La loi 21 est née de la suprématie parlementaire

François Legault doit opposer une « lutte sans merci » à la Cour suprême

Seule la volonté collective peut juger des lois utiles à la poursuite du bien commun

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Chronique de Me Christian Néron

François Legault est inquiet. Et pour cause ! Il craint que des militants idéologiques finissent par convaincre la Cour suprême d’invalider la loi 21, et ce, malgré le fait que cette dernière ait été votée sous le couvert de l’article 33 de la Charte canadienne, lequel permet de rétablir la souveraineté parlementaire dans ses droits historiques.


Plus encore, l’attitude de Justin Trudeau, avant et pendant la campagne électorale, laisse comprendre que les détracteurs idéologiques qui veulent s’en prendre à la loi 21 pourront bénéficier d’un appui de taille au sein des institutions fédérales. Bref, la bataille entre deux conceptions du pouvoir dans l’État s’annonce inquiétante pour le Québec. Il se pourrait que les juges de la Cour suprême – eux qui sont les premiers bénéficiaires de la stigmatisation de la souveraineté parlementaire – finissent par fouler aux pieds un choix démocratique clairement exprimé par une loi de l’Assemblée nationale du Québec.


Ce qu’il y a d’inquiétant, c’est que les juges de la Cour suprême ont rarement raté l’occasion d’imposer leurs préjugés et préférences idéologiques depuis le coup d’État constitutionnel de 1982, et leur conception – anti-juridique ! – d’une « liberté-sans-responsabilité » qui laisse à chacun le loisir de faire à peu près tout ce qui lui plaît, et ce, sans avoir à se conformer aux droits du bien commun, ou à tenir compte de l’impact de ses actes sur l’état de la société. Les évènements indécents de 1982 nous ont laissés avec des juges tout-puissants qui n’ont de comptes à rendre à personne et qui jouissent d’une immense discrétion dans l’octroi d’une infinité de libertés à des gens qui, eux aussi, n’ont de comptes à rendre à personne. Le plus ironiquement du monde, l’article premier de cette Charte des droits et libertés, née d’un coup de force, voudrait nous rassurer en proclamant que le Canada est l’exemple parfait d’une « société libre et démocratique ». Or, le caractère démocratique de notre société est bien antérieur à cette charte, de sorte que ce n’est nullement à elle que nous devons ce que la démocratie nous a déjà apporté, à savoir : a) la paix et la sécurité, b) l’égalité de tous devant la loi, c) la protection de nos droits et libertés, et d) les bienfaits d’une justice sociale et distributive.


Compte tenu de l’imposition de cette conception anti-juridique des droits et libertés, le premier ministre Legault devra, s’il tient à sauvegarder la souveraineté de notre Assemblée nationale, traiter les « préjugés et préférences » des juges de la Cour suprême comme faisant partie du problème, et non de la solution. Et pourquoi ? Parce que l’Assemblée nationale, en tant qu’héritière de la tradition britannique, est et a toujours été une institution supérieure en autorité à la Cour suprême, laquelle ne possède que les pouvoirs qui lui ont été délégués par une loi ordinaire du parlement fédéral en 1875. Le nœud du mépris de la volonté populaire que nous subissons depuis 1982 se trouve là. Il s’agit d’une question capitale portant sur la hiérarchie des pouvoirs dans l’État, question qui avait pourtant été définitivement réglée en 1688.


Le principe de souveraineté au cœur du pouvoir parlementaire


En nous appropriant les mots mêmes de la tradition britannique, notre Assemblée nationale devrait être qualifiée comme étant « la plus haute, la plus noble, la plus vénérable et la plus puissante » de toutes les institutions de l’État du Québec. Elle seule peut donner force de loi à la volonté de sa population dans la poursuite du bien commun. Par comparaison, la Cour suprême, elle, est et a toujours été une institution de second plan, hiérarchiquement inférieure et subordonnée au pouvoir parlementaire, que ce dernier soit fédéral ou provincial. Son seul pouvoir a été, jusqu’en 1982, de corriger les erreurs des tribunaux inférieurs. D’ailleurs, à une certaine époque, son existence même avait été jugée nuisible à la bonne administration de la justice. En conséquence, des députés fédéraux avaient présenté des projets de loi afin de la supprimer purement et simplement. Ces tentatives ont échoué, mais le pouvoir du parlement pour le faire, lui, existe toujours. En droit, tout pouvoir qui adopte une loi peut revenir sur sa décision chaque fois qu’il juge que le bien commun serait ainsi mieux servi.


Par contre, supprimer un parlement est une chose impensable, et ce, au motif qu’il constitue la plus haute et la plus puissante de toutes les institutions de l’État. Il faudrait soit une guerre de conquête, une révolution, ou un suicide collectif pour en arriver à une telle extrémité. Dans un monde normal, aucune société ne renoncera à son droit de se donner les lois dont elle a besoin pour favoriser la poursuite du bien commun. Plus que fondamental, ce droit est même immanent, du fait que le vouloir-vivre social est aussi naturel à l’homme que le voloir-vivre tout court. Bref, un parlement se retrouve toujours au sommet de la hiérarchie des institutions, y incluant les plus hautes cours de justice. Le contraire serait le monde à l’envers. Ainsi, quelques individus triés sur le volet et n’ayant de comptes à rendre à personne pourraient imposer leurs préjugés et préférences à la société tout entière. Ce monde à l’envers dirigé par une poignée de privilégiés est l’incarnation même de ce que l’on appelle couramment une « dictature ». Au Québec, une telle dictature nous a été imposée à l’occasion d’un coup d’État constitutionnel auquel des juges ont participé, croyant que leur forfait ne serait jamais dévoilé. Le fait qu’on les appelle « juges » n’enlève rien à leur fonction dictatoriale. Pour remettre ce monde à l’endroit, la seule solution possible consiste à revenir aux principes fondamentaux du parlementarisme britannique. Examinons la question brièvement.


Il était une fois l’Angleterre


L’Assemblée nationale du Québec est un parlement qui repose sur les mêmes principes que le Parlement de Westminster. Pour cette raison, la longue et riche histoire de ce parlement s’est greffée à la nôtre, de sorte que seule son étude peut nous aider à bien comprendre l’origine, la nature, les droits et les pouvoirs de notre Assemblée nationale. Ainsi, pour approfondir notre connaissance du caractère hiérarchique et inaltérable de cette institution, nous avons intérêt à retourner à l’histoire – parfois agitée et tumultueuse – du Parlement de Westminster depuis ses origines.


En Angleterre, tous les juristes et historiens qui ont écrit sur leur Parlement ont été unanimes à en parler au superlatif, le qualifiant de « high court of parliament which is the most noble, honourable and revered court of justice of this kingdom ». À ces qualités, s’ajoute le principe de puissance : « In every state there is and must be a supreme, irresistible, absolute, uncontrolled authority in which the right of sovereignty resides. »


En conséquence, force est de constater que notre Assemblée nationale est « la plus haute, la plus noble, la plus honorable et la plus vénérable cour de justice du Québec ». Donc plus haute que la Cour d’appel du Québec et, surtout, plus haute que la Cour suprême du Canada lorsqu’elle s’en prend abusivement à notre patrimoine de valeurs et à nos droits historiques. Nous l’avons dit plus haut et nous le répétons, il est essentiel de retenir que cette cour – qui prétend exercer le pouvoir suprême dans la hiérarchie de nos institutions – est née d’une simple loi ordinaire adoptée par le parlement fédéral en 1875.


À l’époque de la Confédération, avant que les députés Canadiens français ne soient appelés à voter sur le projet qui leur était présenté, des garanties leur avaient été données à l’effet que le « Comité judiciaire du Conseil privé » de Londres resterait à jamais le tribunal suprême pour le Canada. Cette promesse et bien d’autres ont été consignées par écrit dans les Débats parlementaires, mais elles n’ont pas été incluses dans le texte final rédigé à huis clos à Londres. Ainsi, malgré ces promesses, l’appel à ce tribunal – la plus haute autorité à l’intérieur de l’Empire – a été abrogé en 1949 par le parlement fédéral. La plus haute protection qui nous gardait des préjugés et préférences des juges de la Cour suprême du Canada est disparue par suite d’un banal coup de force. À ce fait, il faut ajouter que les membres de cette cour ont toujours été choisis à la discrétion du premier ministre fédéral qui, lui aussi, aime bien aligner ses pions pour imposer ses préjugés et préférences au Canada tout entier. En conséquence, il n’y a rien d’excessif à dire qu’elle est « la plus haute, la plus noble et la plus vénérable machine idéologique du gouvernement fédéral » pour s’en prendre à la souveraineté de notre parlement, à notre patrimoine de valeurs, à nos droits historiques.


Des juges remis à leur place en Angleterre


Les étapes marquantes du parlementarisme anglais s’échelonnent du XIIIième au XVIIième siècle. À l’origine, le parlement était une cour générale au sein de laquelle le roi prenait les décisions qui nécessitaient l’accord et le financement de ses barons. Ces décisions pouvaient être exécutives, judiciaires ou législatives. Certains légistes du roi y siégeaient à titre de conseillers. Le roi pouvait aussi les mandater pour entendre et juger des causes de moindre importance. En ce cas, le roi restait symboliquement présent dans la pièce. C’est pour cette raison que l’habitude fut prise de les appeler « sessions du banc du roi ».


Au XIIIième siècle, le roi a toutefois décidé d’interdire à ses légistes de se mêler aux délibérations avec ses barons. Il les envoyait alors s’asseoir à l’écart sur des « woolsacks », soit des coussins rouges bourrés de laine. Mais ils devaient rester aux aguets et prêts à répondre à toute question de procédure ou de droit. Écartés du pouvoir décisionnel, ils restaient des serviteurs du roi et des interprètes de la loi.


Lorsque ces légistes rendaient des jugements, les parties insatisfaites pouvaient en appeler au roi. Ce dernier pouvait corriger, admonester, parfois même punir les légistes en défaut. Dans les cas extrêmes, quand la faute était assimilable à un acte de trahison, le fautif pouvait être jugé et dirigé vers la potence. C’était rare, mais c’est arrivé à quelques reprises. À une occasion, lors du règne de Jacques Ier, une douzaine de juges ont été condamnés à la peine capitale pour complot et trahison. Ces faits démontrent que ces juges n’étaient que des grands commis qui exerçaient des pouvoirs délégués. Leur place avait été clairement établie dans l’ordre hiérarchique des institutions du royaume. Ils rendaient justice pour et au nom du roi. C’est encore théoriquement le cas aujourd’hui, bien que leurs pouvoirs soient devenus supérieurs à ceux de la reine.


En Angleterre, quand une affaire s’avérait plus politique que juridique, ou qu’il fallait corriger les effets d’une mauvaise loi ou coutume, c’est le Parlement en tant que « plus haute, plus noble, plus honorable et plus vénérable cour de justice du royaume » qui réglait la question au moyen de la loi. Le Parlement était la seule institution dont l’origine et les pouvoirs se perdaient dans la nuit des temps, alors que les tribunaux devaient leur existence à la prérogative royale ou à la loi. Nous l’avons dit et nous le répétons, la même hiérarchie s’applique ici à nos tribunaux, y incluant la Cour suprême. Cette dernière, née d’une simple loi fédérale, pourrait être dissoute n’importe quand par une simple loi fédérale. Il suffit, pour dissoudre, du même degré de force qu’il a fallu pour créer.


En Angleterre, le Parlement est resté suprême et souverain. Cette position privilégiée lui permettait de légiférer sur tout ce qui lui paraissait convenable à la poursuite du bien commun. Il pouvait même donner libre cours à ses préjugés et préférences. Il en avait le droit ! Toutefois, quand la population en avait assez, elle l’attendait aux prochaines élections. Mais ça n’a jamais été le cas pour les tribunaux. Il était impensable que les juges puissent donner libre cours à leurs préjugés et préférences. Ils devaient se limiter à exercer des pouvoirs délégués. D’ailleurs, jusqu’à la fin du XVIIIième s., toute tentative en ce sens était considérée comme un acte de trahison et susceptible de conduire son auteur à l’échafaud. Plus près de nous, si les forfaits commis en 1981 par les juges Estey et Laskin l’avaient été à cette époque, ces deux complotistes se seraient exposés à terminer leur carrière sur l’échafaud.


Le parlement s’est battu à mort pour ses droits historiques


Jusqu’au XVIIième siècle, les rois furent maintes fois tentés de rogner sur la souveraineté du Parlement. Certains ont été moins chanceux que d’autres. Charles Ier a été le plus éprouvé de tous. À cette époque, les parlementaires avaient redoublé d’ardeur dans la lutte pour leurs droits. Bien des crises se sont succédé avant que la question ne soit définitivement réglée. Chacun restait sur sa position. En 1640, ce fut la guerre civile. Le roi vaincu par les armes, les parlementaires l’ont jugé et condamné pour haute trahison. Il a péri sur l’échafaud le 30 janvier 1649. Les complots se sont calmés pendant une quarantaine d’années pour resurgir brièvement en 1688.


Alors qui des deux, du roi ou du parlement, détenait la souveraineté, c’est-à-dire la première place dans l’ordre des dignités et des pouvoirs ? Comme en 1640, des armées se sont mobilisées de part et d’autre. Mais le roi, craignant de subir le sort de son père, a pris panique et s’est sauvé. Son successeur, Guillaume d’Orange, a acquiescé aux revendications des parlementaires. Cette fois, la question du pouvoir souverain dans l’État était définitivement réglée. La souveraineté ne pouvait résider que « dans le roi en son parlement ». Cette formule incarne depuis lors la première règle du parlementarisme britannique. C’est l’héritage de la Glorieuse Révolution. Le règlement définitif de cette question en 1688 constitue aujourd’hui – pour nous au Québec – l’un des principaux piliers de notre histoire constitutionnelle. Mais pilier ou pas, tout droit finit par être convoité par des assoiffés de pouvoir. D’où la nécessité d’être toujours aux aguets pour la préservation de ses droits.


À partir de 1688, les lois adoptées « par le roi en son parlement » ont symbolisé l’incarnation du pouvoir absolu. Le roi lui-même devait s’y soumettre comme n’importe qui. C’était le triomphe de la « rule of law ». Tous les juges du royaume étaient les premiers à s’y soumettre. Il était impensable que des grands personnages de l’État puissent se placer au-dessus du Parlement et de ses lois. L’ordre des dignités et des pouvoirs dans l’État avait été définitivement réglé. Nous l’avons dit plus haut et nous le répétons, cette histoire du Parlement de Westminster s’est greffée à la nôtre lors de la formation de notre premier parlement.


« Le pouvoir exclusif de se limiter soi-même »


Mais le Parlement, maître absolu de sa puissance, savait aussi se limiter pour favoriser la poursuite du bien commun. En ce sens, sa place unique au sommet des institutions de l’État incluait « le pouvoir exclusif de se limiter lui-même ». En ce cas, il le faisait de sa propre et de sa seule autorité pour le bien de la nation. C’était sa décision à lui, la décision d’un pouvoir souverain qui agit sans contrainte. Un tel pouvoir ne se laisse jamais dicter ce qu’il doit faire. Car s’il le faisait, il accepterait de se subordonner à un pouvoir inférieur. C’est pour cette raison que les parlementaires britanniques ont tant lutté contre les empiétements du roi. Il était de toute nécessité que leur parlement ne soit soumis à aucune contrainte autre que celle qu’il voulait bien s’imposer à lui-même. Bref, il devait conserver jalousement son « pouvoir de se limiter lui-même ». Le cas échéant, il le faisait de façon explicite et formelle. Au Canada, le même principe s’applique malgré la répartition des pouvoirs entre les provinces et le fédéral. Chaque parlement possède donc le droit exclusif de « se limiter lui-même ».


Lors de la Conférence de Québec, en octobre 1864, ce sont des colonies britanniques – autonomes ! – qui ont décidé de se concerter dans l’intention de se doter d’une institution commune de type fédéral. Pour y parvenir, chacune a accepté de « se limiter elle-même » afin de déléguer certaines compétences à une institution centrale dédiée au bien commun. Mais chacune l’a fait souverainement. Chacune a manifesté sa volonté de « se limiter elle-même » au moyen d’un écrit destiné à devenir la loi organique d’une nouvelle constitution. Bien entendu, chacune a conservé pleine souveraineté sur tout ce qu’elle a décidé de conserver. Ce principe de stricte-limitation-de-soi a toujours été considéré comme un droit sacré par les provinces fondatrices. Ainsi, dans l’exercice de leurs compétences, les provinces ne sont subordonnées ni au parlement fédéral, ni à la Cour suprême créée par ce même parlement.


Un coup d’État contre la souveraineté parlementaire


Au début des années 1980, des esprits libéraux vendus aux idées d’un individualisme à l’américaine ont voulu redéfinir l’ordre de distribution des dignités et des pouvoirs. Pour y parvenir, chaque province devait consentir à « se limiter elle-même » afin de renoncer à une partie de sa souveraineté au profit du pouvoir judiciaire. Chacune étant souveraine dans son domaine de compétence, chacune devait le faire pour elle-même. C’était la seule façon de procéder. Dans le parlementarisme anglais, on l’a dit et répété plus haut, aucun pouvoir souverain ne peut être forcé de s’incliner devant une autorité subordonnée. Mais il peut décider de « se limiter lui-même » au profit du bien commun. Évidemment, des pressions peuvent s’exercer, mais dans un monde normal, exister et se battre pour exister, c’est la même chose.


Donc, quand est venue la question d’adopter une charte qui allait mettre les législatures en état de subordination au pouvoir judiciaire, c’était la première règle du parlementarisme qui était remise en question. C’était un renversement complet dans la hiérarchie des dignités et des pouvoirs. Pour cette raison, il était impératif que chaque législateur persiste à faire valoir son droit inaliénable de décider pour elle-même. Chacune devait librement et souverainement consentir à ce que la charte proposée empiète sur ses compétences. Et aucune n’avait le pouvoir de décider pour une autre, à moins d’un désaveu complet du premier principe de la Glorieuse Révolution, principe de souveraineté à la base même de notre démocratie et de nos droits parlementaires.


La souveraineté parlementaire est donc fondée sur le maintien d’une hiérarchie invariable dans l’ordre des dignités et des pouvoirs dans l’État. Mais avec ce projet de constitution qui remettait en question la primauté de la souveraineté législative, chaque province encourait le risque de se retrouver sous la contrainte d’une autorité judiciaire qui, désormais, pouvait imposer ses préjugés et préférences idéologiques à chaque législature. C’était une renonciation à la conception traditionnelle de la loi, du droit et de la justice.


Une noblesse judiciaire en mal de puissance


Jusqu’en 1982, la Cour suprême exerçait un pouvoir juridictionnel qui se limitait à interpréter la loi. Toutefois, bien qu’elle ait été créée par une simple loi du parlement fédéral, elle avait tendance à se comporter comme si cette loi avait fait d’elle un tribunal constitutionnel, ce qui n’était pas le cas. Cette attitude était toutefois conforme aux attentes du gouvernement fédéral. Pour la soutenir dans ses prétentions, le gouvernement avait fait adopter en 1949 un amendement à sa loi pour interdire tout appel au « Comité judiciaire du Conseil privé » à Londres, lequel agissait comme une sorte de tribunal inter-national à l’intérieur de l’Empire britannique. Nous l’avons dit plus haut et nous le répétons, il est important de se souvenir que la pérennité de ce recours avait été garantie aux Canadiens français lors des Débats parlementaires tenus en février et mars 1865. L’amendement de 1949 était une violation de plus aux alléchantes promesses de 1865.


Toutefois, depuis les recherches menées par l’historien Frédéric Bastien à partir des archives britanniques, nous savons maintenant de source certaine qu’en 1981 au moins deux juges de ce tribunal ont agi dans la clandestinité pour appuyer le coup d’État du fédéral visant à inverser l’ordre hiérarchique des dignités et des pouvoirs. Jusque-là, nous l’avons dit nous ne le répéterons jamais assez, ce pouvoir avait toujours été subordonné au pouvoir parlementaire. Mais, en 1981, des militants d’une constitution à l’américaine estimaient qu’un multiculturalisme axé sur l’ouverture des frontières pourrait plus facilement s’imposer si les tribunaux obtenaient le pouvoir de censurer toutes les lois susceptibles de protéger les résistances locales « à l’inclusion et à la diversité ».


Pour un gouvernement qui cherche à imposer un agenda idéologique controversé – ici la libre circulation des biens et des personnes à l’échelle mondiale – il est plus facile d’y parvenir avec une poignée d’avocats triés sur le volet, que de le faire avec des députés qui, eux, doivent se justifier en public et rendre des comptes aux quatre ans. D’où la conduite clandestine d’au moins deux juges de la Cour suprême, bien entendu intéressés par l’inversion souhaitée dans l’ordre hiérarchique des dignités et des pouvoirs. D’où aussi, le 28 septembre 1981, un jugement fondé sur une « règle de droit » puisée au plus profond de la conscience des juges-concussionnaires alléguant qu’« un nombre appréciable de consentement provincial » était suffisant pour légaliser le désordre tant souhaité à la constitution du Canada. Pourtant, lors des cinq amendements réalisés entre 1930 et 1964, la règle avait toujours été l’unanimité de consentements.


Bien entendu, cette règle issue du plus profond de la conscience des juges avait essentiellement pour but de faire bon marché de l’opposition de la population du Québec à la violation de ses droits historiques. Ce jugement – motivé par l’amour du pouvoir – contrevenait de plein fouet au premier principe du parlementarisme à l’effet qu’un pouvoir souverain est seul à pouvoir consentir à la limitation de ses compétences. Cette souveraineté pourrait être comparée à celle du candidat au suicide. Lui seul peut décider de mettre fin à ses jours. Si neufs voisins compatissants se liguent pour agir à sa place, c’est un meurtre.


En Angleterre, le Parlement de Westminster est et a toujours été tenu pour « la plus haute, la plus noble, la plus vénérable et la plus puissante cour de justice » du royaume. Les tribunaux et les autres institutions lui étaient et lui sont encore subordonnés. Compte tenu de son statut, il est le seul à pouvoir s’amoindrir lui-même, c’est-à-dire à pouvoir renoncer à exercer une partie de sa souveraineté pour favoriser la poursuite du bien commun.


Dans leur jugement du 28 septembre 1981, les juges de la Cour suprême ont fait fi de cette règle simple, claire et plusieurs fois séculaire. Ils l’ont fait pour satisfaire leur quête de pouvoir. Ils étaient plus intéressés à faire triompher leur agenda idéologique qu’à faire respecter les droits parlementaires et historiques du Québec. Cette charte effectuait une révolution dans l’ordre hiérarchique des dignités et des pouvoirs. La Cour suprême y recueillait la palme d’or. Elle devenait « la plus haute, la plus noble, la plus vénérable et la plus puissante » de toutes les institutions de l’État. Toutes lui étaient subordonnées. C’était le couronnement d’un rêve. Le modèle américain avait triomphé du modèle britannique.


La conclusion viendra dans un prochain article.



Christian Néron,


Membre du Barreau du Québec, Constitutionnaliste, Historien du droit et des institutions.



RÉFÉRENCES :


Blackstone, William, Commentaries on the Laws of England, vol.1, Clarendon Press, Oxford, 1765.


Holdsworth, William, A History of England Law, vol. VI, Methuen & Co. LTD, Sweet and Maxwell, London, 1956.


Taucar, Christopher E., The British System of Government and Its Historical Developments, Mtl et Kingston, McGill-Queens’s University Press, 2014f



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6 commentaires

  • Me Christian Néron Répondre

    20 janvier 2020

    À  LA  QUESTION  DE  JACQUES  PARENT



    Ce que je peux dire au sujet de Gérard Bouchard, c'est qu'il interprète les


    faits sociaux qui nous concernent avec la partie mystique de son cerveau.


    Un scientifique devrait rester  sur le plancher des vaches et interpréter les


    faits avec son principal outil de travail, sa raison.


    De plus, dans son égarement mystique, Gérard Bouchard ne fait pas de


    distinction entre le droit et la morale. La morale vise la vertu, alors que le


    droit vise essentiellement la paix au sein de la société.


    Il dit que le parlement a adopté une loi anti démocratique et qu'il a méprisé


    les chartes et les tribunaux. Cette affirmation reflète sa conception mystique


    de la vie en société. 


    Le droit, au sens de la loi, vise à maintenir la paix et l'harmonie en régulant


    les rapports sociaux. La morale, elle, vise à assurer le bon fonctionnement


    de l'individu à l'intérieur du cadre social. La morale naît de la liberté, et dis-


    parait avec elle.  Ainsi, poser un acte libre, c'est poser un acte moral. Pour


    poser un acte qui échapperait à la morale, il faudrait avoir perdu la raison.


    Gérard Bouchard nous parle d'un droit consigné dans les chartes et laissé


    à la surveillance des tribunaux.


    Mais, depuis 1982, les tribunaux font plus de morale que de droit. Les gran-


    des libertés que l'on retrouve à l'article 2 de la Charte canadienne ne sont


    PAS des droits.  Ce sont des libertés et des valeurs de civilisation. Les tri-


    bunaux les interprètent à leur discrétion et censurent les lois qu'ils jugent


    discriminatoires selon leur propre conception de la liberté, laquelle ressem-


    ble le plus souvent à la liberté farouche des anglos-saxons.


    Les tribunaux ont adopté une façon clairement anti-juridique de faire du droit.


    En fait, ils s'égarent dans la morale.


    En plus, ils violent les principes fondamentaux de la démocratie. Une loi est


    juste lorsqu'elle est adoptée par l'autorité compétente et qu'elle vise la pour-


    suite du bien commun. La poursuite du bien commun, en matière de liber-


    té de religion, c'est de protéger la liberté de conscience de tout le monde.


    D'où la nécessité de limiter la liberté de religion de ceux qui pensent que la


    liberté de religion est un ««  droit  »» fondamental et absolu.


    La volonté de la population peut être la source de la loi, mais pas son fonde-


    ment. Le fondement de la loi, sa raison d'être, c'est la nature essentiellement


    sociale de l'homme. L'homme, tout seul, ne va nulle part. Cette vieille vérité


    de  La Palice est facile à comprendre, mais pas pour Gérard Bouchard, ni pour


    les juges de nos tribunaux à qui les chartes ont donné trop de discrétion dans


    la poursuite de la ««  vertu  »».



  • Jacques Parent Répondre

    18 janvier 2020

    Me Néron, que pensez-vous du paragraphe suivant tiré d'un texte récent dans Le Devoir par M. Gérard Bouchard? Il me semble que la Loi 21 met les tribunaux à leur place, au moyen d'un acte démocratique de l'Assemblée Nationale, non?


    "La loi 21 a été adoptée aux dépens du droit, dans le mépris des tribunaux, grâce à un rétrécissement de la nation, avec le soutien de la partie la plus homogène de la population et au prix d’une déviation de la démocratie. Quel sera, à court et à moyen terme, le coût à payer pour toutes ces contorsions ?"


  • Me Christian Néron Répondre

    7 janvier 2020

    UN  PEUPLE  MAÎTRE  DE  SON  DESTIN


    En février 1865, George Brown, principal artisan du projet de Confédération,


    avait déclaré aux députés canadiens-français pour les inciter à voter en fa-


    veur du projet qu'il sagissait d'un «  pacte de paix entre les descendants des


    vainqueurs et les descendants des vaincus  ». Cartier et MacDonald, assis à


    ses côtés, applaudissaient. Rien ne pouvait être plus clair : un pacte de paix


    entre deux peulples en état d'hostilité permanente depuis un siècle.


    Un peu plus loin, Brown rajoutait pour les rassurer :  «  Il nous faut consulter


    les vues des Canadiens français autant que les nôtres.  Ce projet peut être,


    mais nul autre qui n'aurait le consentement du Bas-Canada ne saurait l'être  ».


    Cartier, assis à côté, l'interrompt pour le soutenir :  «  Ecoutez, écoutez, là


    est toute la question  ».  Brown reprend et confirme :  «  Oui !  là est toute


    la question  ».


    Sur la foi de ces promesses et de bien d'autres, les Canadiens français votent


    cinq semaines plus tard en faveur du « pacte  de  paix  », et non pas pour se


    mettre en état de servitude perpétuelle.


    Vitoria, premier auteur de Droit internartional coutumier, écrivait déjà :


    «  La liberté des peuples est fondée sur la liberté naturelle de l'homme  ».


    Ce principe n'a jamais été désavoué depuis par la communauté internationale.


    Le peuple du Québec n'a pas besoin d'un référendum alambiqué pour rapa-


    trier, en tout ou en partie, ses pouvoirs originaux. Son Parlement peut décider


    de cesser «  de se limiter lui-même  »  face au pouvoir fédéral.  


    En 1865, tous les ministres en faveur du projet ont répété à coeur de jours


    et pendant cinq semaines qu'un référendum serait anti-parlementaire et


    anti-britannique. Si c'était vrai en 1865, ça devrait l'être tout autant aujourd'hui.


    Si la Cour suprême s'avisait d'affirmer son autorité en démolissant la loi 21,


    notre Parlement pourrait répliquer, soit en désavouant ce jugement, soit en


    réglant le problème à la sourse  en proclament l'indépendance.


    Dans un monde normal, exister et se battre pour exister, c'est la même chose.


    Toute nation, en tant que communauté de conscience, cherche non seule-


    ment à exister, mais à se perpétuer, à se donner un projet d'avenir, à


    vaincre le temps, à s'affirmer dans la durée.


    En cas de déclaration d'indépendance par notre Parlement, c'est à la com-


    munauté internationale que reviendrait le droit de rendre le jugement final !


    • Marc Labelle Répondre

      8 janvier 2020

      Formidable ! Il ne manque plus que la volonté politique. Que vos propos soient lus largement, suscitent l’adhésion, inspirent l’action durable.

  • François A. Lachapelle Répondre

    6 janvier 2020

    Me Christian Néron, c'est avec une grand intérêt que j'ai relu votre chronique intitulée " François Legault doit opposer une « lutte sans merci » à la Cour suprême ".


    Je souhaite que François Legault prenne le temps de lire votre texte.  Qu'il prenne toute la mesure de la force des adversaires multiculturalistes du Canada pouvant contraindre la loi québécoise no 21 par de faux principes.


    Votre texte démontre de quel héritage de parlementarisme britannique notre Assemblée nationale du Québec a hérité.  Cette Assemblée nationale du Québec est, je cite:  " « la plus haute, la plus noble, la plus vénérable et la plus puissante » de toutes les institutions de l'État du Québec. "


    Il est aussi important de réfléchir à votre choix de mots dans le titre de votre texte qui est tout sauf banal, je cite:  " François Legault doit opposer une « lutte sans merci » à la Cour suprême ".  Je partage votre choix des mots « lutte sans merci ». (5e parag.)  Ceci fait écho au contraire de combattre la Cour surpême du Canada dans l'improvisation.  On comprend ici que vous parlez d'un combat politique démocratique dans lequel le peuple d'électeurs se mobilise. 


    Toutes les députées et tous les députés de la CAQ doivent être les premiers convaincus que les présentes et futures contestations de la Loi 21 sont un engagement au retour des pouvoirs du parlementarisme britannique dans l'enceinte de l'Assemblée nationale du Québec le plus tôt possible.  Nos élues/élus doivent afficher la fierté qui va avec leurs pouvoirs historiques qui ont été trafiqués par nos adversaires.


    Vous avez raison d'écrire, je cite:  " Ce monde à l'envers dirigé par une poignée de privilégiés est l'incarnation même de ce que l'on appelle couramment « dictature ». ( 6e parag. au centre)  Il est inconcevable que le peuple du Québec se soit laissé endormir pour accepter par le silence le coup de force de PET en 1982.


    Dans les présents défis démocratiques, il ne faut pas uniquement penser aux abus de la Cour suprême du Canada.  Ces abus incluent la Cour d'appel du Québec qui doit s'extraire des mêmes abus que ceux de la Cour suprême.  La Juge en chef de la Cour d'appel par ses remarques de provocation et de nature purement idéologique de la pensée unique du multiculturalisme a démontré les errements extrêmes de cette Cour d'appel dans le sillon de la Cour surpême.


    Vous écrivez à la fin, je cite:  " La conclusion viendra dans un prochain article. ".  Me NÉRON, nous avons hâte de vous lire.  Merci beaucoup.  François A. Lachapelle, retraité


    note:  Je rappelle que le comportement tendancieux de la Juge DUVAL-HESLER a été sévèrement analysé par un autre avocat, le professeur à la Faculté de droit de l’Université Laval, Louis-Philippe Lampron.  Voici ce que le journal MÉTRO du 4 décembre 2019 a rapporté:  " 


    «L’enjeu ici n’est pas de savoir si elle était en conflit d’intérêts avéré. On est vraiment dans une apparence de conflit d’intérêts. Et il y avait une accumulation d’éléments qui pouvaient soulever des questions légitimes», explique-t-il à Métro.


    L’expert en droits et libertés de la personne se dit d’ailleurs très «étonné» des propos de Mme Hesler dans ce dossier."  (fin de la citation)


  • Marc Labelle Répondre

    6 janvier 2020

    Si chaque parlement de type britannique — y compris provincial — possède un statut supérieur à celui de tout tribunal — y compris la Cour suprême du Canada —, n’a-t-il pas celui de revenir sur sa « limitation de lui-même » exercée dans le passé ?  En d’autres termes, l’Assemblée nationale n’a-t-elle pas le droit de recouvrer sa pleine et entière souveraineté de principe ?  Par l’adoption d’une simple loi ?  D’autant que les promesses qui ont précédé la Confédération de 1867 n’ont pas été tenues.  Et encore plus parce que la Constitution de 1867 est allègrement et systématiquement bafouée par le gouvernement fédéral qui envahit les champs de compétences provinciaux dans le but de mater le peuple québécois.