Statistique Canada a publié le 5 avril une étude portant sur « La langue de travail des diplômés d’établissements postsecondaires de langue française, de langue anglaise ou bilingues ». Alors que l’on ne disposait jusqu’à présent que de rares données d’enquête pour nous faire une idée de la corrélation qui existe entre la langue d’enseignement et la langue de travail, Statistique Canada nous offre, alors que le débat sur la nécessité ou non d’imposer la loi 101 au cégep fait rage, une étude basée sur les données de recensement. A noter cependant que les étudiants internationaux sont exclus de cette étude.
Les résultats ne surprendront que ceux qui ne voulaient pas voir. Car on y apprend, ô surprise ! qu’au « Québec, les diplômés postsecondaire qui ont fréquenté un établissement de langue anglaise sont plus susceptibles d’utiliser l’anglais au travail après leurs études. Cette tendance est particulièrement marquée chez les diplômés de langue maternelle tierce, c’est-à-dire d’une langue autre que le français ou l’anglais. » Les points majeurs de cette étude sont les suivants:
1) Les études en anglais au postsecondaire (cégep et/ou université) conduisent souvent à travailler principalement en anglais.
En 2016, près de la moitié (48 %) des diplômés d’un établissement de langue anglaise utilisaient l’anglais de façon prédominante au travail, par rapport à 4 % de ceux dont le dernier diplôme provenait d’un établissement de langue française. Une personne scolarisée en anglais au postsecondaire a donc douze fois plus de chance de travailler en anglais que si elle est scolarisée en français. Et ceci, notons-le, ne vaut que pour la langue d’enseignement du dernier diplôme obtenu au postsecondaire, et non pour la langue d’enseignement au primaire et au secondaire.
2) Les anglophones travaillent massivement en anglais.
Environ les deux tiers des diplômés de langue maternelle anglaise utilisaient l’anglais de façon prédominante au travail lorsque l’établissement ayant décerné le dernier diplôme était bilingue (70 %) ou de langue anglaise (65 %). L’utilisation de l’anglais était beaucoup moins élevée lorsque les diplômés de langue maternelle anglaise avaient réalisé leurs études dans un établissement de langue française (26 %). Ces données sont cohérentes avec celles de l’enquête de l’OQLF de 2020 qui indiquait que si la moitié des entreprises à Montréal exigeaient l’anglais à l’embauche, c’était surtout pour des « fins internes », soit afin d’accommoder les anglophones pour que ceux-ci puissent travailler en anglais à Montréal (ce qui force quantité d’allophones et de francophones à travailler dans cette langue).
3) Ceux qui étudient en français au postsecondaire maitrisent tout de même l’anglais.
Parmi les diplômés de langue maternelle française ou tierce ayant obtenu leur diplôme d’un établissement de langue française, les trois quarts (75 %) pouvaient soutenir une conservation en anglais. La maitrise de l’anglais était un peu plus fréquente chez les diplômés d’établissements bilingues (84 %), et l’écart entre les diplômés de langue maternelle française et tierce était minime. Ces données en recoupent d’autres qui indiquent que la connaissance de l’anglais chez les francophones n’est nullement un problème au Québec. Il y a même, sur le marché du travail, un excès d’offre de travailleurs francophones bilingues.
L’inverse, cependant, n’est pas vrai ; il y a un important déficit de maitrise du français chez les jeunes anglophones tel que révélé dernièrement par la Fédération des cégeps qui indique que 35 % des étudiants inscrits au cégep anglais (et 70 % de ceux scolarisés en anglais au primaire et au secondaire) seraient incapables de passer un cours en français. Le problème urgent au Québec est donc, contrairement à ce qu’une bonne partie de la classe politique, et même le ministre de l’Éducation nous ont répété depuis 20 ans, la connaissance du français par les anglophones. Pas l’inverse.
4) L’utilisation de l’anglais au travail dans le secteur des hautes technologies est liée à la survalorisation de l’anglais comme langue d’enseignement dans ce secteur.
Autre pépite de cette étude, on apprend que « avoir fait des études dans le domaine des sciences, des technologies, du génie, des mathématiques ou des sciences informatiques (STGM) était également légèrement lié à l’utilisation prédominante de l’anglais au travail, mais uniquement lorsque le dernier diplôme était obtenu d’un établissement de langue anglaise ou bilingue ». Bref, l’utilisation de l’anglais dans le secteur technologique n’est pas lié à la « mondialisation », mais surtout au fait que les institutions d’enseignement anglaises occupent ce créneau de façon disproportionnée à Montréal (rappelons que l’UQAM n’a pas de faculté de génie, par exemple, contrairement à Concordia).
5) La langue des études est étroitement corrélée à la langue de travail.
Au Québec, selon cette étude de l’organisme fédéral, « la langue dans laquelle sont faites les études postsecondaires et le lieu de travail sont les facteurs les plus fortement associés à l’utilisation prédominante de l’anglais au travail par les diplômés de langue maternelle française et tierce. »
Cette étude apporte de l’eau au moulin, et même beaucoup d’eau au moulin, à ceux qui estiment qu’il est vital d’étendre la loi 101 au cégep et même, à l’université (eh oui!).