C'est un euphémisme de dire que les demandes salariales du front commun des syndicats du secteur public «semblent à première vue un peu élevées». Pauline Marois aurait eu l'air d'une Martienne si elle ne l'avait pas reconnu.
On lui a souvent reproché de ménager la chèvre et le chou depuis qu'elle est devenue chef du PQ. Pour une fois qu'elle ne s'est pas défilée, même si elle y est allée le plus délicatement possible, on serait malvenu de lui en faire reproche.
Mme Marois ne s'en est pas moins aventurée sur un terrain glissant. Les porte-parole syndicaux n'ont pas caché leur irritation et ses députés étaient visiblement embarrassés. Il est toujours inconfortable de se retrouver pris entre l'arbre et l'écorce.
La base syndicale demeure importante au PQ et chaque nouvelle ronde de négociations ravive le douloureux souvenir des décrets de 1982, qui avaient littéralement déchiré le parti. Vingt-huit ans plus tard, certains n'ont pas encore pardonné cette «trahison».
Aux yeux de plusieurs, le PQ demeure malgré tout l'instrument des syndicats. Depuis qu'elle est devenue chef, Mme Marois tente de dissiper cette fâcheuse impression. Au départ, elle était bien déterminée à dissoudre le SPQ libre, cet encombrant héritage laissé par Bernard Landry, qui confère un statut privilégié au mouvement syndical au sein du parti. Elle y a renoncé après avoir mesuré la difficulté juridique et le risque politique d'une telle opération.
Malgré d'importantes divergences de vues sur la stratégie référendaire et la redéfinition de la social-démocratie, un certain modus vivendi s'est établi. Le conseil général de mars 2008 a été le théâtre d'une épreuve de force qui a permis à Mme Marois de démontrer qu'elle avait l'appui de la très grande majorité des militants. Depuis, les critiques formulées par le SPQ libre sont demeurées très respectueuses de son leadership, mais elle doit néanmoins le ménager.
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La chef du PQ doit aussi tenir compte de l'opinion publique. Si besoin était, le récent sondage Léger Marketing-Le Journal de Montréal a clairement montré dans quel camp se range la population en vue de l'affrontement à venir: 68 % des personnes interrogées ont dit approuver les offres présentées par le gouvernement Charest.
Cela ne devrait surprendre personne. À tort ou à raison, les employés du secteur public sont perçus comme des privilégiés. Alors que la récession fait encore sentir ses effets, il ne faut pas s'attendre à ce qu'ils bénéficient d'une grande sympathie.
Même si on peut plaider le caractère juste et raisonnable d'un rattrapage, des hausses salariales de 11,25 % en trois ans ne sont tout simplement pas «vendables». Les chiffres de l'Institut de la statistique permettent trop d'interprétations différentes pour être concluants.
Mme Marois a également un devoir de cohérence dans le discours. Elle ne peut pas reprocher au gouvernement de ne pas être suffisamment déterminé dans ses efforts pour rééquilibrer le budget et défendre elle-même des hausses salariales qui accentueraient le déficit.
En appuyant les demandes syndicales d'entrée de jeu, Mme Marois aurait perdu toute crédibilité et se serait en quelque sorte mise sur la touche, alors que la partie ne fait que commencer.
Contrairement à ce qui s'était produit en 2005, alors que Monique Jérôme-Forget avait clairement indiqué que ses propositions de départ étaient aussi les dernières, le gouvernement a laissé entendre que son offre de 7 % en cinq ans pouvait être améliorée. La marge de manoeuvre est sans doute étroite, mais elle existe.
En invitant les partis à un «compromis pour arriver à une offre raisonnable», Mme Marois se réserve la possibilité d'appuyer une contre-offre du front commun, sans donner pour autant l'impression de laisser les syndicats partir avec la caisse.
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La chef du PQ a par ailleurs accueilli avec un enthousiasme intéressé le deuxième fascicule du comité consultatif sur l'économie et les finances publiques créé par le ministre des Finances, Raymond Bachand.
Normalement, la «modernisation» de la social-démocratie qu'elle avait annoncée en juin 2007 devrait se traduire par un relèvement
des tarifs, qui créerait inévitablement un fort mécontentement.
À quelques semaines du budget, Mme Marois a voulu voir dans l'allégement des structures du système de santé et le dégraissage des sociétés d'État proposés par les économistes «lucides» de M. Bachand une solution de remplacement aux hausses de tarifs et à l'augmentation de la TVQ. Le vieux cliché fait toujours bon effet auprès des contribuables: «Avant d'aller fouiller dans les poches des citoyens, on devrait regarder dans sa propre cour.»
Avec sa longue expérience ministérielle, la chef du PQ sait très bien que cela ne peut pas se faire en un tournemain. L'état d'urgence budgétaire dans lequel se trouve le Québec ne permet pas d'attendre les économies générées par cette hypothétique «réingénierie». Il y a fort à parier que, dans leur troisième et dernier fascicule, les «lucides» recommanderont aussi une augmentation des tarifs. Dans ce cas-ci, Mme Marois préfère manifestement laisser le ministre des Finances gigoter seul entre l'arbre et l'écorce.
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