Charte des valeurs québécoises

Entre le pour et le contre

Tribune libre


Photo: Le Devoir
J'ai décidé de me soustraire au débat sur la charte des valeurs québécoises, de la laïcité ou des accommodements religieux ou raisonnables, appelez-la comme vous voulez. Si j'en suis venu à cette conclusion, c'est que j'ai décidé de me sortir la tête du bain pour analyser le portrait global. Cette réflexion fût des plus révélatrices et des plus surprenantes.
Comme dans toutes bonnes gestions de dilemme moral, je couche sur papier le pour et le contre afin de me forger une opinion. C'est encore cet exercice que j'ai utilisé cette fois-ci.
Pourquoi devrais-je être POUR la charte?
-* Je crois qu'une nation qui aspire à devenir un pays se doit de faire les débats de fond avant même d’entamer les mécanismes d'accession à sa souveraineté. Ne serait-ce que pour savoir d'où elle vient et où elle s'en va, il est important de sonder la nation sur tous les débats ayant causé des tensions dans les dernières décennies afin de régler ces questions une fois pour toutes. Celui-ci en fait évidemment partie.
-* Je crois que le Québec se doit d'être un état laïque, mais également d'avoir apparence de laïcité. Pour obtenir cette dernière, tous les symboles religieux doivent impérativement disparaître, et ce sans considération de la religion. La neutralité politique et religieuse en dépend directement.
-* Je crois que nous, Québécois de tous azimuts, avons déjà, au fil du temps, laïcisé nos institutions depuis que les religieuses et religieux ont retiré leurs soutanes dans les écoles et collèges, que nous avons retiré l’enseignement religieux catholique des plans de cours au profit de l'enseignement moral et plus récemment du cours d'éthique et de culture religieuse, mieux adapté au modèle de liberté de choix des individus. De plus, toutes les nouvelles institutions publiques, que ce soit les écoles, les hôpitaux, les établissement carcéraux, etc. ne sont plus nommées depuis des entités ni personnages religieux. Nous avons aussi, tranquillement mais sûrement et ce, depuis la Grande Noirceur, sorti le clergé des instances décisionnelles de nos appareils gouvernementaux. Cette charte vient officialiser le tout en indiquant que le Québec (l'État) n'a aucune religion.
-* Je crois que nous devons accueillir les nouveaux arrivants comme bon se doit, de manière à ce qu'ils puissent facilement s’intégrer à leur nouvelle terre d'accueil. Le port de symboles religieux, dans plusieurs cas, peut créer des perceptions négatives, souvent propulsées par l'ignorance, et une catégorisation apportant des conséquences aussi malheureuses que le racisme et la xénophobie. L'absence de symbole pourrait, au contraire, favoriser l'approche entre les personnes qui pourraient ainsi découvrir que les autres ne sont pas si différents de nous au final, et qu'ils ont beaucoup à offrir. Cela vouerait sans doute les stéréotypes à disparaître du vocabulaire et de l'imaginaire collectif au fil du temps.
-* Je crois qu'il est normal que le Québec ouvre ses portes mais non pas sans y mettre quelques conditions. Quand j'invite des gens chez moi, je veux qu'ils se sentent la bienvenue et qu'ils bénéficient du meilleur confort que je peux leur offrir, mais jamais sans leur demander poliment d'enlever leurs bottes en entrant. Normalement, mes invités obtempèrent sans offrir de résistance car ils considèrent ma demande légitime. Je pense qu'en tant que nation, nous nous devons de faire pareil.
-* D'autres pays, comme la France et la Turquie, ont appliqué la laïcité dans leur institutions et ne sont pas qualifiés de pays islamophobes, racistes et xénophobes pour autant. Ces qualificatifs sont, à mon humble avis, très sévères, généralement faux et trop facilement émis.
Pourquoi devrais-je être CONTRE la charte?
-* Je crois que ce genre de débat est inapproprié dans le contexte actuel. C'est le genre de dossier que seul un gouvernement majoritaire ayant un agenda d'un minium de quatre ans pourrait réaliser. Le PQ joue gros en mettant de l'avant un tel projet en espérant que les prochaines élections leur amènera la majorité tant convoitée, leur permettant ainsi de faire passer cette loi et d'autres (dont certaines pouvant être moins écologiques et morales). Advenant le cas où ils échouent dans cette tentative, le résultat n'aura été que d'avoir semé la zizanie dans la population, et ce au profit des libéraux .
-* Je crois que ce débat causera beaucoup de dommages collatéraux. C'est déjà commencé dans plusieurs instances politiques, malheureusement surtout dans le camp souverainiste. L’expulsion de Maria Mourani, une femme que je respecte beaucoup, du caucus du Bloc Québécois prouve ce qu'elle avançait à propos des effets négatifs pour le mouvement indépendantiste. Nous le voyons aussi au sein d'Option nationale où tout le monde n'est pas d'accord sur la question, et je suis pas mal certain que le malaise existe aussi chez Québec solidaire, chez les mouvements citoyens et même au sein d'instances du parti Québécois.
-* De manière totalement non-partisane, je respecte énormément M. Drainville, un homme de convictions qui a, selon moi, démontré plus d'une fois qu'il pouvait être un excellent communicateur et vulgarisateur. Cependant, je suis moins à l'aise avec le fait qu'il joue son avenir politique (et celui du gouvernement qu'il représente) sur un dossier aussi sensible que les valeurs fondamentales des individus et la peur de certains. On pourrait y voir ici une manœuvre grossièrement électoraliste.
-* Je soupçonne que ce débat initié par le PQ a aussi comme but de détourner l'attention de sa vue sur la filière pétrolière et de sa gestion désolante des dossiers environnementaux. On force la porte d'en avant pour entrer par la porte d'en arrière? Mettre le feu à un sac en papier contenant un caca de chien? Diviser pour mieux régner? Sans accusations hâtives, ces questions et bien d'autres méritent une réflexion approfondie.
-* On a beau dire qu'il s'agisse des valeurs collectives, nous savons bien que les valeurs individuelles seront désormais affectées, jugées et pointées du doigt. Aucun mécanisme ne pourra gérer adéquatement les crimes haineux qui pourraient être occasionnés afin d'être juste et équitable. Cette dimension devrait être couverte.
-* Dans le but d'être conséquents avec une pareille charte, il faudrait ne pas y appliquer d'exception comme celle du sacro-saint crucifix de l'Assemblée nationale. Un état laïque devra commencer par donner l'exemple. Une charte avec des conditions et des portes de sortie n'a pas autant de « valeur », sans vouloir faire de mauvais jeu de mot.
-* Cette charte est incomplète à plusieurs égards, notamment puisqu'elle ne considère pas la position des différents peuples autochtones. Il faudrait toujours se rappeler qu'ils étaient déjà ici et bien établis au moment où les nouveaux arrivants étaient les européens tous blancs et bien cathos. Ne pas les inclure au débat ni les consulter constitue un oubli très grave.
Mon constat
Au final, je réalise que je suis plutôt favorable à un document clair et concis sur la laïcité et la neutralité religieuse de l'État, mais que je crois qu'il est teinté de maladresse et de confusion, calculée ou non. Quoiqu'il en soit, je ne suis pas prêt à défendre bec et ongles cette charte, ni à la condamner.
C'est pour cette raison que je m'abstiendrai de sauter dans le champ de bataille car je ne saurais qui frapper. J'éviterai donc de donner et de recevoir des coups inutilement en mettant mes énergies ailleurs dans le but assumé d'éviter que mes relations familiales et personnelles n'en souffrent. Je connais et respecte trop de gens qui ont des opinions bien campées (dont certains qui sont vraiment très fâchés) de chacun des côtés pour que je m'avance sans position claire.
Ma réflexion est constamment en évolution, et que je préfère pour le moment laisser les spécialistes, les théologiens et les convaincus argumenter. Je ne pourrais pas prétendre que mes connaissances des différentes religions, croyances, mœurs et coutumes sont suffisantes pour amener des nouveaux arguments au débat. Il y a suffisamment de salive et d'encre qui coule depuis quelques temps à ce sujet, et je ne voudrais pas être une voix supplémentaire dans cette cacophonie impliquant plusieurs bien pensants véhiculant une désolante démagogie. Je n'ai pas envie d'être une courroie de transmission de ces malaises interpersonnels.
Je suis membre et militant d'Option nationale, pour qui je suis président de l'exécutif de circonscription d'Abitibi-Est et pour qui j'ai défendu les couleurs lors de la dernière élection générale de septembre 2012, ainsi que membre du Bloc Québécois. Je suis un fier indépendantiste convaincu qui ne se positionnera pas, du moins pour le moment, au sujet de la charte. J'invite tous les indécis à faire de même au lieu de s'engager dans l'arène sans être certains de la position qu'ils défendent.
Je vais plutôt me concentrer sur ce qui est fondamental pour moi, c'est à dire faire la promotion de l'indépendance de notre beau et grand pays, prôner le respect de l'environnement et l'égalité des chances, et mener une lutte aux faux arguments.
Aucune leçon à recevoir du Canada anglais
Dans le même ordre d'idées, j'exhorte les politiciens du Canada anglais à ne pas s'ingérer dans un débat qui ne les concerne en rien. Je déplore la fâcheuse manie qu'ont ces politiciens, souvent les plus fédéralistes, à essayer de prendre le contrôle de débats qui ne les regardent même pas afin de faire passer le peuple québécois - et surtout le mouvement souverainiste - comme un peuple marginal, xénophobe et fermé sur lui-même, ce qui est évidemment une ineptie sans nom. Nous n'avons aucune leçon à recevoir d'eux en matière d'intégration et de respect des peuples, l'Histoire se souvient.
C'est tout ce que je peux faire pour contribuer au débat, du moins pour l'instant car il n'y a que les fous qui ne changent jamais d'idée. En attendant, je respecte toutes les opinions en autant qu'elles soient articulées et appuyées d'arguments solides, vérifiables, justes et surtout respectueuses.

Squared

Richard Trudel1 article

  • 574

président Option Nationale (Abitibi)





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1 commentaire

  • Martin Perron Répondre

    17 septembre 2013

    Pour un sujet aussi important aux yeux d'une majorité de Québécois, ne pas prendre position est incompréhensible, surtout venant de quelqu'un comme vous qui occupe une position bien en vue dans le mouvement indépendantiste. Il faut revoir vos arguments et avoir le courage de vous prononcer ouvertement. Vous ne voyez pas que ça ressemble à une guerre cette question de charte et qu'on tire sur nous à boulets rouges? Le Québec n'a tout simplement pas les moyens de laisser tomber son gouvernement aux mains des fédéralistes et multiculturalistes néo-libéraux et néo-cons (néo-conservateurs). Moi, je déplore votre position. Ceux qui pourront s'en réjouir ne partagent pas notre idéal pour le Québec et son peuple.