoudite pendant quatre ans ne signifie pas qu’on en épouse les valeurs, même si cela peut témoigner d’un niveau de tolérance au spectacle de la discrimination envers les femmes que d’autres trouveraient insupportable. En revanche, le chef libéral semble adhérer pleinement aux trois grandes « valeurs » canadiennes que sont le fédéralisme, le bilinguisme et le multiculturalisme.

Janette Bertrand a indiscutablement dit une sottise en associant l’intégrisme aux « riches étudiants de McGill ». M. Couillard a eu raison de crier à la manipulation, mais réduire la charte de la laïcité à une « vaste machination référendaire » traduit une insensibilité au malaise identitaire que ressentent les francophones et auquel les libéraux ne cherchent même pas à répondre.

Les stratèges péquistes auraient certainement été ravis que la Cour suprême déclare la Charte inconstitutionnelle et provoque ainsi une colère dont le camp souverainiste aurait pu tirer profit. L’utilisation de la clause dérogatoire pourrait cependant avoir le même effet en déclenchant une nouvelle vague de Quebec bashing au Canada anglais.
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De passage au Devoir lundi, la porte-parole de Québec solidaire, Françoise David, a de nouveau refusé de dire ce qui constituerait à ses yeux la plus mauvaise nouvelle lundi prochain : l’élection d’un gouvernement péquiste ou d’un gouvernement libéral ? « Les deux me découragent pas mal. » Tout ce qu’elle souhaite est que son parti détienne la balance du pouvoir.

Malgré des divergences importantes sur les compressions budgétaires ou l’exploitation pétrolière, sans parler de l’arrivée de Pierre Karl Péladeau, il semble pourtant évident que sur la souveraineté, la langue et, dans une moindre mesure, la laïcité, les positions de QS sont plus proches de celles du PQ. Il est tout aussi clair que chaque vote que QS réussira à arracher au PQ avantagera les libéraux.

Entre deux maux, on peut toujours choisir le pire. Il peut aussi arriver qu’on le fasse de façon inconsciente. Cette fois-ci, il ne peut cependant y avoir aucune ambiguïté : un vote pour le PLQ sera plus que jamais un vote pour l’intégration politique, linguistique et culturelle au reste du Canada.


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