Jean Charest et Marc Bibeau ne seront jamais condamnés

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L'arrêt Jordan est un vrai scandale


La Cour suprême du Canada a finalement refusé d’entendre la demande de Marc Bibeau concernant la non-publication des motifs qui ont mené à la perquisition des bureaux de son entreprise en 2016, mais de plus grands problèmes sont à venir dans ce dossier. 


Certes, il est bien évident, à mon avis, que Jean Charest et Marc Bibeau ne seront jamais condamnés dans le cadre de l’enquête criminelle Mâchurer. Du moins, si des accusations sont déposées, il est certain qu’ils les contesteront jusqu’au plus haut tribunal du Canada et je vous garantis que, cette fois-ci, les neuf juges de la Cour suprême voudront entendre cet appel qui sera d’intérêt public. 


Jean Charest et Marc Bibeau savent assurément depuis longtemps qu’ils sont visés par l’enquête Mâchurer. Je ne sais pas à quel moment exactement ils l’ont su, mais il est certain qu’ils le savent depuis fort longtemps, compte tenu de la médiatisation de ce dossier. Est-ce qu’ils le savaient depuis le début? Je ne le sais pas, mais 4 ou 6 ans à faire l'objet d'une enquête, c'est long quand on sait que la vie peut dérailler à tout moment. 


Loin de moi de vouloir que des gens s’en sortent à cause des carences du système, mais il y a lieu de se poser de sérieuses questions sur les délais d’exécution d’une enquête policière au Québec. 


Arrêt Jordan 


L’arrêt Jordan de la Cour suprême du Canada, qui limite la durée des procédures judiciaires, a créé un électrochoc dans le système de justice au Québec. Des demandes d’arrêts de procédures ont ainsi été déposées avec succès dans de nombreux dossiers, puisque la Charte canadienne est claire et sans équivoque sur le fait qu’un prévenu a le droit d’être jugé dans un délai raisonnable. 


Épée de Damoclès 


Vous connaissez probablement l’histoire de Damoclès, qui a dû passer une journée entière avec une épée pendue au-dessus de sa tête attachée avec un crin de cheval, et ce, dans le but de comprendre ce que le tyran de Syracuse vivait quotidiennement en faisant la guerre, puisqu'il courait le risque de mourir tous les jours. L’épée de Damoclès est une bonne image pour comprendre le stress inhumain qui est vécu dans l’attente que quelque chose de terrible arrive peut-être éminemment. 


Maintenant, je vous le demande: pensez-vous qu’il ne serait pas temps, pour les tribunaux, de régler la question des délais des enquêtes policières au Québec? Est-ce que c’est normal d’être visé par une enquête qui n’aboutit pas et qui perdure durant plusieurs années? 


Charte canadienne des droits et libertés 


La Charte canadienne des droits et libertés pourrait dire non aux questions précédentes, mais pour l’instant, la jurisprudence dans ce domaine ne semble pas encore si bien établie et n’est pas trop sévère par rapport aux délais des enquêtes policières. Ces délais qu’on appelle pré-inculpatoires n’ont pas encore été balisés ou sanctionnés comme on l’a vu dans l’arrêt Jordan. On parle souvent de cas par cas et du fait qu’il est très difficile d’évaluer ce qu’est un délai raisonnable d’enquêtes puisque ces dernières peuvent être très différentes et prendre plusieurs formes. Cependant, à l’ère Jordan où on a réglé la complaisance dans les délais pour être jugés, les tribunaux pourraient maintenant être tentés de régler la complaisance dans les délais d’enquête. D’ailleurs, le ministère public a même adopté une stratégie qui consiste à attendre le plus longtemps possible pour déposer des accusations contre un prévenu, afin de ne pas se faire avoir par les délais imposés par l’arrêt Jordan. Avec les délais impressionnants de l'enquête Mâchurer, je crois que la porte sera grande ouverte. 


Si la Couronne réfléchit en amont à ces grands principes avant de déposer des accusations, elle risque de lâcher le morceau et de ne pas en déposer. Ce serait sûrement la fin de l’enquête Mâchurer, comme beaucoup le prédisent. Cependant, dans le cas où des accusations seraient tout de même déposées contre eux, on peut facilement penser que Marc Bibeau et Jean Charest pourraient faire valoir ces principes devant le plus haut tribunal et qu’ils auraient même de très bonnes chances de succès. Comme dans l’arrêt Jordan, ils dicteraient la marche à suivre concernant les délais des enquêtes policières au Québec afin d’éviter les abus. Je ne suis pas sûr qu’à la suite de ces débats, la nouvelle stratégie du ministère public d’étirer les enquêtes avant d’accuser quelqu'un (dans le but d’éviter les délais imposés par l’arrêt Jordan) tiendrait la route bien longtemps. 


On ne peut pas nier qu’une personne faisant trop longtemps l'objet d'une enquête subit un stress énorme et indu et que cela lui cause un préjudice certain. 


Justice 


Je suis pour la justice et j’entends déjà des personnes dirent «ils vont s’en sortir», mais nous avons un système, pour lequel des gens sont morts, qui nous protège, et il est essentiel de le respecter afin d’éviter des abus. Sachez-le, la machine judiciaire peut détruire des vies. 


Le bûcher public 


D’autant plus que, de nos jours, avec la rapidité de l’information et la liberté de presse, une personne faisant l'objet d'une enquête ou un accusé est rapidement brûlé sur la place publique, ce qui rend les délais d’enquête encore plus inhumains. Il est donc très important que les intervenants du système prennent des précautions et comprennent cette réalité. C’est pour cela qu’ils se doivent d’avoir fait tout le travail nécessaire avant d’accuser quelqu'un et même de l'informer qu'il fait l'objet d'une enquête. 


Le coulage 


Autre élément qui vient alimenter le bûcher public, c’est que maintenant, tout se sait. Le public a le droit d’être informé, certes, mais on se rend compte qu’il y a beaucoup de «coulage» de documents d’enquêtes policières qui devraient être normalement confidentiels, afin de protéger toute l’équité procédurale et permettre des procès impartiaux devant de vraies cours de justice et non sur le bûcher de la place publique. 


Me François - David Bernier

Avocat, animateur et analyste judiciaire



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Marc-François Bernier5 articles

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Professeur agrégé, Coordonnateur du programme de journalisme, Université d’Ottawa

Chaire de recherche en éthique du journalisme (CREJ) de l'Université d'Ottawa et auteur de {Journalistes, au pays de la convergence: sérénité, malaise et détresse dans la profession} (Presses de l'Université Laval)





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