(Québec) François Legault n'a pas touché un mot à sa famille, en 1986, quand il a emprunté 50 000 $ à 29 ans pour se lancer dans l'aventure d'Air Transat qui en a fait un multimillionnaire. «J'ai fait ça en cachette de mes parents, qui m'auraient tué parce que c'était plus que ce qu'on valait toute la famille ensemble, raconte-t-il aujourd'hui. C'était beaucoup d'argent dans ce temps-là.»
Le risque était grand, mais il cadrait parfaitement avec son plan de vie. «Quand il était plus jeune, il nous disait qu'il voulait d'abord être indépendant de fortune, pour faire ensuite de la politique», raconte un de ses anciens collègues de classe. «Et c'est ce qu'il a fait.»
Né à Sainte-Anne-de-Bellevue en 1957, Legault est issu d'un milieu modeste. Son père est maître de poste et sa mère tient la maisonnée. Il doit emprunter et travailler les fins de semaine pour payer ses études. Diplômé des HEC, il prend son expérience du monde des affaires pendant six ans chez Ernst & Young à Montréal. Il fait son MBA en prenant des cours du soir.
En 1984, quand il assiste Robert Obadia dans le lancement de Nationair, il a recours au financement personnel de Laurent Beaudoin et sa femme Claire Bombardier, des clients de Ernst & Young. Il passe ensuite chez Quebecair au service des ventes et du marketing, où il rencontre ses futurs associés dans Air Transat, Jean-Marc Eustache et Philippe Sureau. Lancée en 1986, la compagnie aérienne entre en Bourse l'année suivante avec une émission de 7 millions $ dans le cadre du Régime québécois d'épargne-actions. Legault devient vice-président aux finances du groupe Transat, et président de la filiale, Air Transat.
«Air Transat, on a parti ça de zéro. Il a fallu embaucher les agents de bord, les pilotes, acheter les avions, la coutellerie, les uniformes, trouver des locaux. Les pilotes étaient des gens de Quebecair. On a fait une série d'acquisitions et le groupe Transat est devenu ce qu'on connaît aujourd'hui.»
Daniel Bourcier, l'ex-président du syndicat des agents de bord, se souvient de lui comme d'un patron à l'écoute. Il signale qu'à la suite d'une demande syndicale, Air Transat est devenue la première compagnie aérienne à reconnaître les conjoints de même sexe pour les assurances collectives.
L'appel de Lucien Bouchard
En 1998, Legault a le goût de faire autre chose. Il siège à huit conseils d'administration de compagnies québécoises, dont Provigo, Sico et Culinar. Il va même voir du côté de la Caisse de dépôt. Finalement, c'est une rencontre avec Lucien Bouchard à l'occasion d'une mission aux États-Unis qui l'amène en politique. Leurs conjointes respectives, Audrey Best et Isabelle Brais, étaient déjà des amies. Les enfants allaient à la même école.
Bouchard en fait son ministre de l'Industrie et du Commerce. Trois mois plus tard, il se fait élire dans Rousseau et surprise... Bouchard l'envoie à l'Éducation.
«Dans un premier temps, j'ai refusé. Mais finalement, il avait raison. Ça été probablement la plus belle période de ma vie.»
Conflit avec Landry
Son arrivée au cabinet provoque des remous. En février 2001, Lucien Bouchard doit interrompre une visite officielle en Chine pour arbitrer une chicane budgétaire entre Legault et Bernard Landry. Un témoin proche rappelle les circonstances : «Legault offrait alors des contrats de performance aux universités pendant que Landry préparait des coupes budgétaires. Legault a dit non. Il n'était pas question qu'il appose sa signature au bas de tels contrats, en sachant qu'on allait faire des coupures dans les budgets des universités. Pour lui, c'était une question de conscience».
Bouchard réconcilie ses deux ministres, mais Legault s'est déjà fait une réputation. «Je l'appelais mon éternel insatisfait», rappelle un ministre du temps.
Encore aujourd'hui, ses critiques sont durs : «Legault n'est pas fiable». C'est de l'entourage de Pauline Marois et de Bernard Landry que viennent ces reproches. Parce que trois semaines avant sa querelle budgétaire avec Landry, Legault s'était déjà aliéné Pauline Marois. L'histoire tient du roman.
Le 11 janvier 2001, Lucien Bouchard annonce qu'il démissionne. Bernard Landry est le favori dans la course qui s'annonce. Mais voilà que François Legault propose une alliance à Marois. Celle-ci hésite; elle compte ses appuis. Sans prévenir, Legault passe dans le camp de Landry le 17 janvier. Marois apprend la nouvelle de la bouche d'un Landry triomphant. Furieuse et isolée, elle se rallie, mais ne fera plus jamais confiance à Legault.
Legault se défend d'avoir joué sur les deux tableaux.
«J'avais offert à Pauline qu'on fasse équipe à deux. C'est elle qui aurait été le chef. Quatre ou cinq députés voulaient nous rencontrer pour parler de fond. Or, je me suis rendu compte, en parlant à son entourage, qu'elle n'avait pas l'intention de se préparer, de se présenter, puis ce qu'elle cherchait, c'était d'avoir la meilleure négociation possible avec Bernard Landry. Donc, je suis allé voir Landry et j'ai mis mes conditions sur trois ou quatre sujets importants. Il m'a dit qu'il était d'accord avec ces positions- là. Je lui avais demandé de me donner le reste de la journée pour aviser Pauline. Mais on avait un conseil des ministres et tout de suite après, Bernard Landry est allé annoncer ça à Pauline.»
Le courage de changer
Éventuellement, ce sont les partisans de Bernard Landry qui l'accuseront à leur tour de ne pas être fiable. En 2004, Landry tente de sauver son leadership en vue du vote de confiance de juin 2005. Il lance «La saison des idées» afin de rallier les militants.
Mais Legault, qui jouit d'appuis importants au sein du caucus et des jeunes péquistes, prépare sa propre campagne à la direction. À l'arrivée des délégués au conseil national d'octobre à Sherbrooke, son organisation distribue un manifeste : «Le courage de changer». Le directeur général du PQ, Pierre Chateauvert, avait pourtant refusé que ce document soit distribué sur les tables des délégués. Devant les députés réunis à huis clos et ensuite devant les délégués, la vice-présidente du parti, Marie Malavoy, sonne la charge : «On n'écrit pas le programme du PQ avec des "je", mais avec des "nous", lance-t-elle.
Legault ne bronche pas. Mais aujourd'hui il se défend d'avoir manqué de loyauté.
«À l'époque, Bernard Landry avait dit qu'il n'était pas certain de rester. On venait de perdre des élections, et je pensais qu'on avait besoin d'un brassage d'idées au Parti québécois. C'était ma contribution, avec un groupe de jeunes, à ce qu'on appelait "la saison des idées".»
Ses collègues du temps sont plus durs encore à l'endroit des adjoints de Bernard Landry. «Son entourage était méfiant. C'est eux qui l'ont conduit à sa perte. Legault ne cherchait pas à devenir chef, il voulait plus d'influence. Au lieu de niaiser sur ce document, ils auraient dû appeler à l'aide. Nous aurions travaillé avec eux en vue du vote de confiance. Mais personne ne nous l'a demandé.»
Legault reconnaît qu'il peut lui arriver de blesser ses collègues : «Sur des principes importants, je ne fais pas de compromis. Je suis tout le contraire d'un suiveux. Je n'ai pas peur de déplaire si c'est nécessaire même si beaucoup de gens sont contre ce que je pense. Dans ce sens-là, peut-être que c'est vrai que je suis trop franc ou pas assez patient, mais le bon côté des choses, c'est que je dis ce que je pense.[...] Je suis capable d'écouter, mais quand vient le temps de me prononcer, je n'ai pas peur, je suis capable de sortir du rang si je pense que c'est nécessaire.»
Martin Koskinen, l'un de ses plus fidèles partisans, admet aussi que l'impatience de Legault a pu lui jouer des tours. «Il a les défauts de ses qualités. Son impatience à faire bouger les choses, c'est ce qui lui a fait le plus mal en politique.»
Peu importe ses motifs, les critiques de François Legault l'accusent encore aujourd'hui de ne pas être fiable, et pire encore, d'avoir choké en juin 2005, en se désistant de la course à la direction après avoir laissé travailler ses militants pendant de longs mois. Il avait alors invoqué des raisons familiales.
Tous ses collègues et amis admettent que sa femme, Isabelle, n'était pas favorable à ce qu'il s'investisse dans une telle aventure. Ses garçons étaient jeunes; la famille avait déjà beaucoup donné à la politique.
Mais cette explication a été reçue avec scepticisme. Encore aujourd'hui, ses partisans du temps n'ont pas d'explication claire sur cette décision. «C'est vrai que sa femme n'était pas favorable à ce qu'il y aille, mais elle n'avait pas fermé la porte. Je pense que l'autre raison qui a joué, c'est que François ne se sentait pas porté par une vague à l'époque. Or, il est un peu comme Lucien Bouchard : quand il va quelque part, il a besoin de se sentir appelé. Ce n'était pas le cas en 2005», confie l'un de ses proches.
«Ça m'a fait mal au coeur, mais j'ai respecté ça, raconte un autre. On considérait qu'on avait l'appui de 50 % du caucus.»
Ce député, comme la quasi-totalité des personnes interrogées, a demandé l'anonymat. Certains par amitié pour un ancien collègue qu'ils ont aimé, d'autres parce que leurs fonctions actuelles leur interdisent de parler publiquement.
Pas facile d'être assis chez soi...
Il est clair que François Legault veut effectuer un retour en politique active. «Ça ne doit pas être facile d'être assis chez soi et de voir tout ce qui se passe sans participer au débat», estime Sylvain Vincent, associé directeur pour l'est du Canada chez Ernst & Young, qui dit avoir choisi cette firme en sortant de l'université à cause du dynamisme et du leadership de Legault.
Mais ce dernier ne veut pas brûler les étapes.
«Ce que j'essaie de faire, c'est de rassembler des gens, des leaders qui souhaitent relancer le Québec. Je pense que c'est ce dont on a besoin au Québec, du leadership et de la compétence. Et dans un premier temps, ça doit se faire à l'extérieur d'un parti politique parce que les politiciens ont perdu beaucoup de crédibilité.»
Question : peut-on changer le Québec uniquement par un mouvement d'idées?
- «Non. Éventuellement, ça passe par la politique. Mais pour l'instant, il faut d'abord s'entendre sur les changements à faire.
- Mais n'est-ce pas justement ce qu'ont fait les lucides?
- Bien justement. Il ne faut pas simplement faire un texte et s'en aller chez soi. Il faut qu'il y ait un suivi. Je vais expliquer ça bientôt.»
Nationaliste ou souverainiste?
L'égalité des chances demeure le credo principal de François Legault : «Je suis très sensible à l'égalité des chances. Et les taux de décrochage scolaire de 50, 60 %, ça m'arrache le coeur. Je me dis que ce n'est pas vrai qu'on peut parler de l'égalité des chances au Québec avec une situation comme celle-là.»
Question : cette égalité doit-elle passer par la souveraineté du Québec? François Legault se fait prudent.
«Je suis souverainiste depuis l'âge de 16 ans. Je peux quasiment dire que j'ai été souverainiste pendant toute ma vie adulte.
Au début, c'était peut-être pas pour les mêmes raisons qu'aujourd'hui. J'ai été élevé à Sainte-Anne-de-Bellevue, donc dans l'ouest de l'Île. C'était difficile de se faire servir en français au Fairview à Pointe-Claire et dans les commerces en général, donc c'était une question d'affirmation. Par contre, avec le temps, c'est devenu une question de contrôler nos moyens et de choisir nos priorités. Moi, je suis un entrepreneur. Si tu me dis que j'ai le choix de contrôler 49 % ou 25 %, ou 100 % d'une entreprise, j'aime mieux le plein contrôle. J'aime mieux avoir le choix de mes priorités.»
Question : sa démarche politique est-elle encore souverainiste?
«Je suis d'abord un grand nationaliste. Je suis fier de parler français et je suis fier de ce qu'on a fait au Québec. Donc, je m'identifie au Québec d'abord. Et ça, quoi qu'il arrive, ça n'a pas changé. Notre langue est vulnérable, et il faut que ça reste une priorité très importante de développer et de protéger notre langue.»
Mais doit-on dire qu'il est encore souverainiste?
«Je te répondrai à ça la semaine prochaine.»
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