Des choix difficiles

Peu d'options sont à la disposition du comité Manley au moment de faire ses recommandations pour la suite des choses en Afghanistan

Afghanistan - une guerre masquée


Alors que la remise de son rapport approche, le comité Manley - le groupe d'experts chargé d'étudier le rôle futur du Canada en Afghanistan, présidé par l'ancien ministre des Affaires étrangères, John Manley - doit tenir compte de réalités géopolitiques qui sont loin de faciliter sa tâche. Il y a d'abord la campagne de déstabilisation menée par des militants islamistes radicaux au Pakistan. L'année 2007 aura été la plus meurtrière de l'histoire de ce pays: plus de 800 personnes ont été tuées lors d'attentats suicides, dont la moitié au cours des trois derniers mois selon l'Agence France-Presse.
Le chef de l'État pakistanais, Pervez Musharraf, estime nécessaire de maintenir la tenue d'élections législatives, prévues pour le 18 février prochain. Cet appui à la démocratie est sans doute le bienvenu. Toutefois, d'ici les élections et dépendamment des résultats de celles-ci, plusieurs autres attentats terroristes sont à prévoir dans ce pays. Ce sera donc dans un tel contexte de violence que sera déposé le rapport Manley et qu'aura lieu le débat à la Chambre des communes sur l'avenir de la mission canadienne en Afghanistan. Le climat international sera ainsi hostile à tout signe de défection de la part des alliés engagés dans des opérations de combat contre les militants islamistes radicaux en Afghanistan. Les propositions suggérées par le comité Manley et celles envisagées par les différents partis politiques fédéraux doivent tenir compte de cette situation.
Le chef du Parti libéral, Stéphane Dion, a détaillé noir sur blanc sa stratégie afghane. Tout comme le gouvernement Harper, il souhaite que les Forces canadiennes poursuivent leurs opérations de combat actuelles, mais pour un an encore seulement, contrairement au premier ministre qui préférerait poursuivre la mission actuelle jusqu'en 2011. En février 2009 donc, soit après près de trois ans de lutte anti-insurrectionnelle en Afghanistan, le Canada aura "fait sa part", estime Dion.
Cette position reflète moins l'opinion publique canadienne que celle du Bloc québécois, qui souhaite un "rééquilibrage" immédiat de la mission, et encore moins que celle du NPD, qui prône un retrait immédiat de Kandahar. En effet, plus de la moitié des Canadiens (53%) croient que le Canada devrait retirer ses troupes avant février 2009 (dont 65% des Québécois et seulement 38% d'Albertains). Même si plusieurs sont confus quant à la nature de la mission (un quart de la population canadienne ne sait pas s'il s'agit d'une guerre ou d'une mission de paix), une majorité claire (61%) de Canadiens s'opposent à l'idée de poursuivre la mission (quelle qu'elle soit) au-delà de février 2009 (Angus Reid, décembre 2007).
Trop grande part du fardeau
Si Stéphane Dion ne semble pas refléter la volonté des Canadiens, il peut toutefois se réconforter dans le fait que la population estime, tout comme lui, que le Canada "porte une trop grande part du fardeau de la mission de l'OTAN en Afghanistan". En bref, ce sont aux alliés à en faire davantage, pas aux Canadiens.
Ceci est inquiétant pour deux raisons. D'abord, parce que les États-Unis, qui estiment également que les pays Européens devraient assumer une plus grande part du fardeau militaire, envisagent désormais de déployer 3000 marines en Afghanistan au cours du printemps prochain devant le refus de leurs alliés d'en faire autant. Washington, qui fournit déjà plus de la moitié des effectifs militaires en Afghanistan, s'était refusé jusqu'alors à un tel déploiement de crainte que les Européens n'interprètent ce geste comme un signe qu'ils n'ont pas, eux, à fournir davantage de troupes afin d'empêcher l'échec de la mission de l'OTAN. Si cette dynamique se poursuit à moyen terme, un retrait militaire canadien de Kandahar a toutes les chances de contribuer à l'américanisation d'une guerre jugée moralement légitime en raison, précisément, de son caractère multilatéral.
Enfin, l'une des motivations sous-jacentes à la stratégie afghane du Parti libéral, et appuyée par beaucoup de Canadiens, est que le Canada devrait être en mesure de contribuer à d'autres missions internationales que l'Afghanistan. Ceci a de quoi rendre perplexe. Si l'idée est d'avoir suffisamment de marge de manoeuvre pour déployer quelques centaines de militaires canadiens au Darfour, par exemple, l'expérience des Européens est instructive.
La Norvège et la Suède ont décidé de ne pas déployer de forces de maintien de la paix à la suite du refus du gouvernement soudanais d'autoriser des pays non-Africains à prendre part à la force conjointe des Nations unies et de l'Union africaine. Toute contribution canadienne est ainsi fort peu probable, d'autant plus que le climat de violence qui prévaut au Soudan et dans le pays voisin, le Tchad, n'a rien pour appuyer les dires de ceux qui croient qu'il y a, ailleurs qu'en Afghanistan, une mission sans risque auxquelles le Canada pourrait participer.
Il ne reste donc plus, parmi les scénarios envisagés par le comité Manley, que celui d'une réaffectation des militaires canadiens vers un autre théâtre d'opération en Afghanistan, munis d'un nouveau mandat. Si ceci s'avérait l'option retenue, il serait sans doute malvenu pour le Canada de restreindre le mouvement de ses troupes, mesure qu'il critique présentement chez ses alliés. Sans de telles restrictions, le Canada continuerait de participer aux opérations anti-insurrectionnelles de l'OTAN contre les militants islamistes radicaux situés en Afghanistan.
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Massie, Justin
L'auteur est doctorant à Queen's University et chercheur associé à la chaire de recherche du Canada en politiques étrangère et de défense canadiennes à l'UQAM.

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L’auteur est professeur adjoint à l’École supérieure d’affaires publiques et internationales de l’Université d’Ottawa et chercheur associé à la Chaire de recherche du Canada en politiques étrangères et de défense canadienne de l’UQAM.





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