L’angle mort de la démocratie québécoise

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Les régions du Québec sont meurtries après 15 années de règne libéral !


Depuis le référendum de 1995, surtout pendant le long règne des libéraux, le pouvoir politique a littéralement tassé la gouvernance régionale dans l’angle mort de la démocratie québécoise.


En fait, tout le territoire québécois a été gouverné de façon débridée, erratique et fortement contrastée. Autant les instances de la région montréalaise sont devenues alambiquées, compliquées, sources de division et d’impotence, autant celles des autres régions du Québec ont été dépouillées jusqu’à l’insignifiance et réduites à l’univers local. Comme on le disait à une certaine époque, le Québec, celui qui habite le territoire, est en déficit d’empowerment, ou d’autonomisation.


Au national, on le sait, le pouvoir s’est fermement retranché au Conseil exécutif et au bureau du premier ministre, tête de pont de la gestion d’un lobbying qui sert de contrepoids circonstanciel, à défaut de véritable contre-pouvoir dans les institutions démocratiques. […]


Le cas de Montréal


En 2012, devant les militants de Projet Montréal, l’ancien maire de Québec Jean-Paul L’Allier en appelait au démantèlement des « structures extrêmement lourdes » qui paralysent la Ville de Montréal, devenue ingouvernable depuis la vague de défusions de 2006 sous le gouvernement Charest. Il dénonçait « les cocktails de médicaments qu’on lui a prescrits pour en limiter les dégâts, des structures irrationnelles et enchevêtrées dans un indigeste partage de l’autorité et des champs de compétences ».


Pour cause, l’île de Montréal compte 212 élus municipaux. Montréal la Ville a 103 élus, une mairesse, 18 maires d’arrondissement, 46 conseillers municipaux et 38 conseillers d’arrondissement. À cela il faut ajouter 109 élus (15 maires et 94 conseillers) des anciennes villes reconstituées qui occupent 27 % de la superficie de l’île de Montréal, principalement dans l’ouest de l’île, alors qu’elles ne composent que 12 % de la population. Conséquemment, l’ancienne Communauté urbaine de Montréal a été abolie pour un conseil d’agglomération, composé d’élus municipaux de l’île. Au-dessus, on retrouve la stratosphérique Communauté métropolitaine de Montréal créée en 2001 avec ses 28 élus provenant de 82 municipalités totalisant quatre millions d’habitants sur plus de 4200 km2. Où est la chatte ? Où sont les petits ?


Entre-temps, les nombreux projets des promoteurs et des ordres supérieurs de gouvernement s’entrechoquent sans plan d’ensemble, sans consultations ni réels partenariats avec des autorités municipales dispersées et finalement impotentes. Les gouvernements québécois et canadien, y compris les divers ministères, sociétés et organismes publics, interviennent sans stratégie d’ensemble, sans cohésion intergouvernementale et interministérielle, de façon opportuniste, ponctuelle, fragmentée, source d’erreurs coûteuses de planification minant le développement cohérent de la région montréalaise.


Les patries régionales


Pendant qu’on intervient massivement mais maladroitement dans la région montréalaise, les autres régions tentent de se relever de la coupe à blanc pratiquée par les gouvernements libéraux de Charest et Couillard dans les structures et les budgets de concertation et de développement au nom de la fallacieuse reconnaissance des villes, des municipalités et des MRC comme « gouvernements de proximité ». Une véritable mise à mort. Conséquemment, chaque « ministre responsable de la région » a désormais toute la place pour exercer son rôle de parrain ou marraine du trafic d’influence politique auprès des intervenants régionaux, élus municipaux et représentants de la société civile.


Ce beau gâchis explique en bonne partie les résultats de la dernière élection. En 2012, François Legault se prononçait pour une réforme de la gouvernance de l’île de Montréal, et en 2017 pour celle de la Communauté métropolitaine. Porté au pouvoir par les régions en dehors de l’île, il n’a manifestement pas l’intention de bouger sur cette question, non plus sur celle de la gouvernance régionale, se disant satisfait des MRC. Bien conscient de son pouvoir comme premier ministre, il dirige avec le paternalisme d’un chef d’orchestre qui connaît sa partition. Il ne donne plus de signe de réforme du gouvernement ni de décentralisation de l’État.


Il devrait se méfier de l’angle mort laissé par les libéraux, celui qui lui a justement permis de prendre le pouvoir : le vote en dehors de l’île. Ce vote, il se définit et se cristallise dans le terreau des patries régionales, de la couronne nord du fleuve jusqu’à l’Abitibi et de la couronne sud jusqu’à la Gaspésie. Celui d’un Québec qui réclame les outils et les ressources pour se gouverner et se développer.




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