Trudeau, les excuses et la Loi constitutionnelle de 1982

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Le Canada, summum de l’hypocrisie


Je vous parlais récemment de la nuit des longs couteaux et du rapatriement de la Constitution. Je comptais (et compte toujours) écrire un papier général pour expliquer les nombreuses conséquences de cette affaire. Par hasard, des événements qui ont eu lieu au cours des dernières semaines ont fourni des exemples bien précis de certaines de ces conséquences. Voilà ce dont il sera question ici.


Dans un billet récent, je vous parlais de la juge en chef du Québec, Lucie Rondeau, qui poursuit le gouvernement du Québec et qui veut réduire les exigences de bilinguisme pour les juges. L’intéressée invoque notamment la Loi constitutionnelle de 1982 pour appuyer ses prétentions qui visent à angliciser nos tribunaux plutôt qu’à les franciser.


Cette loi constitutionnelle a aussi surgi dans un autre dossier, la question des excuses pour la crise d’Octobre. L’an dernier, j’ai créé avec quelques autres l’organisation Justice pour les prisonniers d’octobre 1970. Nous nous sommes tournés vers la Cour supérieure du Québec pour obtenir un jugement déclaratoire qui dirait que la proclamation de la Loi sur les mesures de guerre en 1970 était inconstitutionnelle. Si nous avons gain de cause, nous espérons que cela forcera Trudeau à présenter des excuses à tous ceux qui ont été injustement emprisonnés et, par extension, à tous les Québécois.


Les fédéraux se sont déjà excusés pour le traitement de certaines minorités quand la Loi sur les mesures de guerre a été utilisée dans le passé. C’est ce qui est arrivé pour les Japonais et pour les Italiens. Dans ce dernier cas, Justin Trudeau a tenu à s’excuser une troisième fois, alors que ce geste avait été posé avant lui, par Brian Mulroney d’abord, et ensuite par le biais d’une loi votée en 2010 à la Chambre des communes.


En 2015, Trudeau s’est excusé pour les autochtones. L’année suivante, ce fut auprès des sikhs, des musulmans et des hindous parce que, en 1914, un bateau ayant à son bord des membres de ces trois groupes a été refoulé à nos frontières. En 2017, c’était le tour des homosexuels qui ont été maltraités dans la fonction publique fédérale. En 2018, notre premier ministre a présenté ses excuses à la communauté juive pour le refoulement des réfugiés juifs allemands avant la Deuxième Guerre mondiale. En 2019, notre premier ministre s’est excusé à nouveau pour les mauvais traitements qu'ont subis les Inuits.





En 2020 cependant, au moment du 50e  anniversaire de la crise d’Octobre, il a refusé de s’excuser auprès de la minorité nationale québécoise. Avec nos frères acadiens, qui ont été déportés lors de la guerre de la Conquête, nous sommes le seul groupe qui n’a pas eu droit à des excuses de la part de Justin Trudeau. C’est comme ça dans notre beau Canada multiculturel. On peut traiter injustement les francophones, les dénigrer, et on n’en souffre aucune conséquence négative. Celui ou celle qui le fait va même marquer des points.


Voilà pourquoi Trudeau est déterminé à ne pas s’excuser auprès des Québécois, cela lui rapporte des appuis au Canada anglais. Le mois dernier, dans la cause qui nous oppose à lui, ses procureurs ont présenté une requête en rejet. Selon ces derniers, les tribunaux ne doivent pas entendre notre cause, et ce, pour deux raisons.


La première est que toute cette affaire serait sans objet, sans difficulté réelle. Ce n’est pas ce que nous a dit, entre autres, Claude Tedgui. En octobre 1970, il a été torturé, on lui a mis un révolver sur la tempe en plus de le faire circuler dans les escaliers de la prison entièrement nu. Mais voilà, le traumatisme qu’a vécu et que continue de vivre M. Tedgui, et bien d’autres comme lui, ce n’est pas une difficulté réelle. Toute cette souffrance ne compte pour rien aux yeux de Justin Trudeau. Il ne versera pas une larme!


Le deuxième argument des fédéraux tient à la distance dans le temps. Tout cela remonte à 50 ans, c’est de l’histoire ancienne. Pourtant, les tribunaux canadiens rendent régulièrement des décisions sur des revendications autochtones en vertu de traités ou d’événements qui remontent à bien plus longtemps. La Cour suprême a notamment rendu un jugement déclaratoire touchant des lois bien plus anciennes que celle des mesures de guerre.


Soit, nous ont dit les procureurs d’Ottawa. Mais dans ce cas, les juges y seraient obligés en vertu de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Il y est question des droits autochtones. Suivant les avocats du gouvernement fédéral, cette disposition oblige les tribunaux à tenter de restaurer l’honneur des Premières Nations et à rechercher avec celles-ci la réconciliation. Tout cela ne s’appliquerait nullement au Québec.


La conclusion à tirer du plaidoyer des fédéraux coule de source. La Loi constitutionnelle de 1982 sert à empêcher la réconciliation avec le Québec. Reste à voir si le juge sera d’accord avec cet argument.










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Frédéric Bastien167 articles

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Titulaire d'un doctorat en relations internationales de l'Institut universitaire des hautes études internationales de Genève, Frédéric Bastien se spécialise dans l'histoire et la politique internationale. Chargé de cours au département d'histoire de l'Université du Québec à Montréal, il est l'auteur de Relations particulières, la France face au Québec après de Gaulle et collabore avec plusieurs médias tels que l'Agence France Presse, L'actualité, Le Devoir et La Presse à titre de journaliste. Depuis 2004, il poursuit aussi des recherches sur le développement des relations internationales de la Ville de Montréal en plus d'être chercheur affilié à la Chaire Hector-Fabre en histoire du Québec.





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