Afghanistan-Canada, même fouillis?

Si tel est le cas, nous pourrons vraiment dire alors que nous y sommes allés pour rien et que nos soldats y ont laissé leur vie en vain.

Afghanistan - une guerre masquée



Stephen Harper aime-t-il le Canada? Lancée comme ça, sans avertissement, la question peut paraître brutale. À en juger, toutefois, par certaines déclarations de notre premier ministre, il faut bien admettre que celui-ci n'a pas toujours une très haute opinion du pays qu'il dirige.
Dernière déclaration en date: «On sait toujours que le processus démocratique, même au Canada, peut être un fouillis de temps à autre», a déclaré jeudi M. Harper à propos du succès «remarquable», selon lui, du scrutin présidentiel en Afghanistan.
Canada, Afghanistan, même merdier électoral? Mêmes graves problèmes dans l'exercice démocratique? Voilà qui n'est pas très flatteur pour un pays qui l'a élu deux fois premier ministre!
Que Stephen Harper tente, comme tous ses homologues occidentaux, de minimiser les ratés du scrutin afghan, cela se comprend aisément. Ce scrutin, après tout, n'est pas qu'un test pour la jeune démocratie afghane, c'est d'abord le bulletin des pays de la coalition qui ont promis d'y exporter leur système et leurs valeurs.
Mais que M. Harper compare les rares ratés de notre processus électoral au foutoir afghan, voilà qui est un peu fort de café.
C'est la deuxième fois en quelques jours que M. Harper crache dans sa propre soupe. La semaine dernière, il s'est rendu au Mexique pour expliquer que le Canada doit imposer des visas à nos amigos à cause des graves lacunes de notre système d'immigration. Du coup, le premier ministre a donné raison à tous nos détracteurs, en particulier aux États-Unis, qui affirment que le Canada est une véritable passoire.
Il est plutôt inusité d'entendre un chef de gouvernement critiquer aussi ouvertement son propre pays, surtout à l'étranger. Normalement, on garde ses problèmes domestiques à la maison, pas chez le voisin. Et puis si M. Harper veut proposer des changements, libre à lui, il est premier ministre, après tout.
Les récriminations du chef conservateur à l'égard du Canada ne sont pas nouvelles.
Bien avant de devenir premier ministre, M. Harper avait prononcé, en 1997, une conférence devant un groupe
américain de droite réuni à Montréal dans lequel il dépeignait en mots peu élogieux les travers de son pays «socialiste».
Plus récemment, lors de la campagne électorale de 2006, il avouait aussi ses craintes et ses réticences devant la fonction publique et la magistrature canadienne, beaucoup trop «libérales» à son goût.
On sait aussi que le premier ministre n'est pas un grand fan de la Charte des droits et libertés et des tribunaux, en particulier la Cour suprême, trop interventionnistes, selon les conservateurs.
Un succès remarquable?
Malgré les nombreux problèmes le jour du vote, la crainte omniprésente, les allégations de corruption et un taux de participation anémique, Stephen Harper a qualifié le scrutin de jeudi de «remarquable». Ce qualificatif est sans doute un peu exagéré.
Quoi qu'il en soit, cette deuxième élection présidentielle depuis l'éviction du régime des talibans représente pour nous une belle occasion de faire le bilan de notre mission en Afghanistan. Et de réfléchir sérieusement sur ce que nous voulons accomplir, de façon réaliste, d'ici notre sortie prévue dans 18 mois, en février 2011. Autre sujet de réflexion: que fait-on si l'administration Obama nous demande officiellement de prolonger notre présence pour appuyer ses efforts en Afghanistan?
Ne comptez pas trop, toutefois, sur Stephen Harper et Michael Ignatieff pour débattre de ces questions, eux qui ne veulent absolument pas encombrer la scène électorale d'une telle pelure de banane.
Au départ, il y a sept ans, nous débarquions en Afghanistan pour y chasser les terroristes, pour y établir un climat propice au développement et à la démocratie.
En 2006, devant l'Assemblée générale de l'ONU, Stephen Harper affirmait que la coalition pacifierait le pays en plus d'y établir croissance et démocratie. «Nous réussirons», avait lancé M. Harper en guise de conclusion.
Malgré un excès d'enthousiasme, qui a fait dire au premier ministre que ce scrutin est un succès «remarquable», il faut rester modeste et réaliste?: nous sommes très loin d'avoir réussi en Afghanistan.
Le simple fait que la communauté internationale pousse un grand ouf! parce qu'il n'y a eu «que» 26 morts en dit long sur nos attentes. Le fait, aussi, que l'on se contente d'un taux de participation aussi faible et que l'on ne se formalise pas trop des soupçons de fraudes électorales.
Serions-nous en train d'abaisser nos propres critères démocratiques, de couper les coins ronds, juste pour pouvoir dire «Mission accomplie» et ainsi pouvoir nous retirer peinards, avec le sentiment du devoir accompli?
Si tel est le cas, nous pourrons vraiment dire alors que nous y sommes allés pour rien et que nos soldats y ont laissé leur vie en vain.


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