Égypte

L'armée et le régime de Moubarak: l'heure de vérité

Géopolitique — Proche-Orient


Les émeutes que connaît l’Égypte depuis le 25 janvier, et dont le but est d’exiger le départ d’Hosni Moubarak, pourraient conduire à un tout nouveau rapport dans les relations armée/pouvoir et peut-être même signer la fin de l’âge d’or.

Photo : Agence France-Presse Khaled Desouki

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Brahim Saidy - Lorsque l'État connaît une crise de légitimité comme celle dans laquelle se trouve actuellement le régime de Hosni Moubarak, l'intervention de l'armée, de son propre chef ou à la demande du peuple ou d'une partie de l'élite dirigeante, apparaît comme une option normale et naturelle dans un régime dictatorial non fondé sur la suprématie du pouvoir civil sur le pouvoir militaire.
Dans ce contexte, l'armée égyptienne apparaît à ce moment de crise comme l'institution sollicitée en dernier ressort pour sauver le régime de Moubarak. Nul doute que cette institution ne restera pas indifférente à l'endroit de la situation insurrectionnelle dans laquelle se trouve le pays pour désigner tous les scénarios après Moubarak, dont les jours au pouvoir sont comptés. Cependant, l'armée fait face à une situation beaucoup plus complexe pour sauvegarder la sécurité nationale et les institutions de l'État du fait des bouleversements actuels survenus au niveau interne et les risques d'une modification de l'ordre géopolitique régional, en cas de chute du régime en place.
L'armée, un véritable pilier du pouvoir
L'armée en Égypte est historiquement la garante ultime du pouvoir politique depuis le coup d'État de 1952 mené par le Mouvement des officiers libres. Celui-ci a consacré l'interventionnisme de l'armée dans la sphère politique pour former avec la présidence et les services de renseignement l'unité centrale décisionnelle du régime égyptien. Tous les présidents successifs — Mohamed Naguib, Nasser, Anouar al-Sadate et Hosni Moubarak — sont issus du corps des officiers. C'est l'armée qui, après le renversement de la monarchie de Farouk Ier, a créé la République, donnant naissance à un régime militaire qui va se convertir à la vie civile.
Cette alliance, sur laquelle reposait le régime de Moubarak, était trop solide pour résister à toute attaque, car son entourage militaire était très fidèle. Cette fidélité de l'armée vient du fait que les généraux et les hauts gradés dans la hiérarchie militaire ont bénéficié de plusieurs avantages et sont présents dans plusieurs secteurs industriels et commerciaux. Cela était un facteur essentiel de la pérennité du régime de Moubarak.
La nouvelle donne
Cependant, les émeutes que connaît l'Égypte depuis le 25 janvier, et dont le but est d'exiger le départ de Moubarak, pourraient conduire à un tout nouveau rapport dans les relations armée/pouvoir et peut-être même signer la fin de l'âge d'or. Étant donné des sollicitations pour que l'armée soit chargée de la sécurité, il est inévitable que les militaires s'interrogent sur les insuffisances de ce système qui les a conduits à faire un travail policier auquel ils ne sont pas habitués. Se développe ensuite le sentiment selon lequel les pouvoirs civils veulent leur faire porter l'opprobre de la répression de la révolte égyptienne. Les militaires craignent que la cohésion de l'institution militaire ne résiste mal à un emploi de la force en contradiction avec l'idéal qui l'inspire.
Si les militaires ont souvent été sollicités pour réprimer les émeutes urbaines de 1977 et la révolte des cadets de la police en 1986, la donne d'aujourd'hui échappe à tout contrôle, et les forces de sécurité n'arrivent pas à contenir les manifestants qui bravent le couvre-feu décrété sur l'ensemble du pays. Les pressions internationales s'accentuent pour que les forces de sécurité fassent preuve de retenue et Washington a fait savoir qu'il pourrait revoir son aide militaire (1,3 milliard de dollars par an) à l'Égypte.
En outre, l'armée, qui vient de sortir de sa réserve pour tenter de mettre fin à cette situation insurrectionnelle, n'a pas intérêt à adopter des mesures graves conduisant à plus de morts et de blessés pour ne pas perdre sa crédibilité et sa réputation. L'armée inspire autant de respect que de peur et compte tenu des guerres qu'elle avait livrées contre Israël en 1948, 1956, 1967 et 1973, cette armée représente un symbole national pour la défense de l'Égypte et ses frontières aux ingérences ou attaques extérieures.
Les scénarios les plus probables
Reste à savoir quel sera le rôle de l'armée dans la période d'incertitude qui s'ouvre pour l'État et pour son chef. Les choix de l'armée sont limités dans la gestion de cette crise entre un rôle de tout sécuritaire pour maintenir le régime et non pas forcement le président Moubarak et le fait d'abandonner cette idée pour protéger l'État, dont elle est un pilier.
En ce qui concerne le premier scénario, on pourrait dire qu'on assiste à un coup d'État au niveau du sommet de l'État permettant aux militaires de reprendre en main le pays afin d'assurer la pérennité du régime. Dans cette perspective s'inscrit la nomination du chef des services secrets, Omar Souleimane, en qualité de vice-président de l'État égyptien. Cela est un prélude au départ de Hosni Moubarak, dont l'intérim sera assuré par l'un de ses hommes les plus loyaux et qui est bien apprécié par Washington.
Il s'agit en effet d'un tour de passe-passe pour empêcher le renouvellement de l'expérience tunisienne en Égypte. Cependant, la situation sécuritaire est devenue hors contrôle, et les forces de police sont incapables de ramener l'ordre après ces jours de manifestations tournant à l'insurrection populaire. Or, si l'armée veut garder sa position d'arbitre et ne veut pas voir trop de sang couler, elle peut exiger de Moubarak de partir en le protégeant pour assister à un changement du régime et entamer les réformes politiques qui seront en mesure de satisfaire la rue et les forces d'opposition.
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Brahim Saidy - Chargé de cours aux Hautes Études internationales de l'Université Laval


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