L’art de banaliser

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À force de banaliser, on finit par s'enfoncer dans la non pertinence

Le choix des mots est rarement fortuit en politique. Il en dit souvent plus sur l’état d’esprit de celui qui les utilise que les plus longs discours.

On avait toujours pensé qu’en matière constitutionnelle, le Québec avait un certain nombre de « demandes » ou de « revendications », voire d’« exigences ». Apparemment, ces termes traduisent une attitude trop agressive aux yeux du nouveau gouvernement.

Si jamais le premier ministre Harper, ou un éventuel successeur, décide de consulter les provinces sur ce qu’il convient de faire avec le Sénat, le Québec en profitera pour évoquer d’autres « enjeux », a indiqué vendredi le ministre des Affaires intergouvernementales canadiennes, Jean-Marc Fournier, qui a utilisé ce terme à cinq reprises. À une autre occasion, il a évoqué la possibilité d’aborder d’autres « sujets ».

Dans le point de presse qu’il a donné avec sa collègue de la Justice, Stéphanie Vallée, pour commenter le dernier avis de la Cour suprême, M. Fournier préférait clairement mettre l’accent sur le « dialogue », la « coopération » et la « collaboration » avec Ottawa et les autres provinces canadiennes.

Tout le monde a bien compris qu’après avoir jonglé un moment avec l’idée de rouvrir le dossier constitutionnel, le premier ministre Couillard a jugé plus prudent de ne pas mâcher de gomme en marchant et de consacrer toute son énergie à la création d’emplois et à l’assainissement des finances publiques, mais cela ne justifie pas de banaliser un combat mené depuis des décennies.

M. Fournier a très bien noté qu’il y a, dans la jurisprudence récente de la Cour suprême, notamment dans l’affaire Nadon, « des éléments qui sont excessivement favorables au Québec » et qui renforcent ses prétentions à une reconnaissance constitutionnelle de sa spécificité. Il n’est toutefois pas question d’en profiter.

Sans aller jusqu’à mettre le fleurdelisé en berne pour commémorer le rapatriement unilatéral de la Constitution, comme l’a suggéré Pierre Karl Péladeau, il y avait là une belle occasion de rappeler que l’affront de 1982 n’a pas été oublié. Qui aurait cru que la Cour suprême en viendrait un jour à se substituer à ceux qui devraient se faire les défenseurs d’une vision québécoise du fédéralisme ?
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Malgré la vague d’indignation créée par les scandales dus à l’avidité des sénateurs qu’il a lui-même nommés, Stephen Harper est le premier à savoir que les Canadiens préfèrent s’accommoder d’une institution désuète et inutilement coûteuse plutôt que de vivre un autre psychodrame et surtout que personne dans le reste du pays ne serait disposé à satisfaire le Québec en échange d’une réforme ou de l’abolition du Sénat.

Les Québécois peuvent difficilement blâmer leurs concitoyens des autres provinces de vouloir acheter la paix constitutionnelle à tout prix. Eux-mêmes ont démontré par leur choix du 7 avril qu’ils préféraient fermer les yeux sur la magouille libérale plutôt que d’envisager la possibilité, pourtant très hypothétique, d’un autre référendum, même si M. Couillard avait clairement indiqué que la seule option était le statu quo.

Au moment où le PQ s’engage dans une profonde réflexion sur sa raison d’être, aucun politicien fédéraliste, que ce soit au Québec ou au Canada anglais, n’a envie de lui donner de l’oxygène. Si Thomas Mulcair tentait de s’asseoir avec les provinces pour régler le cas du Sénat, plusieurs s’empresseraient de lui rappeler la suite des échecs de Meech et Charlottetown.

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On a taxé M. Couillard de naïveté quand il disait souhaiter que le Québec puisse signer la Constitution à temps pour le 150e anniversaire de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, en 2017. Peut-être imaginait-il le malaise qu’il ne manquerait pas de ressentir, à titre de premier ministre, s’il devait s’associer aux célébrations, alors que cet acte fondateur du Canada a été modifié sans l’accord du Québec, à la suite de négociations nocturnes dont il a été exclu.

On lui épargnerait sans doute l’affront d’inclure Québec dans l’itinéraire de la visite de Sa Gracieuse Majesté, mais il serait tout de même un peu gênant d’avoir à expliquer à la planète entière que tout cela n’a aucune importance, puisque les Québécois, qui savent distinguer les « vraies affaires » des abstractions constitutionnelles, ne s’intéressent qu’à la création d’emploi.

D’ailleurs, ne serait-il pas temps de replacer les choses dans leur juste perspective. Si le ministre des Affaires intergouvernementales canadiennes peut voir de simples « enjeux » parmi d’autres dans les revendications que ses prédécesseurs ont défendues mordicus, pourquoi ne pas considérer la Constitution comme un banal « document » ? Dès lors, qui se soucierait qu’elle ait été signée ou non ?


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