Le comité-conseil chargé par le premier ministre Stephen Harper de lui recommander la voie à suivre en Afghanistan remettra son rapport le 28 janvier. Les constatations et propositions des cinq experts le composant, pour éclairantes qu'elles pourront être, arriveront-elles à convaincre que le Canada doit maintenir une présence militaire active dans ce pays? Si cela est, ce ne pourra être aux mêmes conditions qu'actuellement.
La comparaison avec la guerre du Vietnam serait exagérée à bien des égards, mais la crainte que l'Afghanistan devienne un bourbier dont le Canada n'arriverait pas à s'extirper sans dommages importants est ce qui amène les Canadiens à douter du bien-fondé du rôle qu'y jouent leurs Forces armées. Selon le plus récent sondage sur le sujet réalisé en décembre, trois Canadiens sur cinq voudraient d'ailleurs qu'elles s'en retirent dans les meilleurs délais, au plus tard en février 2009.
Intuitivement, l'opinion publique canadienne fait le constat que les coûts en argent et en pertes humaines sont sans rapport avec les progrès qui sont faits. Six ans après le renversement du régime des talibans, il y a certes en place un gouvernement qui a été élu démocratiquement, mais celui-ci ne contrôle pas l'entièreté du territoire afghan. Les talibans sont revenus en force. Le pays est en état d'insurrection, combattu essentiellement par la Force internationale d'assistance à la sécurité (FIAS) placée sous le commandement de l'OTAN. Depuis trois ans, les difficultés que rencontrent les soldats canadiens chargés de pacifier la province de Kandahar illustrent bien la précarité de la situation dont on ne sait dans quelle direction elle évoluera. Les doutes qu'entretiennent les Canadiens sont d'ailleurs partagés par les citoyens de nombreux autres pays participant à la FIAS.
Le gouvernement Harper fait valoir que le Canada a une obligation de solidarité avec le peuple afghan. Il invoque à cet effet la tradition canadienne de défense de la démocratie, des droits et de la liberté. Il fait vibrer la fibre patriotique en glorifiant le sacrifice des soldats canadiens dont 74 ont maintenant donné leur vie en Afghanistan. Mais jamais il n'a tenté de répondre aux interrogations des Canadiens qui se résument à deux grandes questions: est-il possible de gagner la guerre contre les talibans et, si oui, prenons-nous les bons moyens pour y arriver. Ce sont des questions difficiles auxquelles il faut souhaiter que le comité-conseil nous apporte des réponses. Celui-ci ne pourra redéfinir le mandat militaire et humanitaire du Canada en Afghanistan sans les examiner à fond.
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En s'engageant aux côtés des États-Unis en Afghanistan en 2001 et 2002, le Canada ne s'est jamais posé ces questions. Il a suivi aveuglément son voisin. Nous pouvons peut-être excuser le gouvernement de Jean Chrétien en raison du contexte d'urgence créé par les événements du 11-Septembre. Aller en Afghanistan lui faisait faire l'économie d'un engagement en Irak, ce qui était rassurant. Aujourd'hui, on se rend compte que notre engagement est beaucoup plus large que l'Afghanistan. L'Afghanistan des talibans déborde sur l'Iran et, surtout, sur le Pakistan. L'assassinat de Benazir Bhutto au lendemain de Noël nous a fait entrevoir à quel point ce dernier pays est une poudrière. S'il ne se pose pas les bonnes questions aujourd'hui, le Canada pourrait demain se retrouver dans une spirale de conflits à son corps défendant. Il est aussi évident que la bataille pour pacifier l'Afghanistan et redresser son économie sera beaucoup plus longue qu'on a voulu le faire croire.
La conduite des opérations militaires en Afghanistan est aussi un sujet essentiel de réflexion pour le Canada avant de renouveler son engagement. Doit être posée la question de la solidarité entre les pays membres de l'OTAN qui ne fournissent pas des efforts égaux. Il y a d'un côté les Américains, les Britanniques, les Hollandais et les Canadiens, et de l'autre les Allemands, les Italiens, les Polonais, les Français et quelques autres dont l'effort est nettement moindre. Le Canada peut se glorifier d'être plus courageux que certains autres pays, mais le prix de ce courage a été élevé: 74 soldats tués jusqu'ici.
Courage peut être synonyme de témérité, dans certaines circonstances. Il faut remettre en question à cet égard la capacité militaire des Forces armées canadiennes. Il est apparu à plusieurs reprises au cours des quatre dernières années que l'on a envoyé sur le terrain des soldats qui n'avaient pas l'équipement adéquat. On se souviendra de leurs habits de camouflage fait pour la jungle plutôt que le désert. Graduellement, on a acheté de nouveaux véhicules de transport et des chars d'assaut, mais manquent toujours des hélicoptères pour assurer le transport des troupes. Obligés de se déplacer par la route, contrairement aux Américains, Britanniques et Hollandais, les soldats canadiens rencontrent inévitablement la mort sous les mines des talibans. Toutes proportions gardées, le taux de mortalité des soldats canadiens a été de deux à trois fois plus élevé que celui des soldats britanniques et américains pour cette raison.
Une autre question à soulever, que les militaires ne veulent pas examiner d'emblée, est le rôle de la diplomatie dans le rétablissement de la sécurité en Afghanistan. À quelques reprises, il y a eu une ouverture de la part de talibans dont le gouvernement Karzaï n'a jamais voulu. Y a-t-il une voie à explorer de ce côté?
Des réponses claires à ces questions permettraient aux Canadiens de faire un choix en toute connaissance de cause. Si le Canada devait maintenir sa présence en Afghanistan sous la forme actuelle, comme le souhaite le gouvernement Harper, cela exigera de plus grands efforts que ceux déployés jusqu'ici. Il y aura d'autres pertes de vie dans les rangs des Forces armées. Ne serait-ce que pour cela, il faut avoir les yeux grands ouverts et être en mesure de bien comprendre tous les enjeux. Il faut savoir pourquoi on s'embarque dans cette aventure, avec qui et pour combien de temps. Pour le moment, les Canadiens sont dans le noir. Ils ont raison de douter de la valeur de la présence militaire en Afghanistan et de vouloir y mettre fin.
bdescoteaux@ledevoir.com
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