L'ADQ pourrait devancer le PQ

«Ça commence à être dangereux [pour le parti souverainiste]», dit le sociologue Pierre Drouilly

Québec 2007 - la bataille des régions

Les promesses pleuvent, les autobus roulent et, désormais, la question se pose: poussée par un bon vent dans les sondages en ce début de campagne électorale, l'Action démocratique du Québec (ADQ) pourrait-elle dans un avenir prochain se hisser assez haut pour devenir la deuxième formation politique en importance au Québec? Devant le Parti québécois?

«Il y a six mois, ce scénario, c'était de la science-fiction», dit le sociologue Pierre Drouilly, de l'Université du Québec à Montréal (UQAM). «À cette époque, on se demandait même si l'ADQ allait survivre. Mais là, il faut reconnaître que c'est de l'ordre du possible.»
La réorganisation de la constellation politique du Québec n'est pas encore totalement jouée, estime toutefois l'universitaire. Mais après plus d'une semaine de course, une chose est sûre: le courant ascendant dans lequel tourbillonne la formation politique de Mario Dumont est de plus en plus perceptible. «Ça commence à être dangereux [pour le PQ]», dit-il. Les récents coups de sonde dans la population semblent vouloir le confirmer. À l'échelle nationale, l'écart entre le PQ et l'ADQ se rétrécit en effet, comme l'indique un portrait des intentions de vote dressé par Léger Marketing entre les 21 et 24 février derniers et publié dans les pages du Devoir lundi.
Cet exercice prospectif accorde d'ailleurs déjà une deuxième place à Mario Dumont dans la catégorie du «chef qui fait la meilleure campagne». Un quart des électeurs est d'accord avec cette affirmation, ce qui place le chef adéquiste non seulement derrière Jean Charest (31 %) mais aussi à 11 points d'avance sur le candidat péquiste, André Boisclair.
Autre instantané: un sondage CROP mené pour le compte du Soleil concrétise, du moins sur papier, le rêve adéquiste dans l'agglomération de Québec. Les résultats ont été publiés hier par le tabloïd de la capitale. Avec 30 % des intentions de vote dans ce coin de la province, l'ADQ y talonne le parti au pouvoir (32 %) mais devance la formation indépendantiste (25 %), celle-ci étant ainsi reléguée au rang de tiers parti dans les 12 circonscriptions sondées.
Là aussi, les 500 répondants estiment dans une proportion de 30 % que Mario Dumont est le chef le plus apte à diriger le prochain gouvernement du Québec, contre 34 % pour Jean Charest. André Boisclair se retrouve en troisième place en recueillant 15 % des appuis, avec une marge d'erreur de quatre points 19 fois sur 20.
La résurrection de l'ADQ ne fait donc aucun doute et s'explique aussi par un «très bon début de campagne» de la formation politique dirigée par Mario Dumont, juge le politologue Jean-Herman Guay, de l'Université de Sherbrooke. Mais il y a peut-être autre chose.
«Avec l'arrivée de Stephen Harper [à Ottawa], une chimie s'est créée, ajoute-t-il. La réapparition de Dumont dans l'actualité l'a de nouveau placé en situation de force. Mais il y a aussi le désabusement à l'endroit du Parti québécois, qui fait en sorte que le vote souverainiste est en train de se transférer vers une position mitoyenne.» L'ADQ rendrait cette position attirante -- avec sa stratégie autonomiste et son appui au OUI en 1995 -- pour «un certain nombre de souverainistes» qui estiment que «la quête d'un pays» doit être aujourd'hui considérée avec modération, ajoute-t-il.
Dans cette écologie politique, un parti monte et l'autre descend forcément, ce qui laisse du même coup présager l'apparition prochaine, si la tendance se maintient, d'un point de contact entre les deux trajectoires. Sur cette charnière, l'ADQ pourrait alors grimper pour revendiquer le statut de deuxième parti politique au Québec.
«Le mouvement ascendant actuel de l'ADQ peut effectivement créer une synergie, réveiller les troupes, activer le militantisme», dit M. Guay. Et le débat des chefs pourrait faire toute la différence puisque «Mario Dumont pourrait alors marquer des points».
Aux yeux du politologue, la joute télévisuelle est incontournable pour une éventuelle redistribution des rôles sur la scène politique québécoise. Mais elle n'est pas le seul point de passage obligé pour que l'ADQ se mette aussi à grandir. «Il doit aussi y avoir un cumul d'autres éléments pour former une combinaison gagnante», dit-il.
Des handicaps à surmonter
En effet, malgré un capital de sympathie sans doute lié à un vent conservateur qui souffle en ce moment sur le continent, l'ADQ doit encore composer avec quelques tares qui retardent forcément son développement. «L'appui à l'ADQ est localisé, résume le sociologue Simon Langlois, de l'Université Laval. Ce parti est fort là où les forces conservatrices ont résisté à la Révolution tranquille», soit, grossièrement, dans une vallée courant de Rivière-du-Loup à Lotbinière, avec quelques emprises dans la région de Québec.
Or, pour former une opposition solide, la formation de Mario Dumont se doit de «percer dans l'axe centre du Québec [de Trois-Rivières à Sherbrooke], dans l'Outaouais et aussi dans la région de Montréal», poursuit-il. Dans ce dernier cas, il s'agit d'un territoire où vivent les trois quarts des électeurs mais où le discours adéquiste touche «un peu moins de cordes sensibles», sauf peut-être dans les couronnes nord et sud de Montréal.
«Dans les zones de bungalows de la classe moyenne, Dumont pourrait peut-être performer, souligne Jean-Herman Guay, et aller chercher des circonscriptions. Il y a là un phénomène émergent à surveiller.»
La quête de votes dans le 450 ne peut toutefois pas faire oublier d'autres handicaps avec lesquels l'ADQ doit vivre en ce moment. À commencer par la faiblesse de son organisation politique sur le terrain, en dehors des terres où la formation est fertile, et par l'absence d'une équipe sérieuse qui, dans une phase ascendante, risquerait de nuire à la formation, résume M. Guay. «Vous pouvez mener une bonne campagne, vous pouvez avoir un chef qui a un flair politique indéniable, mais sans équipe, l'ADQ va finir par plafonner», dit-il, ajoutant toutefois ceci: «En 1984, Brian Mulroney a bien pris le pouvoir avec une équipe très faible. À l'époque, ç'avait étonné tout le monde.»
N'empêche, avec l'appui public de plusieurs personnalités -- le chef libéral fédéral Stéphane Dion a déjà commencé la semaine dernière en appuyant l'ADQ pour bloquer le PQ -- et un reste de campagne sans faux pas pour Dumont, le tiers parti pourrait se retrouver en bonne position pour prendre du galon au cours des prochaines semaines, estiment les experts consultés. Ce faisant, il pourrait tracer des contours surréalistes et inédits de la scène politique provinciale, où les deux principales forces en présence seraient alors deux partis évoluant du même côté de l'échiquier: à droite, mais en s'aventurant parfois au centre!
«Si ça devait se produire, ça déclencherait une série de secousses sismiques du côté du PQ», dit Pierre Drouilly. «Ça va être le drame, ajoute Jean-Herman Guay. Si le Parti québécois devait être battu à plate couture avec un score analogue à celui de 1970 [23 % des voix, se faisant ainsi reléguer au troisième rang des partis en lice], ça donnerait l'impression que la boucle est bouclée. Il y a là un risque d'éclatement.»
Le scénario est bien sûr hypothétique, tient-il à souligner tout en insistant sur le fait que la volatilité de l'électorat (45 % de l'électorat pourrait changer d'opinion pendant la campagne, selon le sondage Léger Marketing) rend pour le moment hasardeuse toute prédiction. «On pourrait aussi très bien assister à une résurrection du PQ, dit M. Guay. Ce n'est pas impossible. Même si, pour le moment, le portrait [livré par la formation politique d'André Boisclair] n'est pas très rose.»


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