L'évolution du débat sur la nature de la mission canadienne en Afghanistan pousse certains intervenants à appeler à des négociations directes avec les talibans et, plus généralement, à compléter le processus de réconciliation politique inachevée en Afghanistan. Bien que cette proposition gagne de plus en plus d'adeptes, peu se sont penchés sur les difficiles choix moraux et politiques qui la sous-tendent.
Un nouveau processus de paix plus inclusif, malgré les mérites d'une telle idée à première vue, n'est pas pour autant une recette magique menant à une sortie de crise rapide. Un véritable processus de paix doit tenir compte des multiples obstacles qui ne manqueront pas de se dresser sur sa route. Plus encore, un tel processus devrait être précédé de consultations avec les premiers concernés: les Afghans.
Des consultations nationales pourraient prendre la forme d'états généraux, de jirgas ou même d'un référendum et permettraient de mieux cerner la véritable audience, sinon le degré de tolérance, vis-à-vis les talibans et leur participation éventuelle au gouvernement. Il s'agit de se prémunir contre la tentation d'imposer une solution de l'extérieur et, ensuite, de porter l'entière responsabilité des conséquences indésirables d'une entente nécessairement imparfaite.
Si le Canada avance l'idée d'un processus de paix, il doit aussi tenir compte de ce que cela implique. Inévitablement, les parties devront arriver à des compromis difficiles. Que sommes-nous prêts à concéder en matière de droits des femmes après avoir investi tant d'efforts pour des avancées qui demeurent encore trop modestes? Le Canada ayant pris les devants dans ce dossier, comment réconcilier cet engagement avec les demandes d'un mouvement dont on connaît le programme politique misogyne?
Plus généralement, jusqu'à quel point est-il tolérable de laisser les coudées franches à un groupe radical dont le passage au pouvoir a fait tant de victimes en Afghanistan? Enfin, toute concession faite aux talibans risque de se faire au détriment de ceux qui sont déjà au pouvoir à Kaboul. Comment parvenir à maintenir l'équilibre entre des rivaux dont le réflexe naturel est de négocier par la voie des armes?
Qui représente les talibans, au juste?
Il faut aussi tenir compte des initiatives déjà prises dans le même sens. Le gouvernement Karzaï a créé un programme d'amnistie pour les insurgés ralliés et a récemment reconnu discuter directement avec des représentants talibans. L'idée n'est donc pas aussi neuve qu'on pourrait le croire. Pourtant, les avancées demeurent décevantes en grande partie à la suite de l'intransigeance des talibans. Leurs demandes sont maximales et reflètent l'optimisme d'une organisation convaincue d'être sur le chemin de la victoire.
Les talibans exigent le contrôle exclusif d'une dizaine de provinces du sud et ont rejeté les offres de postes clés au sein du gouvernement actuel. Ils posent par ailleurs comme condition, avant toute négociation plus formelle, le retrait immédiat et intégral des «forces étrangères d'occupation». Pourtant, les talibans eux-mêmes sont devenus une force bien plus «étrangère» à l'Afghanistan depuis leur déconfiture de 2001. Outre qu'ils reçoivent le soutien direct et indirect de certains éléments au sein du Pakistan, où ils ont trouvé refuge, leurs militants comprennent nombre de Tchétchènes, d'Ouzbeks et d'autres groupes répondant à l'appel du djihad.
La communauté internationale n'est pas en reste et a déjà posé un certain nombre de jalons dans le sens d'une réconciliation à plus long terme en Afghanistan. Une proposition canadienne ne se ferait donc pas dans le vide. De plus, le Canada serait mal placé pour parrainer une conférence de paix; après tout, il a clairement pris position en faveur d'une des parties au conflit.
Pas de remède miracle
Enfin, les insurgés réunis sous l'étiquette «talibans» représentent en fait des mouvances bien plus variées. Des militants dévoués à une idéologie islamisante radicale internationale côtoient des combattants sous-employés qui voient dans les 12 $ qu'on leur verse par jour un moyen pour eux et leur famille d'échapper à la misère. Comment s'assurer qu'une éventuelle entente soit respectée par ces groupes aux griefs si divers et qu'elle ne dégénère pas en des luttes intestines comme on a pu en observer au Darfour?
Un processus de paix incluant les talibans et autres insurgés n'est pas le remède miracle qui nous dédouanerait de nos engagements en Afghanistan. Mal conçu, il risquerait plutôt de légitimer des acteurs qui se sont imposés par la violence sous prétexte de sauver une intervention internationale précipitée et incohérente qui menace de s'écrouler. Avant de se consacrer à la mise en oeuvre d'un processus de paix en Afghanistan, nous devrions d'abord comprendre ce que les Afghans attendent d'un tel processus et jusqu'à quel point ils sont désireux du type de paix qu'on leur propose.
L'Afghanistan n'est pas une simple énigme à poser et à résoudre du fait des idées désincarnées formulées par une galerie lointaine de commentateurs internationaux. Il s'agit d'abord des 26 millions d'Afghans qui ont traversé des décennies de guerre et qui sont les premiers à subir une nouvelle recrudescence des violences. Pour s'y engager sérieusement, la communauté internationale et le Canada doivent soigneusement soupeser les conséquences d'un éventuel processus de paix et le baser non sur ce qu'ils jugent bon pour les Afghans mais sur ce que ceux-ci attendent de leur avenir.
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Marc André Boivin, Directeur adjoint du Réseau francophone de recherche sur les opérations de paix affilié au CERIUM, membre de l'International Institute for Strategic Studies de Londres et chercheur associé au Groupe d'étude et de recherche sur la sécurité internationale
Lauryn Oates, Vice-présidente de Canadian Women for Women in Afghanistan et coordonnatrice du Funders' Network for Afghan Women
- source
Nouveau processus de paix en Afghanistan
Le Canada doit comprendre les Afghans
Afghanistan - une guerre masquée
Marc André Boivin6 articles
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