Facal, trop lucide pour un nouveau parti ?

La Dépossession tranquille

Le parti virtuel dont on parle dans les chaumières lucides depuis quelques mois a-t-il subi une grave avanie avec la déclaration, ce dimanche, de Joseph Facal semblant rejeter le projet ?

Pour ceux qui joignent cette discussion sans en connaître les origines, sachez qu’un certain nombre de personnalités sont insatisfaites à la fois du refus du Parti québécois d’épouser les thèses des lucides et de l’incompétence avec laquelle le Parti libéral de Jean Charest les met en œuvre.
A deux ou trois ans du prochain rendez-vous électoral, ces lucides voient bien que le Parti québécois serait, aujourd’hui, élu majoritairement. Cependant ils estiment que l’absence de «vague» pro-péquiste, que les nombreux scandales libéraux justifieraient, démontre qu’il existe un espace, un «vide», disent-ils, prometteur.
Quel chef, quelle équipe ?
Deux questions leur sont évidemment posées par la realpolitik. Au-delà de leur programme (qu’ils auraient beaucoup de difficulté à distinguer clairement, pour l’opinion, du budget Bachand), qui serait leur chef et quelle serait leur équipe ?
Oubliez Lucien Bouchard. Tous le consultent mais, à moins d’un surprenant retournement, il jouerait le rôle d’accompagnateur de la nouvelle équipe, et non de participant ou de leader.
Paradoxalement, deux figures péquistes sont fortement sollicitées par les lucides pour diriger la virtuelle formation : Joseph Facal et François Legault. Tous deux résistent.
L’approche de centre droite de Facal en ferait un candidat idéologiquement idéal. Il présente cependant une difficulté majeure. Dans son livre Quelque chose comme un grand peuple, il continue à défendre, non seulement le caractère désirable, mais le caractère réalisable de la souveraineté. Or toute coalition lucide entre souverainiste et fédéraliste poserait le principe que la souveraineté ne serait pas à l’ordre du jour de leur gouvernement. Ce serait, pour Facal, un trop grand écart.
Le problème de François Legault est autre. Il a, à mon avis, une approche sans doute trop social-démocrate pour plusieurs des lucides dont la vision est plus clairement conservatrice. Évidemment, s’il était chef, il aurait le premier, sinon le dernier mot.
Le problème du chef reste donc total. Car avec tout le respect que j’ai pour ces deux personnes, ni l’une ni l’autre n’ont le gabarit, le charisme, le gravitas pour combler un vide, si vide soit-il, et tirer vers eux un nouveau mouvement social.
Une équipe arc-en-ciel
Maintenant, l’équipe. Lorsqu’ils rêvent, les lucides espèrent attirer vers eux quelques personnalités connues, y compris du monde des affaires, récupérer ce qui reste de la députation adéquiste et ex-adéquiste — peut-être même assurer le retour de Mario Dumont. Je dis: «lorsqu’ils rêvent». Ils en sont, et c’est normal à cette étape, dans la pure virtualité, l’échange de signaux, les conversations conditionnelles.
Alors ajoutons une autre virtualité: puisque le gouvernement Charest se dirige vers l’abattoir au prochain scrutin, plusieurs élus libéraux voudront quitter la barque avant d’être mis au chômage par l’électorat. Pourrait-il y avoir, parmi ces futurs malheureux naufragés, un ou deux candidats volontaires pour l’aventure du parti des lucides ?
En additionnant ces sortants libéraux, et quelques sortants adéquistes, cela assurerait une petite aile parlementaire au nouveau parti, à laquelle s’ajouteraient les nouveaux candidats.
Profiter d’une vague montante
Qu’on me comprenne bien: je crois hautement improbable que ce parti voie le jour. Mais je tente de nous mettre, vous et moi, dans la tête de ses promoteurs pour en comprendre les mécanismes intellectuels.
Deux variables combinées sont appelées en renfort: le choix du moment et l’engouement. Souvenez-vous de Jean Charest. Pas de celui d’aujourd’hui, mais de celui de 1998. Cette figure, alors sympathique mais mineure, du Parti conservateur avait débarqué à l’automne 1998 à la tête du Parti libéral du Québec, suscitant un enthousiasme tel qu’il avait fait basculer les intentions de vote en faveur du PLQ de façon spectaculaire. Parti derrière le PQ sous son prédécesseur Daniel Johnson, Charest l’a conduit à 20 points d’avance (sur Lucien Bouchard) à la fin du printemps. Ce fut un tour de force que le PQ réussisse à garder le pouvoir (mais avec moins de voix que le PLQ) à l’élection de l’automne 1998.
Autre pièce historique à conviction: la montée de l’ADQ à compter de 2002 à 2006. Le bref mais vif embrasement d’une partie de l’opinion pour le parti de Mario Dumont s’est certes apaisé, mais les lucides imputent cette fin de lune de miel à l’inexpérience et aux gaffes des adéquistes. Inexpérience et gaffes que les lucides réussiraient, espèrent-ils, à éviter.
Conclusion: un mouvement brusque de l’opinion est possible. Mais pour profiter d’un engouement, il importe de n’être présent que dans la période de vague montante. C’est dire que le parti lucide ne devrait devenir visible que dans l’année pré-électorale. Il n’y a qu’un problème: on ne connaît pas la date de l’élection.
Une aventure improbable
Évidemment, rien n’est impossible. Et ce blogueur ayant commis l’erreur, dans son livre Le Naufrageur en 1994, de prévoir une vie très brève à l’ADQ, n’écrira pas ici que les lucides n’ont pas d’avenir.
Cependant, pour l’instant, l’équipe lucide ressemble davantage à un club de velléitaires rêvant de cueillir le pouvoir comme un fruit mûr qu’à un groupe de rebelles prêts à consacrer une décennie de labeur à réunir des militants, construire une organisation, bâtir un parti.
Embûche supplémentaire: les scandales de financement du PLQ rendent les donateurs plus frileux que jamais et le nouveau parti, privé de financement étatique pour leur premier tour de piste, aurait beaucoup de difficulté à trouver des sous.
Bref, cela discute fort dans les chaumières lucides. Ces discussions, nées de la frustration, déboucheront-elles un jour sur une action politique réelle ? Il sera impossible de le savoir en 2010. Sans doute pas même en 2011.

Squared

Jean-François Lisée297 articles

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Ministre des relations internationales, de la francophonie et du commerce extérieur.

Il fut pendant 5 ans conseiller des premiers ministres québécois Jacques Parizeau et Lucien Bouchard et un des architectes de la stratégie référendaire qui mena le Québec à moins de 1% de la souveraineté en 1995. Il a écrit plusieurs livres sur la politique québécoise, dont Le Tricheur, sur Robert Bourassa et Dans l’œil de l’aigle, sur la politique américaine face au mouvement indépendantiste, qui lui valut la plus haute distinction littéraire canadienne. En 2000, il publiait Sortie de secours – comment échapper au déclin du Québec qui provoqua un important débat sur la situation et l’avenir politique du Québec. Pendant près de 20 ans il fut journaliste, correspondant à Paris et à Washington pour des médias québécois et français.





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