L'époque révolue d'Anatole !

Chronique de Jean-Pierre Durand

Il y a quelques années, j’avais entrepris une recherche à des fins personnelles sur les différentes tendances nationalistes au Québec, surtout au cours du vingtième siècle. Un travail qui n’est pas terminé, comme une sorte de «work in progress» dont est friand Robert Lepage: on sait autrement dit quand ça commence, mais on ignore quand ça finit. J’avais épluché quelques fonds d’archives – pas jusqu’au fond quand même, mais davantage que de seulement gratter en surface – quand je me suis pris d’intérêt pour un grand nationaliste aujourd’hui oublié, et dont le chanoine Groulx a fait l’éloge dans ses mémoires. Si je ne le nomme pas, c’est que je n’entends pas ici faire œuvre d’historien, mais plutôt donner mon impression sur ce témoin et acteur d’une autre époque, en prenant quelques libertés avec ses écrits. De toute façon, les Fouinard et Babillard parmi vous finiront bien par découvrir, s’ils s’y mettent, qui était cet homme. Appelons-le Anatole. Né vingt ans après la Confédération et décédé dix ans avant le référendum volé: bref, il s’en fallut de peu qu’Anatole devienne centenaire et reçoive les vœux de sa gracieuse majesté.
La longévité d’Anatole peut sembler étonnante, mais là n’est pas notre propos. Ce qu’il faut retenir, c’est que c’était un nationaliste hors du commun, qui, toute sa vie durant, se démena comme un diable pour que la langue française ne soit pas bafouée dans le Canada, qu’elle bénéficie de la parité avec l’anglais. Son arme principale était la correspondance. De fait, Anatole était un épistolier redoutable et infatigable. Dirigeant d’un organisme de défense de la langue française, comparable au Mouvement Montréal français d’aujourd’hui, Anatole n’avait de cesse d’ameuter tout un chacun pour monter aux barricades linguistiques. Il incitait les autres à suivre son exemple et à protester auprès des autorités fédérales pour obtenir plus de français par-ci, plus de français par-là. Je ne connais qu’une seule personne qui se démène autant aujourd’hui que cet Anatole, et c’est Mario Beaulieu, le président de la SSJB de Montréal. Je regarde aller Mario parfois et je pense à Anatole. À la différence que Mario est de notre époque et qu’il intervient davantage par portable et cellulaire interposés que par plume d’oie et machine à écrire. Vendredi, alors qu’on attendait les journalistes de Repentigny pour un point de presse sur la question d’un seul méga CHU pour Montréal, Mario donnait une interview par téléphone à la radio. Il est toujours dans le feu de l’action. J’ai demandé à Mario s’il lui arrivait de fermer son cellulaire la nuit quand il dormait. Il m’a répondu que non. J’aurais donc pu lui retourner son appel en rentrant à deux heures du matin samedi. Avant longtemps, je vais le tester!
Pour en revenir à Anatole, son apostolat se déployait d’un océan à l’autre, sans relâche, sans jamais lâcher le morceau, au point d’irriter bien des gens, y compris chez les Canadiens français colonisés à l’os, plus enclins à accepter leur triste sort, à se contenter d’un petit pain, à fermer leur gueule puis à ramer. En fait, sa réputation de défenseur de la cause française en ce pays aurait été sans tache s’il n’avait pas pris la défense à un moment donné du nazi Jacques de Bernonville (Wikipédia vous en parlera mieux que moi), comme quelques élites nationalistes du temps. Mais là encore, l’épisode hautement critiquable de ce qu’il est convenu d’appeler «l’Affaire de Bernonville» n’est pas l’objet ici.
Après des heures de mes vacances estivales passées à consulter les lettres d’Anatole, dans l’ordre chronologique, alors que j’approchais de ses dernières années de vie active, je tombai sur une lettre de 1965 qu’il adressait à un vieil ami. Dans cette lettre que je vous résume, Anatole dresse un triste bilan de son militantisme (mot qui n'existait pas dans son temps). Cinquante années au bas mot qu’il s’époumone pour la cause, qu’il rédige lettre sur lettre, fait circuler pétition par-dessus pétition pour enjoindre la majorité anglophone à Ottawa d’accorder enfin satisfaction aux francophones, d’ajouter du français sur les timbres et sur les billets de banque, d’offrir des postes à des gens bilingues et pas uniquement unilingues anglais, de fustiger les lois iniques qui veulent restreindre sinon empêcher l’enseignement en français dans le reste du Canada… bref, un demi-siècle à se débattre comme un diable dans l’eau bénite pour les siens… et voilà ce que, en bout de piste, Anatole constate: l’échec, l’échec cuisant et à coup sûr immérité. Il dit (je cite de mémoire) : « Cher ami, pendant toutes ces années, nous avons livré de rudes batailles, mais je m’aperçois aujourd’hui que ce fut souvent en pure perte. Tout partout, dans l’Ouest canadien et dans les Maritimes, les nôtres s’assimilent. Les jeunes ne parlent plus français dans les cours d’école. La survivance française est partout compromise, à l’exception de la province de Québec, et même ici le danger nous guette. Comment se peut-il qu’avec l’ardeur que nous avons mise, avec la meilleure volonté du monde, avec nos prières et notre dévotion, comment se peut-il que nous n’ayons pas réussi? » Je lisais la lettre et je ne pouvais faire autrement qu’être touché et ému par ce témoignage. Et je me doutais bien que cette lettre avait sûrement été la plus difficile à rédiger pour Anatole, puisque toutes les autres avaient pour ainsi dire été lettre morte. Mais il continuait: « Et même ici, dans la province, ce qui me désole, c’est l’insouciance des nôtres par rapport aux dangers qui nous guettent, alors qu’il faudrait se tenir debout et se battre. Mais le pire dans tout cela, c’est que ceux qui ne capitulent pas, ce sont tous de maudits séparatistes! » Eh oui, Anatole aura peut-être été un grand nationaliste, mais il ne pouvait se résoudre à franchir le Rubicon. Il mourra donc défait et… fédéraliste!
Somme toute, cette histoire est triste, mais elle se termine bien si l’on songe que la voie qui s’ouvre devant nous est cette lutte pour l’indépendance nationale, seule avenue possible pour accomplir notre destinée. On ne peut pas attendre jusqu’à la Saint Glinglin pour qu’une majorité (qui n'a de cesse de nous reléguer au second rang) nous accorde ce que nous sommes en droit d’obtenir. Comme ailleurs, nous serons complètement assimilés avant que cela n’arrive. Il faut croire qu’Anatole, qui n’était pourtant ni frivole ni un deux de pique, n’avait pas compris cela. On aurait pu croire que ces cinquante années auraient pu lui ouvrir les yeux, mais non.
Vendredi, dans la petite salle du Carpe Diem, à Longueuil, les jeunes du MPIQ (Mouvement pacifique pour l’indépendance du Québec) organisaient une soirée pour la relève culturelle. Poèmes, chansons, monologues humoristiques… une soirée endiablée à l’enseigne de l’indépendance du Québec. Quelques militants du Réseau de Résistance du Québécois s’étaient également joints à eux pour la circonstance. Je suis allé écornifler pendant la soirée, par curiosité et parce qu’on dit souvent, mais faussement, que les jeunes ont renoncé à se battre, qu’ils sont amorphes, démotivés, voire éteints. Détrompez-vous, chers lecteurs, il existe présentement une renaissance dans le mouvement indépendantiste, un discours nouveau et adapté à la situation actuelle. Les jeunes élèves du secondaire et les cégépiens qui adhèrent au MPIQ en sont une preuve vivante. Si vous aviez entendu vendredi Thomas Deshaies, Vincent Brazeau et Mathieu Boucher, tant dans leurs interventions politiques que dans leurs magnifiques poèmes, si vous aviez assisté à la performance du groupe Mocha-Cola, si vous aviez entendu le texte « Tentative de non-suicide » présenté par Maxime Laporte, vous auriez comme moi… capoté (pour rester dans le ton!). Le MPIQ avait aussi invité deux doyens à cette fête : le chanteur Manuel Brault (celui des Petits cœurs des enfants rieurs, ça vous dit de quoi?), qui y est allé de trois nouvelles chansons à saveur indépendantiste, et l’écrivain et chroniqueur au journal Le Québécois René Boulanger, qui y a livré un texte poignant sur l’histoire d’Hortense au temps des Patriotes.
Dans la salle, j’ai rencontré aussi François Gendron, mon collègue « Jeunesse » à la SSJB et président des JPQ, ainsi que François-Xavier Labbé, nouveau coordonnateur du RRQ pour Montréal, pas le genre de gars à s’en laisser imposer et qui gagne aussi à être connu. Bref, avec tous ces jeunes indépendantistes, je crois bien qu’on va finir par l’avoir ce pays… Ah oui, à cette soirée du MPIQ, on annonçait la manif pour lundi le 11 mai à midi devant la Caisse de dépôt et placement (2 minutes de marche du métro Square-Victoria). Comme orateurs, il y aura un jeune (Patrick Bourgeois) et un vieux encore jeune (Pierre Falardeau). Anatole aurait dit : encore deux maudits séparatistes. Pauvre Anatole, ce que tu peux être dépassé!


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1 commentaire

  • Archives de Vigile Répondre

    11 mai 2009

    Je trouve intéressant votre optimisme. Rien n'est gagné bien entendu mais récemment justement, réfléchissant à la question, je me disais que notre plus grave problème c'est celui du leadership.
    Quand je vois le PQ s'en aller et de plus en plus ressembler à un parti de comptables et de bourgeois, j'incline à penser que la solution à notre problème ne peut venir de la vieille garde. Elle ne peut provenir que du sang neuf, de la fougue et de l'énergie de la jeunesse.
    Dans les années soixante dix nous défilions le poing en l'air en criant «nous vaincrons!». Ben aujourd'hui faut ben admettre que nos toussottements ne sont plus que l'ombre des cris d'espors que nous lançions au défi collossal qu'est celui de faire un pays.
    Je pensais qu'une femme pourrait accoucher d'un pays. Ce serait merveilleux. Mais je dois admettre que la performance de la cheffe jusqu'à présent est plutôt décevant. Et on dirait que l'opinion publique partage la mienne si l'on se fie aux commentaires que l'on entend ici et là.
    J'espère que les jeunes prendront la relève. Il le faut. Sans quoi j'ai le sentiment que nous sommes cuits. Mais vous me donnez un peu d'espoir ce matin. Merci.