Je suis comme je suis

Crise sociale - printemps 2012 - comprendre la crise


Quand est-ce que cela a bien pu commencer? Je me le demande encore aujourd'hui. À 7 ans, l'âge qu'on dit de raison? À 15 ans, lorsque je me suis révolté contre les idées de mon père à propos des juifs, de Sartre, de Marx, de Freud, du communisme?
Ce que je sais, c'est qu'à partir de 15 ans, tout a déboulé. On m'a foutu à la porte du collège où je suivais mon cours classique, qui était gratuit car mon père avait convaincu les jésuites que j'allais devenir un père missionnaire, et les jésuites étaient tout à fait d'accord. Quant à moi, je ne demandais pas mieux que d'aider mes semblables.
On m'a ensuite réintégré au collège pour m'en expulser de nouveau, deux ans plus tard, alors que j'étais en Belles-Lettres, pour «mauvaise influence». Le reste de mon histoire est plus ou moins comme un grand livre ouvert. J'ai été arrêté lors de la première vague du FLQ, à l'été 1963, j'avais dix-sept ans et plein de rêves dans mes poches crevées. Nous étions une centaine à peine, de marginaux, de chevelus, de barbus, de poètes, à crier «Québec libre!» et «Le Québec aux travailleurs!» Puis, ce furent les manifestations toutes les semaines, les coups de matraque, les chevrotines dans la peau, les emprisonnements, la clandestinité, l'exil, etc. À nous la rue! La foule a grossi, jusqu'à devenir un vaste mouvement populaire qui a porté le jeune Parti québécois au pouvoir, en 1976.
Bien sûr, je passe volontairement sous silence de nombreux événements marquants de cette époque, de la marche pour McGill français à la crise d'Octobre 1970, en passant par la grève de la police en 1969, le Front commun intersyndical et l'emprisonnement des chefs des trois centrales syndicales, Marcel Pepin, Louis Laberge et Yvon Charbonneau, en 1972.
Alors, je me demande...
Pourquoi ne suis-je pas comme la majorité des Québécois ou du moins comme tous ceux qui condamnent et dénigrent aujourd'hui les étudiants en grève?
Pourquoi ne suis-je pas comme ceux qui ont refusé, par deux fois, que le Québec devienne le pays de tous les Québécois?
Pourquoi ne suis-je pas du côté de ceux qui ne croient pas en une société plus juste et une plus grande redistribution de la richesse?
Ce serait tellement plus facile, avec ma «tête blanche» (la nouvelle manière de ridiculiser ceux qui y croient toujours), de critiquer ceux qu'on qualifie d'enfants gâtés parce qu'ils font perdre de l'argent à tout le monde avec leur rébellion, parce qu'ils refusent de payer leur juste part et mettent en péril l'image de marque de Montréal.
Ce serait tellement plus jouissif et bon pour le moral de se reposer sur ses lauriers, de ne rien vouloir changer radicalement, de fermer les yeux sur les scandales de corruption qui accablent, jour après jour, le Parti libéral et de rire du Parti québécois en traitant sa chef d'hypocrite au carré rouge.
Ce serait tellement plus cool de vanter les mérites des développeurs courageux qui découvrent du gaz de schiste jusque dans la cour du voisin (mais pas dans ma cour, heureusement) et d'être invité à tous ces petits cocktails à 1000$ où la mafia et le crime organisé en profitent pour placer leurs pions, avec retours d'ascenseur garantis. Ce sont eux qui assurent le développement et la prospérité du Québec, après tout.
Tout serait tellement plus reposant d'être du côté de ladite majorité silencieuse, où l'on retrouve bon nombre de journalistes, de chroniqueurs, de juges, de membres de ce gouvernement libéral — pas nécessaire de les nommer — mais très peu d'artistes, chanteurs, comédiens, écrivains, peintres, photographes, «cette clique hystérique du Plateau Mont-Royal et d'Outremont nourrie aux subventions gouvernementales».
Ce serait tellement plus rassurant de ne plus être minoritaire dans mes choix de société et de pencher du côté du plus fort, d'abandonner mes rêves de société juste en me laissant convaincre qu'il est normal qu'il y ait des riches et des pauvres, «on n'y peut rien».
Il y a quelques jours, vers 23 heures, l'hélicoptère de la SQ a survolé pendant près d'une heure le Plateau Mont-Royal. J'étais déjà dans mon lit, je pensais à mes trois enfants en grève qui étaient dans la rue et ça m'a rappelé la crise d'Octobre. Soudainement, j'ai eu peur. Je me sentais honteux de ne pas être à leur côté.


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