Universités (1)

Hausse des droits contre dérives immobilières...

Conflit étudiant - grève illimitée - printemps 2012



Pourquoi le gouvernement québécois a-t-il choisi de hausser les droits de scolarité dans les universités? La première raison est qu'il n'envisage plus de réclamer le redressement de l'investissement fédéral à la hauteur où il se situait en 1994-1995, au moment où le gouvernement fédéral choisissait de rétablir l'équilibre dans ses propres finances publiques en réduisant les transferts aux provinces, notamment en éducation supérieure. La seconde raison est que, lorsque son équilibre budgétaire fut atteint, le gouvernement fédéral estima, dans le contexte d'une quasi-défaite référendaire au Québec, qu'au lieu de rétablir les transferts, il valait mieux investir directement auprès des étudiants, des chercheurs, des centres et des universités pour s'assurer d'une plus grande visibilité auprès des citoyens canadiens. Les principales mesures adoptées furent le programme des bourses du millénaire, le programme des chaires de recherche du Canada, la mise sur pied de la Fondation canadienne pour l'innovation, le programme des grands travaux concertés et les hausses accordées aux principaux organismes subventionnaires (IRSC, CRSNG, CRSH).
Dérives immobilières
Dopées par les subventions de recherche, les universités canadiennes faisaient quand même face à d'importants déficits de fonctionnement que la plupart d'entre elles comblèrent par des hausses importantes de droits de scolarité. Les universités québécoises, elles aussi aux prises avec des difficultés financières, s'engagèrent alors dans une lutte féroce pour s'accaparer les «clientèles» étudiantes et ainsi hausser leurs subventions en provenance du gouvernement du Québec. Cela les a conduites à la construction inutile de campus à proximité des universités concurrentes. Cela a conduit aussi l'UQAM dans la dérive immobilière de l'îlot Voyageur. Et cela conduit actuellement l'UdeM dans une dérive immobilière à la gare de triage d'Outremont.
En effet, alors que le recteur Vinet prévoyait en 2007 devant l'Office de consultation publique de Montréal des coûts s'élevant à 3000 $ par mètre carré brut pour développer un second campus à la gare de triage d'Outremont dont la superficie est estimée à 280 000 mètres carrés (soit 840 millions de dollars), la Ville de Montréal annonçait le 20 janvier 2012 des coûts atteignant 1,6 milliard de dollars pour le développement du même projet! Une augmentation de 100 % en cinq ans!
La saga du 1420, boulevard du Mont-Royal
Cet éparpillement coûteux du développement immobilier de l'UdeM s'est effectué aux dépens d'un plus modeste projet de densification sur le campus de la Montagne. Sur les 50 000 mètres carrés nets en besoin d'espace pour l'UdeM reconnus par le gouvernement québécois, 22 000 mètres carrés nets peuvent être pris en charge par la rénovation du 1420, boulevard du Mont-Royal, un immeuble patrimonial situé à l'est du campus que l'Université a acquis en 2003. Cet immeuble était destiné au départ à accueillir l'École de santé publique, mais la direction de l'Université, charmée par l'acquisition des terrains de la gare de triage d'Outremont pouvant servir à la construction d'un nouveau campus, s'est employée très tôt à brosser un tableau sombre concernant les coûts de mise à niveau du 1420, Mont-Royal. Elle décida de le mettre en vente et un promoteur souhaite en faire un immeuble à condos de luxe.
Obnubilée par la terre promise d'un second campus à Outremont, la direction de l'UdeM prétendit que les coûts de rénovation du 1420, boulevard du Mont-Royal s'élevaient à plus de 140 millions de dollars en s'appuyant sur des études bâclées et faites à la hâte. Elle prétendit aussi qu'elle faisait face au refus des gouvernements de financer cette rénovation, alors que la direction n'a jamais tenté sa chance de demander de l'argent pour rénover le 1420, Mont-Royal lors des deux concours fédéraux du programme d'infrastructure du savoir, et ce, en dépit de la recommandation expresse de l'Office de consultation publique de Montréal. Elle refusa aussi d'approcher à nouveau le gouvernement du Québec qui venait tout juste de hausser ses subventions en infrastructure, et ce refus, encore une fois, fut exprimé en dépit d'une recommandation explicite de l'OCPM. Elle prétendit que si elle ne vendait pas l'établissement, les locaux resteraient inoccupés. Or, ce pavillon accueille déjà le centre de recherche BRAMS et pourrait accueillir aussi le Département de géographie qui est logé dans l'insalubre pavillon Strathcona, de même que la Faculté de théologie, la Faculté d'éducation permanente, quelques unités présentement situées sur l'avenue du Parc, ainsi qu'une partie de la Faculté de musique qui est désespérément à la recherche de locaux pour y aménager des salles de répétition, des ateliers et une discothèque de 20 000 disques vinyles.
Au lieu d'engloutir plus de 9 millions de dollars dans la location d'immeubles comme le Strathcona et celui de l'avenue du Parc, elle pourrait se servir de cet argent pour rembourser progressivement les coûts de rénovation du 1420.
Mais la direction de l'Université ne l'entend pas de cette façon. Elle a envisagé, entre autres, le scénario d'un déplacement de la Faculté de musique et de la salle Claude Champagne vers le campus projeté à la gare de triage d'Outremont. Livrant en pâture aux promoteurs immobiliers sa Faculté de musique et la salle Claude Champagne, ces deux établissements risquent à leur tour de se transformer en immeubles à condos de luxe.
Paradoxalement, la direction de l'Université assure ne pas être en mesure de trouver les 140 millions qu'elle estime nécessaires pour rénover le 1420, Mont-Royal, alors qu'elle prétend pouvoir trouver le 1,6 milliard requis pour construire un autre campus à la gare de triage d'Outremont.
Trois ordres de gouvernement
Cette dérive immobilière ne peut se faire sans la complicité des gouvernements. Il y a tout d'abord celle de la Ville de Montréal qui voit d'un bon oeil le développement d'immeubles à condos de luxe (l'ancien collège Marianapolis, le 1420, boulevard Mont-Royal) et, qui sait bientôt peut-être, l'ancien hôpital Royal Victoria, car cela rapportera gros en impôts fonciers. Il y a aussi la complicité des gouvernements québécois et canadien qui sont réticents à financer les universités québécoises adéquatement pour assurer des bourses d'études supérieures à tous les étudiants de doctorat, pour réduire le ratio étudiants/professeur ou pour répondre aux besoins quant aux frais indirects de recherche, mais qui sont ouverts à des investissements immobiliers parce que, comme chacun sait, «lorsque l'industrie de la construction va bien, tout va bien».
Les étudiants ont le dos large
Comment résoudre alors le problème du sous-financement des universités? On se tourne vers les étudiants et on leur demande de payer la note. Le gouvernement fédéral est trop préoccupé d'assurer sa visibilité par un investissement direct en faveur des établissements, principalement dans le secteur de la recherche. Le gouvernement québécois est trop préoccupé de ne pas provoquer de tensions avec le gouvernement fédéral et il est trop accaparé par une vision du développement économique qui subordonne le fonctionnement adéquat des universités au dynamisme de la construction immobilière. Et le gouvernement municipal est trop obnubilé par le désir de profiter d'impôts fonciers accrus. C'est dans ce contexte que l'on se tourne vers les étudiants pour leur demander de payer eux-mêmes pour le redressement de la situation financière des universités.
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Michel Seymour, Louis Dumont, Jean-Claude Marsan et Daniel Turp, professeurs à l'Université de Montréal

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Michel Seymour25 articles

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Michel Seymour est né en 1954 à Montréal. Très tôt, dès le secondaire, il commence à s’intéresser à la philosophie, discipline qu’il étudie à l’université. Il obtient son doctorat en 1986, fait ensuite des études post-doctorales à l’université Oxford et à UCLA. Il est embauché à l’université de Montréal en 1990. Michel Seymour est un intellectuel engagé de façon ouverte et publique. Contrairement à tant d’intellectuels qui disent avec fierté "n’avoir jamais appartenu à aucun parti politique", Seymour a milité dans des organisations clairement identifiées à une cause. Il a été l’un des membres fondateurs du regroupement des Intellectuels pour la souveraineté, qu’il a dirigé de 1996 à 1999. Pour le Bloc québécois, il a co-présidé un chantier sur le partenariat et a présidé la commission de la citoyenneté. Il est toujours membre du Bloc, mais n’y détient pour l’instant aucune fonction particulière.





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