Haunted House

Là où vivent les fantômes, la liberté doit advenir

NOUS? 7 avril 2012


Le 7 avril 2012, de midi à minuit – douze heures durant – Nous? convie toute la population à réfléchir à la question suivante: «Comment rendre visible, opérante la liberté qui nous caractérise et qui nous échappe en même temps?».
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Haunted House
Vivre en français chez nous ou survivre apeurés dans un manoir, voilà la question. Voilà la quête.
Nous sommes les héritiers de navigateurs audacieux, de leur combat et de leur langue, qui sait nommer la liberté. Si nous le voulons, nous pouvons affronter les revenants qui tentent, en ce moment même, de nous détourner de notre voie librement tracée. Notre tâche est insigne, belle et engageante : rénover notre démocratie afin de combattre, ensemble, la peur d’exister. Une peur qui attire des fantômes, des entités, des spectres, dans une histoire dédoublée qui revient sans cesse nous hanter.
Le Canada est une haunted House. Sa Constitution est celle de nos peurs, de notre solitude. Les revenants apparaissent en elle au nom de l’unité canadienne. Ces fantômes, ce sont nos problèmes politiques irrésolus. Ceux-ci refusent de nous laisser sortir du manoir. Que ce soit la célébration des noces de Kate et William, le retour des portraits d’Elizabeth II, la commémoration de son jubilé de diamant, la reconstitution idéologique de la Bataille de Châteauguay (1812) ou le retour de la marine royale, nous avons affaire-là à des revenants qui menacent notre liberté démocratique et nous renvoient à notre différence.
Notre temps politique ne sera jamais autre que celui du combat contre la peur. Cette hantise impensée, qui est toujours déjà là et nous fabrique une cage, doit être nommée pour être vaincue. Or, seule une parole collective libre exorcisera les doubles discours qui trahissent nos politiques. Les revenants affolent le peuple québécois dans l’écriture de son histoire, mais les esprits de nos ancêtres répliquent en nous : ils nous conjurent de faire encore des efforts, de nous unir. Que confrontés à la monarchie, il nous faut nous battre plus fort pour la démocratie.
Et pourquoi encore ?
Parce que le Québec s’est développé, mais que sa marche a été entravée. S’il s’est levé, des espions lui ont imposé, la nuit venue, des Ordres et une Constitution contre sa volonté. Car ses mots, dans ceux de Miron, de Perrault et de Vigneault, et combien d’autres encore, portaient toujours plus de liberté et de vérité. Le Québec avait connu l’émeute du Forum, il devait vivre les Journées de la matraque et la crise d’Octobre ; il a été trompé et effrayé, alors qu’il aspirait à plus de justice et de liberté.
De ces horreurs, il en est encore hanté.
Les plus escrimeurs d’entre nous ont alors combattu la peur par le faire : Bourgault faisait rêver, Godin faisait rimer, Lévesque faisait vivre « un grand peuple », Chartrand faisait les travailleurs chanter ! Les nôtres vivaient – respirant enfin tranquillement, ils ont voté des lois sur le financement des partis politiques, la protection des femmes et de la langue, ils se sont levés, non sans oublier, dans leur ivresse, les consultations populaires.
Terre de référendums, modèle de démocratie pour les uns, territoire à conquérir pour les autres, le Québec ne pouvait plus être en français comme il le voulait. Cela commençait à déranger, de voir des gens dire et faire tout ce qu’ils disaient par eux-mêmes.
Alors les spectres sont revenus… avec les nuages. En deux temps différents, nous avons voulu proclamer notre liberté, mais sans chasser tous les fantômes. L’orage est passé, sans éclater. Deux soirées d’épouvante plus tard, nous sommes encore dans le manoir.
Depuis 1995, le vent est de face. La pression atmosphérique s’exerce sur le Québec. On parle moins de projet, moins de nous, plus d’eux, du reste. On surveille et dénoncent les nôtres qui, emportés par les médias acteurs, tombent dans le piège du repliement identitaire. Avec le rapport des agents doubles, nous sommes redevenus des Canadiens français. Notre hospitalité pouvait, on l’ignorait, se retourner contre nous au moment même où sévissait une mondialisation plus anglophile que culturelle. Nos élites, moins en chair plus en os, en ont profité pour critiquer notre tolérance et nous affoler encore un peu plus. Une pression allait souffler, coast to coast, sur notre différence. C’est bien cela, l’hiver de force.
L’hiver, nos habitants se replient, et rêvent trop, comme Léolo. Ils rêvent d’un pays, d’un printemps, des érables. Ils n’ont pas le goût de la Grande politique. Ils ont plus le goût du hockey, moins celui du débat des Chefs. Tout peut se transposer dans des votes « oranges ». Cette vague bien québécoise reviendra-t-elle… cette fois pour nous porter ?
Oui, sans doute. Mais quand ? Quand le climat le permettra. N’est-ce pas d’ailleurs un fort beau moment du temps politique lorsque, contre la hausse, les bâillons et les injonctions, nos étudiants rejouent devant nous, avec nous l’invention de la démocratie dans un printemps québécois.
Dans un monde s’indignant contre les puissants ; dans un Canada royal et un Québec qui s’attend ; nous pratiquerons la politique spectrale. Si notre histoire ne s’est pas écrite sans conflits, si les mêmes politiques ont conduit au même manoir, alors le Québec parlera de sa blessure pour s’imaginer un futur. Là où vivent les fantômes, la liberté doit advenir. Aux côtés des travailleurs, des historiens et des poètes, dont les paroles marchent dans la nuit, nous affronterons notre récit, interpréterons ses messages, afin de le conjurer une fois pour toutes. Le sursaut, donc, est notre tâche. Il attend que nous canalisions notre colère et surtout notre fierté dans une autre démocratie.
Mais comment y arriverons-nous ?
Nos citoyens rénoveront la démocratie car c’est le seul outil dont ils disposent pour contrer les excès de la monarchie, de l’oligarchie et de la tyrannie. Ils écriront des lois pour s’immuniser, vivre et respirer de nouveau. La parole, l’égalité et le droit seront nos moyens de nous donner un air à nous. Car la démocratie, sensible aux saisons, demeure le temps de la politique, son espoir. Et résistante au vent d’ouest, la démocratie nouvelle deviendra notre maison, notre microclimat, notre atmosphère, notre ambiance à partager.
Enfin, si l’histoire de toute la société québécoise jusqu’à nos jours n’a été que l’histoire de la lutte contre la peur, les Québécois accepteront leur rendez-vous avec elle. Ils sortiront démocratiquement de la danse macabre par un exorcisme collectif. Ils s’y seront préparés en écoutant l’appel des spectres, mais aussi leurs propres voix, afin de s’entendre entre eux d’abord, pour sortir ensuite d’un passé qui les retient prisonniers. Ils ne craindront plus le retour en arrière car les chasseurs de fantômes auront trouvé, dans les opportunités actuelles et à venir, des chances de transformer la peur collective en force, en courage et en liberté.
Décidés à vivre en français chez eux, ils nous auront convaincus par leur parole que les fantômes, aussi vieux soient-ils, d’où qu’ils viennent, s’affolent toujours eux-mêmes devant ceux qui ne les craignent pas.

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Dominic Desroches115 articles

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Dominic Desroches est docteur en philosophie de l’Université de Montréal. Il a obtenu des bourses de la Freie Universität Berlin et de l’Albert-Ludwigs Universität de Freiburg (Allemagne) en 1998-1999. Il a fait ses études post-doctorales au Center for Etik og Ret à Copenhague (Danemark) en 2004. En plus d’avoir collaboré à plusieurs revues, il est l’auteur d’articles consacrés à Hamann, Herder, Kierkegaard, Wittgenstein et Lévinas. Il enseigne présentement au Département de philosophie du Collège Ahuntsic à Montréal.





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