Grave crise en Belgique

Cette fois, on peut utiliser des mots très forts: la crise politique que subit la Belgique est grave.

Chronique de José Fontaine

Un prétexte
Le prétexte semble en être le destin de plusieurs communes autour de Bruxelles qui désirent être réunies à cette ville qui est un Etat fédéré bilingue de la Belgique fédérale alors que pour le moment ces habitants sont situés dans l’Etat fédéré de Flandre, unilingue néerlandais. Il existe aussi un arrondissement commun (vieil héritage de la Belgique unitaire), entre ces communes et Bruxelles, mais uniquement pour les questions judiciaires et électorales. Souhaitant se débarrasser de ce vieil héritage unitaire, une majorité de députés (tous flamands mais les Flamands ont la majorité à eux seuls), de la Commission de la Chambre qui traite de ces questions ont voté la scission de cet arrondissement qu’on désigne par trois lettres : BHV (= Bruxelles-Hal-Vilvorde).
Ce qui a entraîné la suspension des négociations en vue de la formation d’un gouvernement qui durent depuis cinq mois et sont extrêmement laborieuses, pénibles même. Pour le moment une confusion très grande règne dans les esprits au point qu’un journal a même écrit que les initiatives du roi des Belges ajoutaient encore à la confusion.
En tant qu’autonomiste wallon, je devrais me réjouir de ce qui se passe, car cela va sans doute ouvrir les yeux à beaucoup de gens qui croient encore que les problèmes dits communautaires sont secondaires.
Mais j’ai des réticences, réticences que je pense partager avec d’autres Wallons et même des Bruxellois autonomistes.
En effet, l’enjeu de cette dispute semble quand même un peu dérisoire: les Francophones de ces communes ne sont quand même pas soumis à une oppression systématique et ont la possibilité de vivre en français, même s’ils habitent en Flandre. J’irais même jusqu’à penser que les Flamands ont raison (pas à 100%), d’agir comme ils le font, pour défendre leur langue contre l’envahissement du français. C’est un peu la situation des Québécois francophones.
Ce qui me dérange par contre, c’est que les Flamands, en votant comme ils l’ont fait, ont usé et abusé de la majorité qu’ils constituent au Parlement belge. Mais une chose qui me dérange encore bien plus, c’est le fait que les journaux parlent de cet événement comme d’un événement sans précédent. Or ce n’est pas le cas. Par le passé de tels votes eurent plusieurs fois lieu en 1921, 1938, 1962 et la Flandre a toujours (souvent en tout cas), utilisé la majorité qu’elle forme dans le pays et au Parlement.
Le mouvement wallon dénonce cette réalité depuis plus d’un siècle. Toute la structure fédérale belge est en partie assise sur le constat que la Wallonie est minoritaire. C’est la raison pour laquelle il n’y pas de hiérarchie des normes en Belgique: la loi d’un Etat fédéré a la même force juridique que la loi de l’Etat fédéral.
Face aux partis flamands, il n’y a pas de partis wallons, seulement francophones
Ce qui me dérange profondément, c’est que les partis sont divisés de manière linguistique en Belgique. Il y a d’une part des partis flamands et, de l’autre, des partis non pas wallons mais francophones. Ayant une base linguistique et non régionale (soit la Wallonie + Bruxelles qui est à plus de 90% francophone), les chefs des partis raisonnent non en termes régionaux, mais de communautés linguistiques. Ils disent le faire au nom de la solidarité entre Wallons et Bruxellois francophones, mais leur agir et leur discours tendent à confondre Wallons et Bruxellois, ce qui n’est au goût ni des premiers, ni des seconds.
Un sondage récent a montré que si 19% des Flamands sont préoccupés de la question de l’arrondissement judiciaire et électoral BHV, seulement 9% des Bruxellois s’en soucient et 1 % (un!) des Wallons.
Ce qui sépare le plus profondément les négociateurs du futur gouvernement ce n’est pas l’arrondissement BHV, mais le refus côté wallon et francophone de donner plus d’autonomie à la Flandre mais... par là même, à la Wallonie et à Bruxelles. Le parti anciennement social-chrétien dirigé par Joëlle Milquet est devenu sous sa direction un parti belgicain. On a vu – je n’avais jamais vu cela - Joëlle Milquet chanter la Brabanconne (l’hymne national belge) le 27 septembre à Bruxelles. Le président socialiste ne vaut pas mieux qui évite le plus possible de parler de Wallonie et se pourlèche les babines dès qu’il peut dire “Sa majesté le Roi”. La RTBF a quasiment encouragé les Bruxellois et les Wallons à pavoiser avec le drapeau belge. Alors que les difficultés d’entente avec les Flamands sont bien réelles, que le fédéralisme poussé qu’ils réclament – qui est en réalité du confédéralisme – va s’instaurer, les dirigeants wallons (surtout ceux je viens de citer), semblent désirer nous faire entrer dans l’histoire à reculons. Alors que la Belgique unitaire et même fédérale est mise gravement en cause, c’est au passé qu’ils s’accrochent. La Wallonie a beau être un Etat à moitié indépendant, rien ne s’entend de ce côté pour parler non des francophones mais de l’avenir de la Wallonie. Le Parlement wallon se tait.
Nous sommes manifestement au bord, non pas de l’éclatement de la Belgique, mais d’une Belgique confédérale constituée de trois Etats indépendants ou quasiment indépendants. Or, on n’a jamais aussi peu parlé de la Wallonie et les politiques qui ont la parole actuellement dans les médias s’arrangent pour n’en même pas prononcer le mot. Ils payeront un jour le prix de leur impéritie, en particulier les socialistes qui ont été les principaux acteurs de l’autonomie wallonne et qui sont de plus en plus à droite tentant de séduire l’électorat petit-bourgeois, celui-là même qui hisse le drapeau belge au coeur opulent des villes sur des maisons arrogantes et pour qui le drapeau wallon est surtout celui des foules ouvrières insurgées contre le roi en 1950, contre les lois de droite iniques en 1960, et pour l’autonomie de la Wallonie, les décennies qui ont suivi.
L’impéritie des socialistes wallons sur la Wallonie se payera aux prochaines élections: déjà perdants aux élections fédérales de 2007, ce parti va au-devant de nouveaux échecs électoraux parce que, après avoir viré à droite, il s’enveloppe dans les trois couleurs belges de la nostalgie, du passé et des classes égoïstes.
Une Belgique qui cesserait d’exister sans que la Wallonie ne se mette debout, me fait préférer la Belgique actuelle où il y a encore moyen de se battre pour que les Wallons se réveillent. Pour le moment, les dirigeants wallons ne sont vraiment pas à la hauteur de la situation. Cependant, les journaux, les blogs, mes élèves cette après-midi même indiquent qu’il y a aussi un réveil wallon et que seul un (con)fédéralisme à trois est possible et rationnel en Belgique, ce que ne cesse de répéter un groupe de Bruxellois très influents mais non encore présents au Parlement.
José Fontaine
http://www.bruxsel.org/?q=fr/node/443#comment-350

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José Fontaine355 articles

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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6 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    13 novembre 2007

    Grave crise ? Plutôt une crise inévitable et salutaire.
    Inévitable en raison des ambitions flamandes. Salutaire en cela qu'elle conduit inexorablement à l'union des Belges francophones et des Français.
    Plus la pression flamande sera forte à Bruxelles et ailleurs sur la frontière linguistique avec déclarations et actions anti-francophones, plus les Français seront favorables au rattachement de Bruxelles et de la Wallonie à la France et considérereront ce rattachement légitime, fondé, incontournable et naturel.
    Plus il apparaîtra que les Français sont favorables au rattachement et même l'appellent de leurs voeux, plus les francophones belges se feront à l'idée que celui-ci est la meilleure solution qui vaille pour eux.
    Comme on dit la meilleure défense est l'attaque.
    Les Flamands bénéficient en Belgique d'un rapport de forces favorable. En devenant Français, les Belges francophones inversent totalement ce rapport des forces.
    A la seconde même où Bruxelles deviendra française, les Flamands n'auront d'autre choix que de transférer leurs institutions et services administratifs hors de Bruxelles, c'est à dire hors de France.
    Fin des discussions interminables. Fin des ambitions et gesticulations flamandes. Fin de la crise.

  • Archives de Vigile Répondre

    12 novembre 2007

    José Fontaine oublie de signaler un fait très important dans l'imbroglio belge : la frontière linguistique n'a pas été fixée de façon démocratique, puisqu'il n'y a pas eu de consultation populaire des habitants. Pire que cela, 300 bourgmestres flamands ont refusé illégalement de distribuer le volet linguistique du recensement de 1960, ce sans être sanctionnés et les hommes politiques francophones de l'époque ont accepté un marchandage boîteux, basé sur un recensement dépassé et des choix arbitraires purement politiciens (le meilleur exemple étant les Fourons, abandonnés par le PS parce qu'ils ne votaient pas socialiste et mettaient en péril l'Etat-PS de la Province de Liège).
    Le fait que la frontière linguistique ait été fixée de façon non démocratique explique à lui seul la création du FDF, bête noire des Flamands. Ceci explique aussi partiellement la mauvaise volonté des Francophones de la périphérie francophone pour apprendre le néerlandais, vu que les habitants n'ont pas été consultés lors de la fixation de la frontière linguistique.
    On peut aussi comparer l'absence de sanction contre 300 bourgmestres flamands ayant refusé d'appliquer une loi (le volet linguistique du recensement) et la volonté flamande de ne pas nommer 4 bourgmestres de la périphérie bruxelloise, pourtant élus par 75 % de la population, sous le prétexte qu'ils n'ont pas respecté une circulaire administrative sans la moindre valeur par rapport à une loi ou un arrêté royal (les facilités, bétonnées dans la Constitution, prévoient d'envoyer les convocations électorales dans la langue des citoyens).
    Quand ils parlent de confédéralisme, les Flamands pensent à l'exemple suisse. Exemple mal choisi pour 2 raisons : officiellement une confédération, la Suisse est en fait une fédération ; pour régler des contentieux, les Suisses n'hésitent pas à faire des consultations populaires, éventuellement quartier par quartier (je pense ici à la division du Jura). Pourquoi les Flamands préfèrent-ils toujours faire parler le sol que les gens ?
    Il faut admettre sans sourciller que la façon d'envisager la vie en société est différente pour un Francophone et pour un Flamand. Politiquement, la Wallonie poursuit un projet de centre-gauche, la Flandre un projet de droite. Si la Flandre a le sentiment d'être une Nation auquel il manque encore un Etat indépendant, les Wallons et les Bruxellois n'ont pas le sentiment de faire partie d'une vraie Nation : la Belgique est un leurre depuis le début et ils sont de plus en plus nombreux à ouvrir les yeux ces derniers temps, face à la volonté sans faille des Flamands et aux visions à courte vue des partis politiques traditionnels. Leur vraie Nation, la France, dont ils ont été privés si longtemps, les attend avec impatience : 54% des Français sont favorables à cette réunion et le pourcentage monte à 66 % dans les départements proches de la Belgique.

  • Archives de Vigile Répondre

    12 novembre 2007

    Même si je ne suis plus son copain mais devant l'attaque des rattachistes de service, je dois avouer qu'ici il a raison dans le plus gros de son explication sur la crise belge !
    BHV est bien une relique de l'ancienne Belgique à papa ou Belgique unitaire ... état unilingue francophone pendant plus d'un siècle alors ... que la majorité des Belges étaient Flamands !
    L'autre problème aujourd'hui, c'est les Bruxellois qui ont quitté leur ville après la fédéralisation belge en trois régions pour aller s'établir (au vert) dans les communes voisines mais flamandes (périphériques de Bruxelles) et qui forts de leur nombre revendiquent aujourd'hui le rattachement de ces communes à la région de Bruxelles-Capitale ... ce que les Flamands refusent bien entendu !
    Il vous faut savoir que les Flamands, à l'image des Québecois pour la langue française, ont toujours du se battre contre la francisation rampante provoquée par une législation belge injuste imaginée par les francophones belges et destinée à raboter petit à petit leur territoire ! Un peu comme si demain on forcerait les recensements avec volet linguistique au Québec et que si une commune déclare plus de 30% d'anglophones ... cette commune devient bilingue ... et lorsqu'il y a plus de 50% d'anglophones ... hop la voici rattachée au KKKanada ... il clair que de tels recensements pratiqués tous les 10 ans raboteraient aussi votre territoire et qu'à un moment donné vous direz stop ! Ce que les Flamands ont fait en 1960 pour enfin obtenir une frontière définitive devant garantir le statut linguistique à leur territoire !

  • Archives de Vigile Répondre

    12 novembre 2007

    Il est vraiment triste de constater que le seul combat qui mobilise encore aujourd'hui celui qui fut naguère indépendantiste wallon est de promouvoir le confédéralisme belge.
    Les Québécois doivent comprendre que ce confédéralisme est exactement la thèse défendue par la Flandre.
    Solution qui donne à la Flandre les avantages de la Belgique (entre autres la main sur Bruxelles où les Flamands, numériquement en chute libre, ne représentent plus que 11% de la population), sans les inconvénients de celle-ci.
    La Wallonie, quant à elle, resterait prisonnière et dépendante d'une Belgique plus que jamais dominée par la Flandre.
    Un peu comme si les souverainistes et indépendantistes québécois s'éclipsaient et laissaient la place à un autonomiste (?) comme Mario Dumont.

  • Archives de Vigile Répondre

    12 novembre 2007

    Cette situation appelle tout simplement à un peu de lucidité, et à une meilleure connaissance de l'Histoire...
    A trop hypostasier la "Belgique", comme si elle existait de toute éternité, en filigrane, et au moins depuis Jules César, on se condamne à ne rien comprendre. A ce compte, on peut aussi "démontrer" que le soleil tourne autour de la Terre : les équations sont simplement un peu plus complexes...
    Et c'est exactement ce qui se passe ici. Un certain nombre de commentateurs, et surtout de politiciens, ont intérêt à ce que perdure la structure "Belgique", et leur fromage avec...
    Quant à assimiler la Flandre au Québec, peste ! A-t-on jamais vu les Québécois lapider les étudiants anglophones de l'université McGill ?
    Tout simplement, la "Belgica" de l'Antiquité désigne le nord de la Gaule. Elle n'a ni plus, ni moins de réalité que la "Lyonnaise"
    Ensuite, le traité de Verdun, pour faire des parts égales entres princes germaniques, et en foulant le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes (cela ne vous rappelle rien ?) taille dans la chair de la chair, et sépare du corps principal de la Francia des provinces de langue et de culture française.
    Curieusement, la Flandre, de langue majoritairement germanique, fait partie de la Francia occidentalis...
    D'où un millénaire de conflits. Les rois de France, patiemment, récupèrent toutes les provinces et régions arrachées ... sauf celles qui, aujourd'hui, constituent la "Wallonie".
    Après Waterloo, en 1815, après un bref intermède (le Grand Royaume des Pays-Bas), où le bouchon anti-français avait été poussé trop loin, l'Algleterre impose la création de la "Belgique", sous un prince allemand (de Saxe-Cobourg-Gotha), après avoir mis son veto au fils de Louis-Philippe...
    La chronique de l'existence de l'Etat belge est celle d'un divorce sans cesse retenu, mais objectivement, face à une Allemagne surpuissante (car la Sainte Alliance lui avait donné la Rhénanie au moment où elle arrachait les Wallons à la France), l'existence même de la Belgique aura coûté à la France des centaines de milliers de morts pendant les deux Guerres mondiales.
    Aujourd'hui, l'évidence est là. Il y a, face à face, deux peuples, bien plus différents l'un de l'autre que ne l'étaient les Tchèques et les Slovaques, et leur séparation se fera d'autant plus à l'amiable qu'elle se fera vite.
    Reste Bruxelles, métropole francophone (cette francophonie ne devant rien à l'action de la France, car Bruxelles est une création "bourguignonne", anti-française par construction).
    Nous disons qu'il faut, ici comme ailleurs, respecter le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, et que les habitants de Bruxelles, qu'ils se trouvent dans telle ou telle commune, doivent pouvoir, s'ils le veulent, décider de leur destin hors d'une Flandre à laquelle ils se sentent étrangers.
    Et que tout - histoire, culture, intérêts, langue pousse l'ensemble Wallonie-Bruxelles vers la France, réparant ainsi une injustice historique et rééquilibrant la puissance française face une Allemagne - que l'on a laissé se réunifier sans faire d'objections.
    Le Wallingantisme comme le Belgicanisme sont en réalité des idéologies anti-françaises.

  • Archives de Vigile Répondre

    11 novembre 2007

    Enfin, José Fontaine s'est réveillé lui aussi, pour donner une lecture claire et renouvelée de l'imbroglio belge.
    Une question cependant, mal protégée depuis toujours, comment se porte la région germanophone, la langue allemande ou ses dialectes tendent-ils à dispaître?
    JP Gilson