Je viens de relire durant les vacances les luttes ouvrières de la Wallonie. Non sans fierté. Mais sans nostalgie, car le passé n'est jamais derrière nous.
Le pays de la grève générale
La Belgique – à cause de la Wallonie – a été le premier pays d’Europe et du monde organisant à l’échelle nationale une grève générale (1) , celle de 1893, en vue de l’obtention du suffrage universel, conquis après six jours de grèves et trop de morts. Le parlement belge le vota, épouvanté, face à la violence des ouvriers déchaînés. On retrouve cette détermination en 1950 quand le roi Léopold III abdique après neuf jours de grèves contre lui. Comme le dit bien Ramon Arango (The Belgian Royal Question, The John Hopkins Press, Baltimore, 1961, p.212-213), trop peu lu en Wallonie, la monarchie belge contrairement à bien des monarchies en Europe est supposée exprimer l’unité d’un pays qui n’a pas réellement de continuité historique ni d’identité nationale, car tout au long de l’histoire qui mène à l’Etat belge, Wallons et Flamands sont restés séparés et dotés d’une identité différente. Dès lors que le symbole d’une unité qui n’existe pas était mis en cause, la désunion devait se manifester avec un éclat sans pareil. C’est ce qui se produisit. Ce qui se passe aujourd’hui en Belgique ne fait qu’avaliser ce qui s’était illustré déjà en juillet 1950, mais qui avait effrayé tout le monde.
Lorsque, en décembre 1960 éclata la dernière grande grève générale belge (la plus longue de l’histoire), son leader André Renard voulait sans doute au départ mener avant tout un combat social. Mais il se trouvait aussi face aux problèmes économiques wallons (le Borinage venait de perdre la moitié de ses emplois à cause de la fermeture des mines de charbon). Et face à une Flandre où la bourgeoisie menait depuis longtemps une lutte nationale consistant à détourner les subsides de l’Etat belge vers cette seule région. Créant même des industries directement concurrentes de celles installées en Wallonie. De plus, les travailleurs flamands abandonnèrent vite leurs camarades wallons de combat.
Un échec fructueux
C’est de là qu’est né ce que l’on appelle le « renardisme », c’est-à-dire un modèle d’action qui prend acte de trois logiques liées entre elles : la logique de la lutte des classes, la logique régionaliste wallonne et celle de l'action politique social-démocrate classique. Le voyant, le sentant, Renard fit accomplir au mouvement wallon un formidable bond en avant (plutôt qu’une fuite en avant). Raison pour laquelle il est encore aujourd’hui considéré comme un traître par une grande part de l’extrême gauche plus attachée à la Belgique que jamais au nom de l’unité de ses travailleurs. Alors que Renard eut l’intelligence d’aller jusqu’au bout du lien entre les trois logiques que je viens d’énumérer. Même si, depuis, elles se sont séparées. On l’a accusé de dérive nationaliste parce qu’il leva l’étendard wallon. Mais la grève de 1960 qui se termina par un échec face à deux divisions d’armée (près de 40.000 hommes : gendarmes et militaires), sur le plan social strict, n’aurait plus trouvé de grain à moudre. Le militantisme ouvrier en aurait été moralement, grièvement blessé, peut-être à mort.
Renard relança ses forces vaincues, mais non réduites, en leur donnant un objectif absolument nécessaire – l’autonomie de la Wallonie. Ce qui a sans doute sauvé le pays wallon, car, sans autonomie, celui-ci aurait connu le sort du Borinage. La Wallonie serait morte. Ce qui reste de mouvement ouvrier et de radicalisme socialiste aussi et ce qui reste des beaux parleurs du marxisme radical (et belgicain).
Nous avons aussi ceux du néolibéralisme et les technocrates d’une gestion rationnelle de la Wallonie qui prennent le monde capitaliste tel qu’il est. Et eux non plus n’aiment pas regarder en face une Wallonie née de la classe ouvrière, pas plus que certains hommes d’extrême gauche (et aussi de droite) qui, eux, ne veulent pas voir de Wallonie du tout. Je pense que c’est E.P. Thompson qui a dit : « Les hommes combattent et perdent la bataille et la chose pour laquelle ils ont lutté advient malgré leur défaite. Quand elle advient elle se révèle être différente de ce qu'ils avaient visé et d'autres hommes doivent alors combattre pour ce qu'ils avaient visé sous un autre nom. »
Et Charles Plisnier, passé de la mystique communiste à la foi chrétienne, et de Lénine à Dieu : « Ce qui n’est pas révolution s’appelle Mort, l’Eternel s’appelle Révolution. »
La mort ne gagnera pas.
(1) Brefs commentaires d'un tableau simple et complet du phénomène de 1893 à 1961
L'Eternel s'appelle Révolution
Chronique de José Fontaine
José Fontaine355 articles
Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur...
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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.
Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...
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