Dans le conflit en Ukraine, l’Europe s’est faite timide dans sa réponse aux agissements russes, qu’elle condamne pourtant. Même dans la foulée de l’écrasement du vol MH17, elle peine à imposer des sanctions sévères. Selon Olivier Schmitt, chercheur postdoctoral au CÉRIUM, il s’agit du résultat d’un conflit entre intérêts économiques et stratégiques et, surtout, d’une incapacité à admettre — contrairement à la Russie — la réalité de la puissance dans les rapports internationaux.
Pourquoi cette frilosité de l’Europe vis-à-vis de la Russie ?
L’Europe n’est pas une entité politique autonome et tous les États n’ont pas les mêmes intérêts et perceptions de la menace posée par la Russie. Par exemple, la Pologne a été très virulente dans sa dénonciation de la Russie, et l’Espagne beaucoup moins. Du fait de ces divergences, la position de l’Union européenne ne peut être rien d’autre que le plus petit dénominateur commun.
Fondamentalement, le comportement de Vladimir Poutine force à une révolution conceptuelle des rapports avec Moscou que les Européens ont du mal à accomplir : la Russie ne sera pas le partenaire dont les Occidentaux ont rêvé pendant 20 ans, mais elle n’est pas non plus l’ennemie mortelle de la guerre froide. Il s’agit d’une relation compétitive qui s’exprime sur le plan des rapports économiques, mais aussi des rapports de force militaires. C’est quelque chose que les Européens refusent d’admettre, puisqu’ils préfèrent commettre le suicide stratégique d’un désarmement unilatéral généralisé et croire en la puissance du droit international comme moyen de régulation des rapports internationaux. La frilosité européenne est le résultat d’une incapacité à penser et à admettre la réalité de la puissance et des conflits dans les rapports internationaux.
Les dynamiques sont-elles similaires vis-à-vis de la Russie entre les trois principales puissances européennes que sont le Royaume-Uni, la France et l’Allemagne ?
Les trois pays doivent arbitrer entre leurs intérêts économiques envers Moscou et le défi stratégique que pose l’attitude russe, soit la remise en cause, par la force, des frontières internationales en Europe. Les dynamiques sont donc similaires entre les trois pays, mais prennent des formes spécifiques.
La rhétorique ferme de la chancelière allemande, Angela Merkel, a surpris les observateurs qui s’attendaient à une plus grande complaisance de la part de l’Allemagne, notamment depuis que Frank-Walter Steinmeier, réputé proche des positions russes, est redevenu ministre des Affaires étrangères. Les milieux économiques sont néanmoins inquiets des répercussions possibles.
La France est dans la situation intenable de vouloir vendre les navires de guerre Mistral à tout prix, tout en affichant une relative fermeté, tandis que la Grande-Bretagne minimise officiellement les conséquences de la crise afin de préserver ses relations avec la Russie, en particulier du fait du poids économique des riches immigrés russes résidant à Londres.
Les trois pays semblent donc vouloir gagner sur les deux tableaux (stratégique et économique), mais le non-choix est intenable à moyen terme et risque au contraire de réduire leur crédibilité.
De son côté, la Russie réagit souvent très mal aux pressions européennes (et américaines). Plutôt que de s’ouvrir, de négocier, elle se rebiffe. Pourquoi ?
L’attitude russe est celle d’une puissance insatisfaite du règlement de paix de 1991 et fondamentalement révisionniste, qui n’accepte pas l’organisation actuelle du système international, où elle estime tenir une place indigne de son rang. Son objectif stratégique est donc de modifier le système en sa faveur, ce qui passe par une remise en cause systématique des accords mis en place pour garantir la sécurité européenne après la fin de la guerre froide.
La Russie se comporte comme une puissance impériale cherchant à vassaliser son proche étranger, une conception incompatible avec les règles du droit international établies depuis 1945. Il faut donc garder à l’esprit que la Russie est fondamentalement insatisfaite, quelle que soit l’action des Occidentaux en sa direction, et que si elle peut reculer à la suite d’un rapport de force défavorable, ce sera toujours un retrait tactique qui ne change rien à son objectif de remettre en cause l’ordre international existant.
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