Symbole fort du Québec moderne

Jacques Parizeau

L’homme à la détermination d’acier aura soulevé les passions toute sa vie durant

Tribune libre

Le drame de notre temps, c'est que la bêtise se soit mise à penser."
- Jean Cocteau

Jacques Parizeau est mort le 1er juin. Passionné, intègre,
supérieurement intelligent, transparent, dédié à la cause du Québec,
indépendant d’esprit et indépendantiste, l’homme à la détermination
d’acier aura soulevé les passions toute sa vie durant. Normal,
direz-vous, qu’il soit l’objet de telles passions depuis qu’il a
décidé de se séparer définitivement de nous.

Symbole fort du Québec moderne et de la modernité, l’oeuvre de Jacques
Parizeau semble se résumer, si on se limite aux médias institutionnels,
qu’à une controversée déclaration sur l’argent et les votes
ethniques au soir du 30 octobre 1995.

On semble avoir tout oublié de cet homme remarquablement moderne:
l’égalité hommes/femmes, la social-démocratie, la justice sociale, la
redistribution de la richesse, le sens de la démocratie, de la noblesse,
le respect des institutions et des Québécois pour ne garder - sans même
être capable de la mettre en perspective - qu’une phrase qu’un homme
brisé, trahi par des ennemis fédéralistes incapables de se battre
honnêtement.

Depuis sa mort, donc, les perroquets de la bien pensance ont investi les
médias pour faire son procès. Peu d’épithètes ont résisté à
l’analyse. Évidemment, on l’a abondamment traité de raciste et de
xénophobe. Les Guy A. Lepage de ce monde n’ont même pas pris la peine
de se documenter avant de le juger. Pourtant...

Il aurait été facile de faire une petite recherche afin de trouver la
vérité. Une vérité si simple à trouver qu’un enfant de cinq ans
serait en mesure de comprendre que l’homme disait vrai.

Qu’il n’est ni raciste ni xénophobe de dire la vérité: que des
organisations - et le gouvernement fédéral - ont violé des lois pour
influencer et orienter le vote vers le Non.

Notamment les organisations italienne, juive et grecque qui ont organisé,
quelques jours avant le référendum, une conférence de presse dans
laquelle ils imploraient leur communauté respective de voter Non au
référendum.

Manifestement noyautées par le camp du Non, ces organisations, menées
alors par Me Tony Maglivati, Me Athanasios et Me Reisa Teitelbaum, n’ont
pourtant jamais figuré dans la liste des dépenses du parapluie
fédéraliste pour le Non.

Rien de cela dans nos médias. Rien, non plus, pour rappeler que M.
Parizeau avait rencontré ces gens pour les enjoindre de ne pas user
indument de leur influence politique pour infléchir le vote de leur bord.

Pourtant, même le Washington Post mentionne ce fait élémentaire dans
l’article qui lui a été consacré le 2 juin dernier
(http://www.washingtonpost.com/world/jacques-parizeau-former-separatist-quebec-premier-dies-at-84/2015/06/02/4c9ad7e8-0936-11e5-9e39-0db921c47b93_story.html):
Jacques Parizeau ne visait pas le vote ethnique mais bien des organisations
qui n’avaient aucun mandat et aucune légitimité pour parler au nom de
leurs membres.

En salopant ainsi - et ad vitam aeternam - la réputation de M. Parizeau,
on fait une pierre deux coups chez les fédéralistes. On associe sciemment
la camp souverainiste à l’intolérance ethnique. C’est qui est faux
pour la vaste majorité des Québécois indépendantistes.

On évite ensuite de discuter des méthodes libérales qui ont mené à
cette déclaration: «accélérer» la naturalisation de quelque 50 000
immigrants, en violant la loi fédérale, pour qu’ils puissent voter à
temps pour le 30 octobre.
(http://vigile.net/archives/democratie/chartiercertificat.html)

Depuis son décès, aucune mention n’a été faite quant aux causes
profondes de cette déclaration: la Commission Gomery, les violations
légales et le fait que M. Parizeau avait jadis marié une Polonaise avec
qui il a eu deux enfants...

En étouffant ainsi le débat autour d’une seule déclaration et d’un
seul homme, on s’empêche de critiquer les véritables coupables de cette
tragédie: les fédéralistes, l’argent illégalement dépensé par le
camp du Non ET les organisations italienne, juive et grecque visées par
Parizeau.

On laisse les perroquets gerber sur Parizeau en oubliant que la liberté
d’expression, dans une société laïque, pluraliste, multiculturelle et
ouverte, permet de critiquer le comportement et l’attitude de tout le
monde. Immigrants inclus. Et ce n’est pas du racisme que de le dire.

Au contraire. Ils font partie de notre collectivité et doivent être
traités sans traitement de faveur...

P.S.: Il y a dix ans, je publiais un texte dans lequel il était question
de Jacques Parizeau et de sa déclaration, du référendum (volé) de 1995,
des fédéralistes et de leur attitude ainsi que du racisme
instrumentalisé par ces derniers. Intitulé De l’argent et des votes
ethniques, ce texte, que vous pouvez lire ou relire ici, peut contribuer à
un meilleur éclairage de l’homme et de cet épisode de notre histoire.

De l’argent et des votes ethniques

Jacques Parizeau, ancien premier ministre du Québec, premier Québécois
à obtenir un doctorat de la célèbre London School of Economics de
Londres, acteur majeur dans le développement d’outils d’émancipation
économique (Caisse de dépôt et de placement, Société générale de
financement, Régime d’épargne-actions, nationalisation de
l’électricité, etc.) lors de la Révolution Tranquille, intellectuel de
grande réputation et très perméable aux multiples courants d’idées
dont l’Occident regorge, de droite ET de gauche, nationaliste et
internalionaliste, a été, malgré la maladresse et l’amertume de sa
déclaration, faussement discrédité au Québec après le référendum de
1995.

La phrase, devenue tristement célèbre au soir de la défaite
souverainiste, n’avait manifestement pas la même signification dans la
bouche de M. Parizeau que dans celle de ses adversaires. Lui, l’homme
jadis marié avec une polonaise, la romancière Alice Poznanska (connue
sous le nom de famille Parizeau), une femme fraîchement débarquée de
Paris après avoir été traquée par des nazis déchaînés de haine
raciale. Cette femme, avec qui il a eu deux enfants, n’aurait pas
accepté de vivre avec un homme dont les valeurs sont si régressives sur
un plan humain.

Il aura fallu l’intervention d’un fédéraliste convaincu et ancien
directeur général du Parti libéral du Canada au Québec, M. Benoît
Corbeil, pour comprendre le sens véritable de cette déclaration. En
effet, ce docteur en sciences politiques dont la responsabilité a été,
pendant la campagne référendaire de 1995, de recueillir des fonds et
organiser la campagne du PLC au Québec (sous le parapluie du NON), a
confirmé ce dont on se doutait depuis longtemps : que le fédéral a
joyeusement violé la démocratie et les lois québécoises sous le «
noble » prétexte de sauver le Canada.

En entrevue au Point de la télévision de Radio-Canada, M. Corbeil a
dévoilé la stratégie fédérale de 1995, laquelle, menée par l’ancien
Premier ministre Jean Chrétien, est un exemple gratifiant sur la
démocratie à la canadienne, au-delà des guerres idéologiques
générées par une telle émulation qu’est un référendum politique sur
l’avenir d’une collectivité humaine.Deux choses importantes sont
ressorties de l’entrevue de M. Corbeil concernant la réputation de M.
Parizeau et pour la légitimité de la victoire du NON. Primo, que le
gouvernement du Canada a accéléré (en violant ses propres lois) la
naturalisation d’immigrants habitant le Québec, question de les faire
voter (du bon bord) à temps pour le référendum. Deuzio, que le fédéral
a violé la loi sur les consultations populaires du Québec et dépensé,
notamment lors du pseudo-love-in de Montréal, des sommes occultes,
c’est-à-dire de l’argent en dehors de la comptabilité du comité
parapluie pour le NON.

Outre la tendance manichéenne du fédéral à peindre en noir le
nationalisme québécois dont le discours et la réalité, de toute façon,
contredisent cette rhétorique mensongère, on doit s’interroger sur la
nature des convictions démocratiques des fédéralistes. On peut
comprendre leur désir de « sauver le Canada » par conviction, mais il
faut se questionner sur les valeurs démocratiques qui les animent au
quotidien.

En agissant ainsi, ils font la preuve que le référendum a été truqué,
que des moyens illégaux et immoraux ont été utilisés pour acheter la
victoire aux souverainistes québécois. De deux choses l’une : ou bien
ils font acte de contrition ; ou bien le référendum de 1995 doit être
annulé. La légitimité du fédéralisme, sans être totalement
discréditée, peut mener ultimement à provoquer l’effet contraire
escompté par les tenants du statu quo.

Mais là où le bât blesse davantage, c’est dans le portrait pas très
flatteur qu’on a dessiné de Jacques Parizeau. L’interprétation
mesquine qu’on a faite de ses déclarations, notamment Jean Charest lors
du débat des chefs en 2002, révèle une culture politique québécoise
souvent teintée d’un profond esprit de colonisé, lequel tend vers une
interprétation culpabilisante, masochiste et autodestructrice de la
représentation collective que les Québécois ont d’eux-mêmes.
Le discours étant contrôlé par la majorité anglophone du Canada et
relayé par les Canadiens français de service, il est souvent difficile,
pour les Québécois ordinaires, de saisir toute la complexité et les
ramifications historiques du contentieux Québec/Canada.
Et en interprétant les propos de Parizeau sous l’angle du racisme et de
la xénophobie, on accolait, chez les fédéralistes anglophones et
francophones, le nationalisme québécois à l’intolérance ethnique. Ce
qui est totalement faux en ce qui a trait à Jacques Parizeau et à une
très vaste majorité de Québécois nationalistes.

Le référendum, finalement, a été perdu par les votes ethniques,
l’argent et le vote francophone qui, rappelons-le, n’a pas été
convaincu - en majorité dans les régions de Québec, du Lac Saint-Jean et
du Bas St- Laurent, notamment - de la nécessité de l’indépendance du
Québec. Par culpabilité ? Manipulation ? Conviction fédéraliste ? La
peur ? L’ignorance? Un esprit de colonisé primaire ? (on ne peut
certainement pas survivre dans un Québec souverain). Sans doute un peu de
tout cela.

Jacques Parizeau symbolisait, et symbolise toujours pour le Québec, mais
aussi pour le Canada, l’expression de l’excellence citoyenne, de la
prestance intellectuelle, de la fierté et de l’indépendance d’esprit
qui caractérisent les peuples fiers et insoumis. Il est peut-être là le
problème. Une aliénation collective - liée pour beaucoup à deux
siècles de colonisation anglaise et d’abrutissement clérical - nous
rend suspicieux des grands hommes québécois qui réussissent,
probablement parce que la comparaison avec lui crée un malaise profond
dans un pan entier de la population qui habite nos contrées.

C’est ce qu’on appelle être né pour un petit pain. Parizeau veut
tracer une ligne historique entre la tradition de porteur d’eau qui colle
encore à notre peau et l’émancipation nationale qu’il souhaite pour
le Québec.

Et je ne suis pas certain que tous les Québécois saisissent bien la
portée de cette rupture historique symbolisée par Jacques Parizeau. À
Ottawa, par contre, on a compris cela depuis très longtemps déjà...

Squared

Christian Bolduc1 article

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Journaliste, historien et éditeur.




Author extra bg

Jacques Parizeau



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