Le train meurtrier de Lac-Mégantic acquerra valeur de symbole. Non seulement il a décimé des familles et rasé la moitié d'un centre-ville, mais aussi il transportait du pétrole peu banal.
Le pétrole provenait en effet de LA région qui connaît le plus gros boom pétrolier aux États-Unis, le Dakota-du-Nord. Et pas n'importe quel pétrole: du pétrole de schiste, extrait grâce à la fracturation hydraulique, la technique bannie au Québec dans le dossier du gaz de schiste.
En quelques mois, ce pétrole a littéralement transformé le paysage énergétique en Amérique. Depuis 2008, la production de pétrole brut dans le Dakota-du-Nord a été multipliée par six, passant de 138 000 barils à 793 000 barils par jour, selon la U.S. Energy Information Administration (EIA). Annuellement, il est ainsi possible d'alimenter l'équivalent de 20 millions d'automobiles.
Le boom a été si rapide que les nouveaux pipelines pour transporter le pétrole n'ont pas suivi. Ainsi, plus de 70% de ce pétrole tiré du bassin Williston, au sud de la frontière de la Saskatchewan, est transporté par train.
Une tragédie, des dizaines de morts, du pétrole honni, une croissance incontrôlée: normalement, tous les ingrédients sont réunis pour forcer de profondes remises en question pour cette industrie.
Déjà, des interrogations surgissent sur la solidité des 72 wagons qu'utilisait l'entreprise américaine Montreal, Maine&Atlantic Railway. Les wagons-citernes seraient des vieux modèles DOT-III dont la paroi d'acier, de moins d'un pouce, serait trop mince pour transporter du pétrole.
Certes, les accidents ferroviaires sont rares et en déclin depuis quelques années, rapporte le Wall Street Journal. Cependant, le boom du transport de pétrole par train devrait justifier un plus grand nombre d'inspections et une réglementation plus sévère pour éviter que ces petites bombes sur roue ne viennent anéantir d'autres centres-villes.
Selon mon collègue Bruno Bisson, qui reprend des estimations d'Ultramar, le transport de produits pétroliers par train est 40 fois plus risqué que le transport par pipeline et 5 fois plus risqué que par bateau.
L'horreur de Lac-Mégantic remet ainsi en perspective les projets de pipelines de TransCanada Corp. et d'Enbridge. Le projet Keystone XL, de TransCanada, transporterait le pétrole bitumineux de l'Alberta vers les raffineries américaines du golfe du Mexique. TransCanada a également dans ses cartons le pipeline Northern Gateway, qui traverserait les Rocheuses vers les ports de la Colombie-Britannique, avec l'Asie comme destination finale.
De son côté, Enbridge veut inverser le flux de son pipeline pour transporter le pétrole albertain vers l'Est et le Québec.
Plusieurs groupes s'opposent à ces projets pour des raisons environnementales. De fait, donner son aval à de tels projets n'équivaut-il pas à entériner la production de pétrole sale, en quelque sorte? L'objectif des opposants est visiblement de freiner la production de pétrole plus polluant.
Le problème, c'est que pipeline ou non, les producteurs de pétrole bitumineux ou de schiste finissent par trouver une solution de rechange au transport par pipeline: le rail. Ainsi, aux États-Unis, le transport de pétrole par rail est passé de 9500 wagons en 2008 à quelque 234 000 wagons en 2012, selon l'Association of American Railroads. Un wagon transporte typiquement 740 barils de pétrole.
Le transport du pétrole est plus coûteux par rail qu'avec un pipeline, mais les entreprises y trouvent leur compte, notamment parce que ce mode de transport est plus flexible, permettant d'acheminer le pétrole partout.
Normalement, tous les ingrédients sont réunis pour forcer de profondes remises en question pour cette industrie. Malheureusement, il est permis de penser que les changements seront moins rapides que si la tragédie s'était déroulée quelques kilomètres plus au sud.
En effet, après Lac-Mégantic, le train devait traverser les petites municipalités de Jackman et Greenville, aux États-Unis, avant de se rendre dans les raffineries d'Irving Oil, au Nouveau-Brunswick. Or, imaginez l'impact si l'horreur s'était déroulée aux États-Unis?
Le président Barack Obama se serait déplacé, entraînant une couverture médiatique titanesque. Les Américains auraient été davantage sensibilisés. S'en seraient suivis des débats enflammés, des enquêtes musclées et des condamnations rapides.
Au Canada? Avec Harper? On verra. Et même si le Canada est déterminé à resserrer ses règles, pourra-t-il les imposer à l'industrie avec la même force que les Américains?
En attendant, nos pensées vont aux victimes, en espérant que leur disparition ne sera pas sans conséquence.
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