Port du niqab

Excès de compromis

Justice et Niqab



La recherche excessive de compromis noie parfois l'essentiel dans le brouillard. Voilà ce qui étonne dans ce jugement de la Cour d'appel de l'Ontario qui annule l'interdiction pour une femme voilée du niqab de témoigner en cour. Certains principes universels ne peuvent souffrir la moindre égratignure, comme l'importance de témoigner à visage découvert, peu importe les croyances religieuses.
Quand deux camps opposés font la fête à un même verdict, on décode aisément que là où la cour devait trancher, elle a choisi plutôt le louvoiement. C'est précisément ce qui est arrivé mercredi dans la cause de N.S., cette femme impliquée dans une cause d'agression sexuelle et revendiquant le droit, au nom de sa liberté de religion, de participer au procès à visage couvert.
N.S., dont le nom réel ne peut être dévoilé, dit avoir été victime d'agressions sexuelles commises par son oncle et son cousin lorsqu'elle était enfant. Amorcé en 2007, le procès fut interrompu à l'étape de l'enquête préliminaire, car la présumée victime a refusé de retirer son niqab — ce voile qui ne laisse paraître que les yeux — pour témoigner. La cause d'agression sexuelle fut donc doublée par une autre affaire, portant sur la pertinence du niqab à la cour.
Dans cette zone de sensibilité extrême, sphères juridique et citoyenne s'entrechoquent là où elles ne le devraient pas. Ce jugement, qui statue qu'on décidera au «cas par cas» de l'à-propos de se dévoiler ou non à la barre, oppose la liberté de religion de l'une au droit à un procès juste et équitable des autres. Il néglige le fait que la crédibilité des témoins se forge aussi à l'aide des mimiques, signaux et émotions traduits par le visage. La cour, c'est la cour.
Bien sûr, vue de l'arène citoyenne, cette affaire déborde largement les balises imposées par le système juridique. Et c'est bien cela qui chatouille le plus. N.S. mène ce combat pour le droit au port du niqab en cour précisément dans une cause où elle pourfend de prétendus agresseurs sexuels. La charge symbolique est énorme!
En Ontario, des groupes ont défendu sa requête en invoquant le fait que ces femmes agressées ne témoigneraient jamais — oseraient-elles même porter plainte? — si on leur demandait de se dévoiler pour le faire. Le même argument fut invoqué lors d'un débat enlevant, aussi en Ontario, sur l'arbitrage familial dans les tribunaux islamiques. On nous le réchauffe à toutes les sauces, la polygamie par exemple. C'est faire l'apologie
du moins pire face au pire, mais toujours en cautionnant par la bande des préceptes religieux qui ne font pas la part belle aux femmes.
Et s'il faut véritablement s'adapter à des situations particulières, la cour pourra fort bien le faire. Elle a déjà recours à une série d'«accommodements» d'ordre plus technique, qui permettent par exemple le témoignage par vidéoconférence dans des cas où présumés victimes et agresseurs ne doivent pas se regarder. Mais le juge, les jurés, ont accès, eux, aux visages des témoins. Il s'agit d'une concession qui n'a pas à s'aventurer dans le terreau complexe des libertés religieuses.
On aura tous compris que le contexte social, duquel les tribunaux ne doivent évidemment pas se dissocier entièrement, enveloppe ce jugement, au point où il évite de trancher, un peu comme nos sociétés hésitent à le faire. Gare aux excès de compromis. Ils ajoutent à la confusion.
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machouinard@ledevoir.com


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