Face à l’échec québécois et wallon, que faire ?

Chronique de José Fontaine

J'ai relu des extraits de la thèse de Christophe Traisnel Le rôle des mouvements nationalistes dans la construction politique des identités wallonnes et québécoise en Belgique et au Canada défendue en 2005 à Montréal et à Paris II. C'est une voix venant de l'extérieur, comprenant très bien les enjeux wallon et québécois. Christophe Traisnel pense que:
«Le mouvement wallon a échoué (jusqu'à présent) à mobiliser durablement la communauté wallonne autour de l'existence d'un peuple wallon distinct ...
» Il ajoute que le Québec a échoué à mobiliser de manière décisive la majorité du peuple québécois sur un projet d'indépendance nationale.
Pertinence d'une comparaison Québec/Wallonie
Cela confirme la pertinence d'une comparaison que j'avais faite à bon escient (je pense): sur le plan institutionnel la Wallonie est bien plus loin que le Québec puisqu'elle dispose de compétences vraiment exclusives (qui ne se heurtent pas au «pouvoir de dépenser») et elle peut les exercer sur le plan international. Le Québec n'a pas cela mais la Wallonie peine à obtenir sa reconnaissance en tant que peuple. Les Wallons n'y croient pas eux-mêmes, une majorité en tout cas.
Face à l'échec québécois et wallon, que faire?
Face à cet échec C. Traisnel propose une solution aux deux petits peuples: une solution en quelque sorte alternative, mais qui ne renonce pas à l'essentiel.
De chaque côté de l'Atlantique, pense-t-il dans sa thèse, deux petits peuples ont créé un débat original : « les citoyens canadiens du Québec comme les citoyens belges de Wallonie se voient, par la présence même d'un débat politique et d'un discours alternatif identitaire local, qui n'existe nulle part ailleurs en ces termes (Wallonie, région d'Europe ou Wallonie, région, de France ? Nation Québécoise, Québec souverain ?), conviés presque malgré eux à ce débat permanent sur leur propre avenir collectif et sur leurs appartenances identitaires. » (p.533 de la version manuscrite de sa thèse). Il peut s'agir aussi, pour la Wallonie, des rapports avec Bruxelles.
L'issue, selon l'auteur de la thèse, est que les nationalistes wallons ou québécois « cherchent, par la citoyenneté, à postuler plus qu'à démontrer une appartenance et à tirer les conséquences de cette appartenance distincte en terme de législation distincte, de droits distincts et d'un rapport distinct entre la gouverne et la communauté des citoyens intéressés à cette gouverne. » (p.535).
Dans le reste de sa thèse, Traisnel insiste très fort sur l'aspect « mouvement social » du nationalisme wallon ou du nationalisme québécois. Il entend par là que ces deux mouvements, tout en ayant des accointances avec les mouvements nationaux classiques, sont plus étroitement qu'eux liés à des exigences concrètes, pragmatiques émanant de la société civile. Le fait est que, tant au Québec qu'en Wallonie, les grandes forces sociales organisés sont liées au « nationalisme» (entendu dans le sens le plus large : l'intérêt pour une société à construire). Pour le dire autrement, il ne s'agirait pas que de drapeau ou d'identité ou de requêtes institutionnelles à obtenir absolument.
Des exemples (Écosse, Afrique), permettent de comprendre ce propos
Il me semble que cette solution diffère quelque peu de ce que l'on appelle le «provincialisme» au Québec, soit la propension du PQ à vouloir bien gouverner la Province du Québec en laissant tomber la revendication nationale.
Je comprends ce que veut dire Christophe Traisnel comme ceci: il y a tant au Québec qu'en Wallonie, un travail notamment législatif (mais en rapport avec tout un mouvement social), qui naît des spécificités des deux sociétés. En allant jusqu'au bout de ce travail on obtiendrait l'autonomie concrète que la revendication «via le drapeau» cherche à obtenir de manière abstraite ou formelle. Au bout du compte, c'est ce travail concret qui est le meilleur gage de l'indépendance concrète que viendra couronner, un jour, inévitablement, l'indépendance formelle. A l'appui d'une telle proposition, je prendrais l'exemple de l'Ecosse qui n'a jamais été longtemps qu'une nation sans pouvoirs distincts de ceux du Royaume Uni et intégrée dans cet Etat unitaire plusieurs siècles. Mais qui est restée différente du reste du RU par son système d'enseignement, son droit, sa religion. Finalement, l'Ecosse, en maintenant cela, a renoué à la fin du XXe siècle avec une autonomie politique réelle, très large et qui peut la conduire à l'indépendance. Ceci est un exemple positif. Je prendrais à l'appui de la thèse que je défends ici, un exemple non seulement négatif mais douloureux. Il se fait que j'ai un ami qui est en Afrique pour le moment et qui me décrit une grande villes africaine, une capitale. Il me dit que c'est désespérant, car il y a des ambassades, des hôtels, quelques cafés et restaurants et puis, rien... Et pourtant, cette société africaine était, avant la colonisation, d'une culture très riche.
C'est vrai que les nations africaines avaient le droit d'obtenir leur indépendance. C'est vrai qu'elles ont obtenu ce droit relativement «facilement». Et même si personne en ces pays ne voudraient revenir là-dessus, je ne suis pas sûr que les sociétés civiles de ces pays ont le sentiment d'avoir réussi quelque chose du type de ce qu'évoque Christophe Traisnel.
Pour le dire en d'autres mots encore, il me semble que le Québec a réussi au-delà de toute espérance sa Révolution tranquille, mais pas son indépendance. Cependant, la Révolution tranquille et ses prolongements font du Québec une société de plus en plus distincte. De même que la Wallonie qui a connu des soulèvements ouvriers, qui a un certain rapport au social, qui a gagné des compétences politiques exclusives, même si elle n'est pas encore reconnue comme nation, en prend chaque jour un peu plus la forme. Mais je dis cela douloureusement parce que j'espérais plus et plus vite. Parce que, de la même façon que les Québécois n'ont plus rien à attendre du Canada, les Wallons n'ont plus rien à attendre de la Belgique. Et c'est évidemment rageant que nos concitoyens, de part et d'autre de l'océan, ne le voient pas. Savoir qu'il faut patienter, même - si cela peut s'entendre -, au-delà de sa propre mort, pour obtenir ce que l'on désire tant, ce n'est pas lâche.

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José Fontaine355 articles

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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5 commentaires

  • José Fontaine Répondre

    26 avril 2009

    Cher Fernand Lachaine,
    Nous deux commentaires se sont affichés simultanément et j'ai vu la faute que j'ai commise à «Acadie»...
    Oui, bien sûr, le référendum de 1995 n'est pas un échec ni celui de 1980. Cette année-là, Lévesque avait d'ailleurs dit: «je crois que vous êtes en train de me dire à la prochaine fois
    Et il y a les fraudes de 95.
    J'ai usé du mot « échec» mais dans ce mot, je n'ai rien mis de définitif.
    Tant en relisant les dernières années du Québec qu'en me souvenant du voyage que j'y ai fait en 2004, je me dis que ce pays «n'est pas encore mort». C'est ainsi que commence l'hymne polonais: «la Pologne n'est pas encore morte.»

  • José Fontaine Répondre

    26 avril 2009

    Le compte rendu de cette thèse de doctorat de Christophe Traisnel est sur le site de la revue TOUDI sous le titre
    Hypermodernité des militants wallons et québécois.
    Il me semble que Traisnel dit pas mal de choses intéressantes. Je sais qu'il a publié à partir de là en Aacadie et au Québec mais c'est de sa thèse que j'ai tiré ce compte rendu...
    J'interprète ce qu'il y dit comme une sorte d'entrée de ce mouvement social qu'est le nationalisme moderne en une sorte de désacralisation. Il faut bien dire que la nation (sauf exceptions), a toujours eu un lien avec la guerre et la violence. Mais est-ce toujours le cas du nationalisme moderne? Les deux grandes dernières batailles que le Québec a perdues ne se sont pas livrées sur un champ de bataille classique avec armées, épées et drapeaux. Quand j'ai relu la semaine passée l'interview de René Lévesque, quand j'ai revu ses discours, notamment en 1980, j'ai, certes, bien vu un combattant et un orateur qui savait jouer de la corde sensible, mais aussi de la rationalité, la rationalité elle-même d'un combat démocratique.
    Je me demande, au moment même où j'écris ceci, si la meilleure chose que le Québec a déjà apportée au monde, ne serait pas celle-là, une définition de la nation qui n'a pas besoin de la violence parce qu'elle obéit à une démarche hyper-démocratique. Cela se lit même dans des livres qui ont été réalisés pour la jeunesse au Québec. S'il y a un cousinage de la question wallonne avec celle du Québec, c'est peut-être d'ailleurs cela dans la mesure où le nationalisme wallon a longtemps été une démarche avant tout syndicale, en laquelle d'ailleurs les travailleurs flamands en Wallonie se sont parfois impliqués. Je ne veux pas peindre trop les choses en rose, mais il y aurait à réfléchir sur cela.

  • Fernand Lachaine Répondre

    26 avril 2009

    Bonjour monsieur Fontaine,
    Je ne considère pas le référendum de 1995 comme un échec. Si ces nombreux votes volés par le camp de non avaient été annulés, le référendum a été gagné par le OUI.
    Cependant ce que je considère un échec navrant c'est le camp du OUI dirigé par Lucien Bouchard qui n'a pas repris ce référendum suite à tous ces gestes illégaux approuvés par les plus hautes instances du gouv. fédéral. C'EST ÇA LE PLUS GRAND ÉCHEC.
    Ainsi je ne crois pas qu'il y ait tant de similitudes entre les québécois et les belges sauf que les deux peuples sont trahis par leurs chefs politiques, économiques et religieux.

  • Archives de Vigile Répondre

    26 avril 2009

    Cet article ne peut faire autrement que de raviver ma mémoire au sujet du débat qui a eu lieu sur Vigile. Je prônais une Constitution Québécoise Nationale car je disais que le Québec était le premier fondé en droit de la nation québécoise et que tout droit national procédait de la nation québécoise avec l'aval de l'Etat québécois. Une des premières réactions fut des accusations de néo-fédéralisme. On allait assister à une tentative d'affirmation du Québec selon ses dires alors que le Québec était encore à l'intérieur du Canada et cela risquait de leurrer les Québécois. Je ne sais que dire à propos du mouvement wallon mais je peux en dire long sur certains indépendantistes québécois. À force de rêver du grand jour du tout ou rien, de la date précise de la sortie du système canadien, à force de gloser sur la systématisation intégrale de l'indépendantisme par des souverainistes durs, ces indépendantistes se détournent du système qu'ils combattent pour en enseigner la théorie. Et ils dédaignent de nationaliser l'Etat qu'ils veulent défendre sous prétexte que leur action ne doit pas s'inscrire à l'intérieur du système.

  • Raymond Poulin Répondre

    25 avril 2009

    Au fond, ce que propose Christophe Traisnel correspond à un vieux proverbe : «L’appétit vient en mangeant». Dans l’état actuel des mentalités québécoise et wallonne, cette position a un mérite certain. Il existe d’ailleurs des indépendantistes québécois, notamment Gilbert Paquette, qui la promeuvent. Elle suppose cependant une sensibilité à l’air du temps et un sens du “timing”, si je puis dire, particulièrement affinés, car arrivera un moment de vérité où le clash sera inévitable; alors, Québécois ou Wallons, il faudra se commettre ou se démettre. Quant à votre assertion finale, je suis d’accord; de fait, tout objectif d’envergure exige que nous pensions et agissions comme si nous étions immortels.