Analyse

Exit le débat linguistique, Québec se rabat sur «les valeurs communes»

Évidemment, ça ne fait pas l'affaire de l'Empire

(Québec) Il invitait le PQ à se réapproprier le «Nous», voulait rassembler les Québécois autour de valeurs communes, après que l'ADQ de Mario Dumont est parvenue à marquer des points dans le débat des accommodements raisonnables. Mais en même temps, il proposait d'abolir la distinction entre francophones et anglophones au cégep pour envoyer tous les étudiants sous le même toit, à l'âge d'internet et de la domination de la culture américaine, la voie royale pour l'assimilation.
Il y a quelques semaines, à la radio anglophone, il réclamait que la Société de transports de Montréal cherche des guichetiers bilingues. Jeudi, il menaçait de priver de contrats gouvernementaux les firmes de compétence fédérale - les banques, les sociétés de communications et de transport - si elles ne respectaient pas, volontairement, la Charte de la langue.
La langue ne fait plus recette
En ces matières, le ministre Jean-François Lisée est à l'image de son gouvernement: indéchiffrable. En promettant d'adopter la ligne dure, que réprouve la Coalition avenir Québec, le gouvernement Marois semble avoir fait son deuil de l'adoption de sa refonte de la loi 101. Minoritaire, il avait désespérément besoin de la CAQ. On a probablement jugé qu'à tout prendre, un projet de loi vidé de sa substance démobiliserait les militants. Le PQ se positionnera comme le défenseur de la langue française, tout en sachant bien que ce débat ne fait plus recette. «La langue, ça ne lève plus», chuchote-t-on chez les stratèges péquistes.
En coulisse, pendant des mois avant les dernières élections, Lisée était de ceux qui recommandaient au Parti québécois de rester ferme sur le dossier linguistique, convaincu que ce positionnement serait extrêmement porteur du point de vue électoral. Mme Marois avait même conservé dans la plate-forme électorale l'application de la loi 101 pour l'admission au cégep anglophone, une idée fort controversée que, personnellement, elle n'approuvait pas. Cette intention fut mise de côté - rapidement - dès le dépôt du projet de loi 14, la revue de la Charte de la langue française bloquée en première lecture à l'Assemblée nationale.
Le chaud et le froid
Dans une lettre publiée dans The Gazette la semaine dernière, le ministre Lisée et sa collègue, responsable du dossier, Diane De Courcy ont annoncé de nombreux amendements susceptibles de rallier la communauté anglophone. On peut penser que le geste n'a pas transporté de joie les tenants de l'aile plus radicale devenus méfiants à l'endroit du gouvernement qui semble souffler le chaud et le froid. «S'il ne reste rien dans le projet de loi, à quoi bon l'adopter!», a résumé jeudi Mario Beaulieu, du Mouvement Québec-Français.
Publié jeudi par La Presse, le dernier sondage CROP illustre la rivalité qui existe encore entre les trois principaux partis pour séduire l'électorat francophone. Même si le PLQ paraît globalement avoir une confortable avance, bien plus serrée chez les francophones, le PQ récolte là 29% des intentions de vote, contre 27 pour le PLQ et 26 pour la CAQ - statistiquement tout le monde est au coude à coude.
La «sortie de secours»
Le débat linguistique n'est plus porteur. Qu'à cela ne tienne, le gouvernement Marois et son stratège ont en poche une carte cachée, une solution de rechange, une «sortie de secours» aurait dit Jean-François Lisée, l'auteur, il y a quelques années. En campagne électorale, Mme Marois avait promis que son gouvernement adopterait une «Charte de la laïcité», histoire de rebrasser le sentiment d'attachement des électeurs à une série de valeurs largement partagées par les Québécois.
Seul problème, on s'est rendu compte que ce terme de «laïcité» n'avait aucune résonnance auprès des électeurs francophones. C'était une transposition du débat qui a cours depuis des années en France - depuis 1789, ironiseront certains - sur la neutralité de l'État à l'endroit de toutes les confessions. Louise Beaudoin avait introduit le mot au PQ.
Valeurs communes
Les ministres Jean-François Lisée et Bernard Drainville ont eu leurs différends sur la façon de jouer la carte de la laïcité ou plutôt des valeurs communes selon la plus récente mouture. Pas question de décrocher le crucifix à l'Assemblée nationale, ni d'interdire le port de la burka dans la rue à Montréal - sous la présidence de Nicolas Sarkozy, en France, on a prohibé le port de la burka dans l'espace public.
En revanche, les représentants du gouvernement, les fonctionnaires en contact avec le public ne doivent pas porter de signes religieux ostentatoires. Et en vertu de l'égalité homme-femme, l'apprenti conducteur musulman ne pourra exiger qu'un homme lui fasse subir son examen. C'est ce que va dire le gouvernement Marois dans son document de discussion, suivi d'un projet de loi à coup sûr diviseur qui, dans un contexte minoritaire, ne sera jamais adopté.
Pour l'heure, les stratèges péquistes ont décidé de reporter tout ce débat à l'automne, histoire de ne pas gaspiller de si bonnes munitions à trois semaines des vacances. Bernard Drainville n'a pas été difficile à convaincre. Il espère que d'ici là, on lui aura offert un autre ministère, loin des «péquisteries» et des «fausses bonnes idées» du stratège Lisée.


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