France: la charge d’une étudiante contre l’islam relance le débat sur le «droit au blasphème»

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« Une partie de la gauche et certains mouvements féministes se sont illustrés par leurs positions alambiquées, leur silence, ou carrément leur hostilité à Mila. »


L’affaire Mila, adolescente cible d’innombrables menaces de mort pour avoir violemment critiqué l’islam, remet en lumière le «droit au blasphème» en France, premier pays d’Europe à l’avoir érigé, et dévoile les ambivalences d’une partie de la gauche et de certaines féministes par rapport à l’islamisme.  


«Votre religion, c’est de la merde», avait lancé Mila, une étudiante de 16 ans, dans une vidéo diffusée le 18 janvier. L’ado, qui dit avoir réagi à des insultes d’un garçon éconduit la traitant de «sale lesbienne», a déclaré lundi sur la télévision TMC ne «pas regretter» ses propos.      


L’échange vif, parti d’une petite chambre d’adolescente, est devenu une affaire nationale dans une France toujours en pleine réflexion sur la place de l’islam, deuxième religion du pays avec près de 9% de la population.      


Menacée de mort, harcelée, Mila a dû être extraite de son école et fait l’objet avec sa famille d’une «vigilance particulière, pour les protéger, de la part de la police nationale», a indiqué le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner.      


En revendiquant son «droit au blasphème», la lycéenne a situé le débat sur le terrain toujours délicat de la laïcité: un principe que les Français ont très à cœur, mais qui est contesté dans une société de plus en plus «multiculturelle».      


«La France est la première nation d’Europe qui abolit le délit de blasphème» dès la Déclaration des droits de l’homme après la Révolution de 1789, souligne Denis Lacorne dans Les Politiques du blasphème écrit avec Amandine Barb.       


«On a le droit d’insulter les religions, mais on ne peut pas insulter une personne ou un groupe de personnes à cause de leur appartenance religieuse», précise à l’AFP M. Lacorne, directeur de recherche au Centre de recherches internationales (CERI) de Paris.      


Mila ne sera ainsi pas poursuivie. «Quelle que soit la tonalité outrageante» de ses propos, ils avaient pour «seul objet d’exprimer une opinion personnelle à l’égard d’une religion, sans volonté d’exhorter à la haine ou à la violence contre des individus», a expliqué Jérôme Bourrier, procureur de la région où vit l’adolescente. Les enquêteurs poursuivent en revanche leurs investigations pour trouver les auteurs des menaces de mort à l’encontre de la jeune fille.      


«Double standard»   


C’est ce même droit au blasphème qui permettait à l’hebdomadaire Charlie Hebdo — cible d’un attentat islamiste au retentissement mondial en 2015 d’étriller toutes les religions, y compris l’islam.       


«Charlie moquait la religion, les symboles religieux, mais pas les musulmans eux-mêmes», explique M. Lacorne, qui met en garde: «Le droit au blasphème est un vrai droit, mais le risque en France c’est l’autocensure.»       


Une partie de la gauche et certains mouvements féministes se sont illustrés par leurs positions alambiquées, leur silence, ou carrément leur hostilité à Mila.       


Dans Le Figaro, quotidien de droite, l’essayiste Eugénie Bastié dénonce «l’étrange silence d’une partie des féministes», y voyant un «double standard qui les conduit à être impitoyables dès lors que le coupable est un mâle blanc occidental, et étrangement retenues lorsque les harceleurs appartiennent à une minorité, en l’occurrence musulmane».       


«Ce qui s’est passé plante les jalons inquiétants d’un deux poids, deux mesures», se plaignent également des intellectuels, dont la philosophe féministe Élisabeth Badinter, dans une tribune au magazine L’Express.       


La gauche est elle aussi tiraillée, notamment sur son aile extrême. Si le porte-parole du PCF Ian Brossat rappelle qu’«en France, on a le droit de critiquer les religions», le secrétaire national du même parti, Fabien Roussel, a lui aussi «condamné des propos injurieux».      


L’ancienne candidate socialiste Ségolène Royal a elle aussi estimé qu’elle n’aurait «absolument pas» partagé le mot-dièse #JesuisMila.      


La chef du parti d’extrême droite RN, Marine Le Pen, a reconnu qu’on pouvait trouver «vulgaires» les propos de Mila. «Mais on ne peut pas accepter que, pour cela, certains la condamnent à mort, en France, au XXIe siècle», a-t-elle tweeté.      


Le trouble et la gêne ont aussi gagné la majorité présidentielle, la ministre de la Justice Nicole Belloubet provoquant un tollé après avoir dénoncé une «insulte à la religion», puis rétropédalé pour rappeler «le droit de critiquer une religion».




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