CAMPAGNE ÉLECTORALE RECORD AU FÉDÉRAL

L’astuce de l’«ultra»

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Sans aucune vergogne






L’astuce de Stephen Harper d’allonger de manière extrême la campagne favorise le pouvoir de l’argent. Mais cela pourrait être, pour lui, l’astuce de trop.



Ainsi, ce sera un ultramarathon de 79 jours. À notre époque, les drogués de la course à pied ne se contentent plus de faire des marathons de 42,2 km. Ils font des « ultras » : 100 km, 250 km sur quelques jours, par exemple. L’une des motivations pour courir, la santé, ne fait évidemment plus partie du portrait. Les « ultras » impliquent de grands risques pour le corps. Il en va de même de l’ultramarathon politique que les drogués du pouvoir à Ottawa nous proposeront vraisemblablement ces prochains jours. Les risques, ici, sont pour le corps politique, pour la démocratie.


 

Dans un élan de naïveté, on aurait presque envie d’avaler le baratin officiel des conservateurs : plus de jours de campagne signifient plus de temps pour discuter des enjeux, pour prendre connaissance des programmes, pour faire connaissance avec les candidats. Que tout cela est beau, non ? Mais cette extension extrême de la campagne électorale émane de ces mêmes conservateurs qui n’ont cessé de légiférer à toute vapeur en constant mépris de la démocratie parlementaire, escamotant les débats publics, coupant les vivres et la liberté d’expression aux scientifiques. On peut, légitimement, douter de leur soudaine passion pour les longs débats publics. Non, les motivations pour rallonger ainsi la campagne, au risque d’épuiser candidats et électeurs, sont ailleurs.


 

Certains ont dénoncé instantanément le fort coût pour les contribuables. De manière naïve, on pourrait s’élever contre de tels propos ; au nom d’un sain principe : la démocratie n’a pas de prix. Sauf qu’ici, on voit un parti riche à craquer, le PC (d’où vient cette cagnotte ? Pour les journalistes d’enquête, n’est-ce pas intéressant ?), doubler ou presque la durée de la campagne, volontairement. Il sait qu’il peut dépenser presque sans compter ; et en plus, en bout de course, se faire rembourser des millions en puisant dans les fonds publics. M. Harper et son équipe confirment leur réputation de froids calculateurs. Comme l’ancien directeur général des élections Jean-Pierre Kingsley l’a soutenu jeudi : tout cela a été préparé de longue date, cyniquement.


 

Les analystes politiques ont l’habitude de dire que le débat sur l’opportunité ou non de l’élection ne dure pas très longtemps. Les électeurs passent aux autres questions quelque cinq jours plus tard. Cette « loi » s’appliquera-t-elle ici ? On peut en douter. Au jeu politique, une manoeuvre trop évidente — ici dégoulinante — cousue de fil blanc, finit par nuire à celui qui l’exécute. De plus, lorsqu’on en sera au… 74e jour de campagne, on reviendra sur le parcours suivi lors de l’« ultra » ; on reparlera de sa durée extrême. D’autres raisons motivent sans doute Stephen Harper : écraser les nouvelles du procès Duffy, noyer le bilan conservateur dans une flopée d’annonces, vider les coffres des adversaires, etc. Mais cela demeure un pari risqué.


 

Tous les partis doivent s’engager, s’ils prennent le pouvoir, à réparer la démocratie canadienne. Les manipulations de Stephen Harper minent le jeu électoral fédéral en donnant, de manière détournée, une place de plus en plus grande aux forces de l’argent. Il y a là une américanisation non souhaitable de la politique du Dominion (aux États-Unis, les campagnes sont interminables et les forces de l’argent, non bridées). D’ailleurs, au palier fédéral canadien, il faudrait trouver un moyen de contrôler les dépenses de nature électorale (y compris le détournement d’annonces gouvernementales) dans l’année qui précède l’élection.


 

Au palier fédéral canadien, les campagnes ont une durée minimum de 37 jours. Il faudra rapidement leur imposer un plafond afin d’éviter ce qu’on pourrait désormais appeler l’« astuce à la Harper ». Gilles Duceppe y est favorable, évidemment (puisqu’il n’en profiterait jamais). Mais qu’en pensent les autres chefs ? Veulent-ils secrètement garder cette carte dans leur jeu ? Le Québec a établi ce plafond assez facilement : la Loi sur l’Assemblée nationale prévoit que « chaque législature expire le 29 août de la quatrième année civile suivant celle qui comprend le jour du scrutin des dernières élections générales ».


 

Certes, nous n’avons pas réellement d’élections à date fixe dans cette fédération. Car dissoudre le Parlement demeure une prérogative « royale » du gouverneur général (ou du lieutenant-gouverneur). Changer ceci correspondrait à une modification à sa « charge » et impliquerait donc une modification constitutionnelle soumise à la règle de l’unanimité… Nous voilà plus royalistes que les Britanniques, qui en ont fini avec la prérogative royale de dissoudre le Parlement en 2011. Et qui, en passant, ont fixé la durée des campagnes électorales à 25 jours.







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