Voici pourquoi il n’est pas possible d’interdire de « prêcher contre les valeurs québécoises » comme cela est proposé par le parti de la seconde opposition au Parlement québécois.
La notion de « valeurs québécoises » renvoie à une multitude d’idées, de grandes idées, de grands principes auxquels une majorité est profondément attachée.
Mais dans une société pluraliste, si plusieurs sont a priori d’accord avec les « valeurs » généralement partagées, tous n’y donnent pas le même sens et la même portée.
Les valeurs, ce sont des idées. Les idées ça se discute ; la portée et le sens que doivent avoir les différentes valeurs sont continuellement sujets à débats et évaluations.
Introduire une règle de droit – c’est-à-dire une règle obligatoire, un interdit sous peine de punition – pour prohiber un discours qui viendrait à l’encontre de ces valeurs relève du défi.
Certes, une telle mesure est applicable dans une société totalitaire mais elle est inapplicable dans un contexte démocratique.
Pour pouvoir appliquer concrètement une interdiction de prêcher des propos contredisant les valeurs québécoises, il faut être prêt à déployer d’importants effectifs afin de surveiller, scruter et analyser la multitude propos qui sont tenus au sein d’une société comme la nôtre.
Il faut être prêt à consacrer des ressources pour traiter les multiples dénonciations de tous ceux qui, incapables de supporter des paroles ou des écrits qui les dérangent, logeraient des plaintes. Selon la proposition rendue publique hier, ces plaintes iraient auprès de la Commission des droits de la personne.
Une grande « bureaucratie des idées » en perspectives !
Une telle mesure s’appliquerait très mal à ceux qui ont un discours vraiment dangereux, celui qui est effectivement à même d’amener certains à passer aux gestes extrêmes suite à de tels enseignements. Ces prêcheurs vraiment dangereux agissent de façon à se rendre invisibles à ceux qui sont imperméables à leurs idées.
Les vraies victimes d’une mesure aussi large interdisant les propos contraires aux « valeurs québécoises » seraient probablement les tenants d’opinions minoritaires, les marginaux. Pas nécessairement les dangereux.
Mais par dessus tout, il est difficile d’imaginer comment une mesure aussi large et visant un ensemble aussi vaste de discours qui seraient « contraires » aux valeurs québécoises peut passer le test de raisonnabilité appliqué par les tribunaux.
Lorsqu’une loi limite ou restreint les libertés garanties par les chartes des droits, il faut être prêt à démontrer que la limite est raisonnable et justifiable dans une société libre et démocratique.
Il y a une constante dans les analyses des tribunaux à l’égard des lois qui punissent des messages. Il faut que la mesure d’interdiction vise un type de message possédant des caractéristiques qu’une personne raisonnable soit en mesure d’identifier.
Lorsqu’on édicte une loi prohibant l’expression d’idées ou de messages, il faut que chacune des personnes visées par l’interdiction soit en mesure de savoir ce qui est effectivement interdit.
Par exemple, les tribunaux ont reconnu qu’une loi qui prohibe un propos portant un individu raisonnable à détester, à haïr des personnes visées est une limite raisonnable.
Par contre, le propos qui ne fait que simplement préconiser de restreindre ou retirer des droits à certaines personnes appartenant à certains groupes est protégé. Une loi qui l’interdirait ne serait pas une limite raisonnable.
Cette distinction est faite par les tribunaux car ceux-ci sont conscients que parmi les valeurs de la société québécoise, il y aussi la liberté d’expression !
En raison de la nécessité de protéger cette liberté, il faut s’assurer que seul le discours suffisamment défini et effectivement susceptible d’engendrer des torts soit visé par les interdits de la loi.
Les lois doivent être suffisamment délimités pour ne pas viser toutes sortes de discours qui peuvent agacer ou déranger mais à l’égard desquels il est impossible de démontrer qu’ils ont un effet néfaste mesurable.
C’est pourquoi une proposition comme celle de prohiber les « enseignements » contraires aux valeurs québécoises à toutes les chances d’être invalidée.
Mais en plus, une telle proposition est précisément de celle qui seraient visée par la mesure revendiquée !
Car la liberté d’expression fait également partie des « valeurs québécoises ».
Revendiquer qu’elle soit à ce point mise entre parenthèses n’est-il pas en soi un propos qui contredit les valeurs québécoises ?
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