Gilles Duceppe (Photo Armand Trottier, La Presse)
Justin Massie - La crise entourant la légitimité de la mission canadienne en Afghanistan pose-t-elle une menace à l'unité nationale du pays? Les données statistiques, conjuguées aux commentaires politiques de plusieurs journalistes, semblent appuyer un tel scénario.
D'une part, l'écart de l'appui populaire à la mission canadienne séparant les Québécois des Canadiens hors Québec était de 26% en juillet 2007: moins d'un tiers des Québécois appuyaient les efforts de combat des Forces canadiennes, comparativement à 56% des autres Canadiens (Ipsos-Reid). Cela n'est guère nouveau. Depuis janvier 2002, l'écart entre les deux groupes a fluctué de 15% à 26%. De plus, lorsque l'on tient compte des clivages régionaux, les Québécois et les Albertains représentent deux pôles d'opinions diamétralement opposées.
L'appui populaire en Alberta n'a jamais été sous la barre des 58%, et la province se distingue par son appui relativement élevé à la mission des Forces canadiennes, même par rapport aux autres Canadiens anglais.
D'autre part, l'interprétation de ces chiffres dans les médias s'articule autour d'un certain consensus sur deux points: les Québécois affichent des traits distinctifs en matière de politique étrangère, et le gouvernement fédéral doit en prendre acte afin d'accroître non seulement ses chances de réélection, mais également afin d'éviter que l'opposition des Québécois ne devienne suffisamment vive pour menacer la stabilité politique du pays. Ainsi, certains ont qualifié les attitudes particulières des Québécois d'isolationnistes, de pacifistes, d'humanistes, ou encore d'antimilitaristes. D'autres ont interprété les décisions de Stephen Harper de remanier son cabinet ministériel, d'exiger l'appui d'au moins un autre parti politique afin de poursuivre la mission en Afghanistan au-delà de février 2009, d'accroître les efforts de formation de l'armée nationale afghane et de mettre en exergue le caractère humanitaire de la mission, comme autant de moyens de forger un consensus national, particulièrement au Québec, sur le bien-fondé de l'intervention militaire.
Est-ce donc dire que la politique étrangère canadienne en cette ère de guerre contre le terrorisme a la capacité de stigmatiser les clivages régionaux au point de perturber l'unité politique du pays? D'un point de vue historique, rien n'est moins sûr. Depuis les crises de la conscription lors des deux guerres mondiales, les interventions militaires canadiennes n'ont jamais mis en danger l'unité politique du pays en ravivant les clivages ethno-religieux distinguant les Québécois des autres Canadiens.
Trois facteurs
Ceci est dû à l'un ou l'autre de trois facteurs. D'abord, le gouvernement fédéral a judicieusement su éviter les décisions qui auraient pu entraîner de vives conséquences politiques, notamment en refusant de participer directement à la guerre du Vietnam (des milliers de Canadiens s'étant néanmoins enrôlés dans l'armée américaine) et, plus récemment, à la guerre anglo-américaine contre l'Irak.
Ensuite, les fondements attitudinaux des Québécois et des autres Canadiens (incluant les Albertains) en matière d'usage de la force militaire à l'étranger possèdent un trait commun: tous appuient les interventions militaires en certaines circonstances (dont en témoignent les campagnes au Kosovo et en Haïti, par exemple). Les Québécois ne sont donc pas isolationnistes. D'ailleurs, en mars 2003, plus de 60% de Québécois appuyaient une intervention militaire contre Saddam Hussein, à condition que le Conseil de sécurité de l'ONU y donne le feu vert.
Le troisième facteur concerne la donne politique canadienne. Ce n'est qu'à la suite de la guerre du Golfe de 1990-1991 que les souverainistes québécois ont commencé à être représentés au Parlement canadien. Or, depuis, le Bloc québécois ne s'est jamais fait l'écho des positions les plus radicales de ceux-ci. Malgré la mort de soldats du Royal 22e Régiment, Gilles Duceppe a refusé d'exiger le rapatriement immédiat des soldats canadiens. Il souhaite plutôt un «rééquilibrage» de la mission actuelle jusqu'à sa fin, en février 2009, sans oublier qu'il estime qu'un «Québec souverain aurait participé à l'intervention internationale en Afghanistan».
Du côté des libéraux, même position. En fait, seul le NPD épouse les sentiments pacifistes de certains Québécois, mais ses positions centralisatrices n'en font guère une véritable option pour une majorité de Québécois. Et lorsqu'ils ont formé l'opposition au Parlement, les libéraux et les conservateurs ont certes affiché des positions attisant les clivages régionaux (pensons à l'opposition de Jean Chrétien à la mission canadienne dans le Golfe persique ou à celle de Stephen Harper sur la guerre en Irak), mais une fois au pouvoir, ils ont tous deux pris soin d'articuler des positions suffisamment ambiguës pour apaiser les tensions internes.
En dernière analyse, pour que l'opposition actuelle des Québécois à la contribution canadienne à la guerre en Afghanistan puisse avoir des conséquences politiques significatives en matière d'unité nationale, au moins l'un de ces trois facteurs historiques devrait être renversé.
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