L'émission "Enquête" ou quand les journalistes font dans la boucherie

Tribune libre

Le visionnement de l'émission Enquête du 10 février consacré au lobbying de groupes évangéliques à Ottawa et intitulé "A la droite de Harper" m'a fait envaler ma bière de travers. Une bonne rousse pour détendre mes nerfs qui, je m'en doutais, risquaient d'être mis à mal.

Tout au long du visionnement, j'avais la nette impression d'assister à la présentation d'un pastiche de Michael Moore créé par des étudiants du certificat en communication d'une quelconque Faculté d'éducation permanente (pardon, Matante, je sais que tu as quand même étudié très fort pour avoir ton certificat...)

Ainsi, les auditeurs ont été invités à se faire une opinion sur un segment du protestantisme (on parle ici de12% de la population du Canada) ainsi que sur la manière avec laquelle cette communauté cherche à communiquer ses points de vue aux élus en prenant comme exemple les activités de deux organisations, soit My Canada et Watchmen for the Nations.

De manière implicite, l'équation proposée semblait être la suivante:

l'action de deux organisations = « Tout, tout, tout, vous saurez tout sur le z.i.z.i.» des évangéliques

(z.i.zi : zétranges initiatives zinquiétantes et intenses) (pardon, Pierre Perret.).

Traitant de z.i.z.i., le ton alarmiste du reportage de nos journalistes rappelait d'ailleurs les vieux documentaires sur les MTS à une époque où, au Québec, le sexe faisait peur et où les conventions devant encadrer sa gestion étaient élaborées par des gens qui n'étaient pas supposés devoir le pratiquer.

Bon, dès les premières images, on "adrénaline" en masse parce que l'on constate que les membres de ces deux agences politico-religieuses se livrent à des rituels innocents mais étonnants générant des élans émotivo-mystiques chez leurs participants (ce que les évangéliques charismatiques appellent "le parler en langues").

Puis, délaissant leur quête d'extase, on est invité à constater que les activités de lobbying de ces deux organisations les amènent à insérer leurs membres partout, sans égard aux ceintures de chasse-gardée légales supposées prémunir nos élus contre la promiscuité politique. « Non, mais vraiment gonflés, eux et leur z.i.z.i.! » avons-nous le goût de nous exclamer!

Bien sur, les chiites, les carmélites ou les ermites hindous hantant les berges du Gange auraient eu droit à la mise en place d'un cadre conceptuel approprié pour aider les auditeurs à interpréter l'univers religieux délicatement mis en scène par les cinéastes désireux d'éviter tout traitement sensationnaliste. Après tout, renchériraient sociologues et anthropologues, la religion est un phénomène relié aux valeurs fondamentales qui orientent la vie d'une collectivité. Nous sommes sur un terrain quasi-sacré. Cela mérite donc d'être traité avec respect.

Mais ici, voyez-vous, ces précautions ne semblent pas devoir s'appliquer parce que l'on parle du z.i.z.i. des protestants évangéliques. Il n'y a alors, semble-t-il, qu'une seule pédagogie appropriée, soit celle de la peur. Donc, traumatisme garanti pour l'auditeur québécois n'ayant comme point de référence religieux que l'endormissement induit par la lourdeur liturgique des messes de son enfance ou les remontrances moralisatrices du Cardinal Ouellet.

Je conclus. Lorsque monsieur et madame tout-le-monde manifestent du mépris et font preuve d'ignorance face à un mouvement religieux peu familier, cela s'explique et s'excuse facilement. Mais que des journalistes de Radio-Canada:

1.utilisent les pratiques religieuses de la frange charismatique du mouvement évangélique pour tenter de jetter le discrédit sur les responsables de My Canada et Watchman for the Nations,

2. suggèrent que ces deux organisations marginales sont représentatives du protestantisme évangélique,

3. passent complètement sous silence les activités des principales organisations évangéliques qui font du lobbying à Ottawa en s'efforçant de respecter les lois qui régissent leurs activités,

4. donnent la parole à un juif pour commenter la posture pro-Israël de Harper alors que pas un seul observateur neutre et bien informé n'est sollicité pour interpréter ce phénomène franchement étonnant que représente ces deux organisations,

5. nous présentent deux députés conservateurs activement pro-vie de façon à induire le sentiment que leurs efforts pour influencer la législature sont en quelque sorte illégitimes,

je me vois forcé de conclure que j'avais vraiment sous-estimé l'étendue de l'emprise de l'ignorance et du mépris...

Je ne suis évangélique mais pas de la frange charismatique. Je ne suis pas fédéraliste, je n’ai absolument aucune sympathie pour les agissements quasi-illégaux de ces deux organisations sur la colline parlementaire et je suis pro-vie comme cela ne se peut pas (contre la peine de mort, la guerre en Afghanistan, l’affaiblissement de l’État providence, l'exploitation des schistes, etc). Mais je n’accepte pas que l’on renonce à la tache d’expliquer intelligemment aux Québécois qui est "l’autre", celui ou celle qui ne pense pas comme nous.

Francois Taylor


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3 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    28 février 2011

    Merci de cette précision, je continuerai de vous lire assidûment. Bonne continuité!

  • Archives de Vigile Répondre

    25 février 2011

    Merci pour vos commentaires. Oui, il y a faute: le "ne" est de trop. Je suis protestant évangélique.

  • Archives de Vigile Répondre

    25 février 2011

    Excellente analyse! Ce n'est pas d'hier que nos médias québécois gauchistes s'appliquent à la désinformation pour absolument tout ce qui est chrétien (et non pas religieux). L'objectivité journalistique ne s'applique plus dès qu'il s'agit d'un élément qui touche les conservateurs. Tu es à droite, tu as tort! Tu es contre cet insipide courant du "politically correct", t'es un suppot de Satan!
    Par contre, je ne comprends pas votre dernier paragraphe. Êtes-vous chrétien évangélique ou non? J'ai l'impression qu'il y a eu faute de frappe.